Dans une interview accordée mardi 3 juillet à la télévision publique hexagonale « France 24 » en marge du 31ème sommet de l’Union africaine (UA) qui vient de se tenir à Nouakchott en Mauritanie, le président sud-africain Cyril Ramaphosa assure qu’il n’a aucune raison de douter de la tenue des élections le 23 décembre prochain dans l’ex-Zaïre. Les chefs d’Etat présents dans la capitale mauritanienne n’ont pas dit autre chose. Langue de bois diplomatique ou duplicité?
« Je n’ai rien vu ni entendu qui m’a fait douter que ces élections auront bel et bien lieu ». C’est la réponse surprenante que le successeur du très sulfureux Jacob Zuma a donnée au journaliste Marc Perelman de la télévision France 24. Ce dernier l’interrogeait sur le « doute » qui plane sur ce rendez-vous politique au regard de l’activisme débordant dont fait preuve « Joseph Kabila » dont le dernier mandat a expiré depuis le 19 décembre 2016.
Cyril Ramaphosa dit se reporter au rapport fait par son homologue congolais lors d’un précédent sommet de l’UA qui s’est tenu à Kigali. Selon lui, le « raïs » « a confirmé » à cette occasion que les élections « auront bien lieu » le 23 décembre. « Les électeurs ont été enregistrés sur les listes, et donc les élections auront bien lieu », a souligné Ramaphosa. Au lieu de s’arrêter là, il a ajouté que « Kabila » « est fortement engagé et le gouvernement va financer » les opérations électorales. Enfin, l’Union africaine et la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) vont dépêcher des observateurs.
Dans sa dépêche datée du 3 juillet, la très officielle Agence congolaise de presse – qu’on espérait « laver plus blanc » que la défunte Agence Zaïre Presse – annonce que les dirigeants africains ont adressé des « félicitations » non seulement au gouvernement congolais mais aussi à la CENI (Commission électorale nationale indépendante) « pour des efforts déployés dans la préparation, l’organisation et la tenue des prochaines élections générales prévues le 31 décembre 2018 ». De qui se moque-t-on?
Corruptibles – le mot n’est pas très fort – pour la plupart d’entre eux, les chefs d’Etat africains dont la majorité trône au sommet des régimes autoritaires sous des oripeaux démocratiques semblent décidés à fermer les yeux face aux « élections au rabais » que manigancent « Kabila » et son homme de main, Corneille Nangaa. Le syndicat des satrapes du continent se porte bien.
LE POUVOIR POUR LE POUVOIR
Pour ne parler que du chef de l’Etat sud-africain, celui-ci ne peut ignorer que le recensement des électeurs et la publication d’un calendrier électoral ne peuvent suffire pour certifier que les consultations politiques attendues seront libres et équitables. Et que le peuple congolais aura le « pouvoir du dernier mot ». Que voit-on?
Par sa voracité du pouvoir pour le pouvoir, le successeur de Mzee Kabila a replongé le Congo-Zaïre dans une nouvelle crise de légitimité. Ne faisant qu’à sa tête, l’homme s’oppose à l’avènement de l’alternance démocratique alors que son deuxième et dernier mandat a expiré depuis le 19 décembre 2016. En décembre prochain, le « raïs » aura commandé les Congolais sans mandat durant deux ans. « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois », énonce le premier alinéa de l’article 70 de la charte suprême. Inutile de souligner que le Président de la République en exercice avait fait le serment de défendre la Constitution et les lois du pays.
Bien avant l’expiration de son dernier mandat, « Kabila » a verrouillé l’arène politique. Il n’ y a qu’un seul son de cloche. Il n’y a point de débat digne de ce nom. Média public par excellence, la RTNC est monopolisée par la mouvance kabiliste. Et pourtant, le pluralisme politique est institutionnalisé (article 6-1). La liberté de manifestation sur la voie publique est garantie uniquement pour le parti présidentiel et ses alliés. Les élections constituent un moment privilégié pour permettre à un peuple d’exiger des comptes à la majorité sortante. Peut-on demander ces comptes dans une ambiance empreinte d’intimidation?
Lors des « marches pacifiques » organisées le 31 décembre 2017, le 21 janvier et le 25 février de l’année en cours, les manifestants ont été « canardés » comme des lapins par des forces dites de sécurité accompagnées des hommes armés en civil. S’agissait-il des fameux « Bana Mura »? Les protestataires ne demandaient rien d’autre que le respect de la Constitution en ce qui concerne le nombre et la durée des mandats du chef de l’Etat.
UN OPTIMISME HYPOCRITE
Ramaphosa dont le pays a abrité en 2002 les très laborieux travaux du Dialogue intercongolais – ayant abouti à la mise sur pied d’un « régime de transition » suivie par l’adoption par référendum de la Constitution promulguée le 18 février 2006 – fait preuve d’une duplicité peu digne du dirigeant d’un « pays-phare » censé « montrer le chemin » de l’Etat de droit qui est le socle de la démocratie.
Peut-on imaginer un chef d’Etat fin mandat – dont le rôle se limite à expédier les affaires courantes jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu – mettre sur pied une coalition électorale dirigée par lui-même? A quel dessein? « La majorité présidentielle n’est pas morte mais existe en tant que structure politique dans l’objectif d’accompagner le chef de l’Etat dans son combat politique pour la démocratie, la souveraineté et l’intégrité territoriale, l’émergence économique et l’amélioration de la vie du peuple congolais », a déclaré l’ex-mobutiste André-Alain Atundu, porte-parole de la Majorité présidentielle. De quel chef de l’Etat parle-t-on? S’agit-il de celui qui est frappé d’inéligibilité? On est où là!
Depuis lundi 2 juillet, tous les carriéristes du pays et autres « politiciens du ventre » défilent au Pullman hôtel à Kinshasa pour apposer leurs signatures au bas de la « charte constitutive » d’un brumeux « Front commun pour le Congo ». Une organisation aux allures d’association de malfaiteurs politiques.
Au lieu de dresser le bilan de ses dix-huit années passées à la tête de l’Etat, « Kabila » multiplie des stratagèmes pour briguer un nouveau mandat. L’homme apprendra à ses dépens qu’il s’agira d’un mandat de trop. Pourra-t-il accomplir de miracles en cinq ans alors qu’il n’a pu le faire en « trois législatures »?
En exprimant un optimisme hypocrite face à un processus électoral qui incite les observateurs les plus impartiaux à la sinistrose, Cyril Ramaphosa et ses pairs du continent ont raté l’occasion de se taire. Ils se sont déshonorés.
A quoi sert la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance dont l’un des objectifs est de « promouvoir la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement » (article 2-3)?
Baudouin Amba Wetshi