L’actualité en RDC est dominée par le réveil spontané ou programmé de la magistrature. Les arrestations en cascade, reliées particulièrement au programme présidentiel de 100 jours qui devait marquer le début de son mandat, ont bousculé la conscience collective. Dans l’imaginaire populaire, l’impunité avait créé une catégorie de citoyens « intouchables ». À tort ou à raison, ces derniers se croyaient au-dessus de la loi. Ils se considéraient ultra protégés au point de tout se permettre sans crainte d’enfreindre les règles ou les lois de la République.
Cette perception était tellement ancrée dans la réalité politique que l’on pouvait entendre, dans l’affaire du supposé détournement de 200 millions de dollars par Albert Yuma, Ramazani Shadary, secrétaire permanent du PPRD, ériger un mur de protection, en menaçant de paralyser le pays si on osait toucher leur protégé. C’était tout dire de l’état d’esprit qui prédominait dans la tête de certaines personnes… Cette sortie gravissime dénote la négation totale d’un État de droit. Elle est la manifestation patente et abjecte du règne de la jungle où le plus fort est appelé à dicter sa loi.
Et pourtant, le pays a des institutions qui prétendent incarner l’autorité étatique. Dès lors, s’étonner aujourd’hui des arrestations qui rentrent dans l’exercice ordinaire de la justice, c’est constater le dysfonctionnement systémique qui a entraîné le pays si riche dans la pauvreté. Le peuple congolais est misérable. Il vit, selon l’expression consacrée, par miracle. L’instinct de survie pour les uns et l’esprit d’accaparement frauduleux des deniers publics pour les autres ont impulsé une société sans règle ni morale. Celle-ci a engendré les kuluna, déscolarisés et sans emploi, qui sont contraints au banditisme urbain pour survivre. Ils se disputent la scène aux kuluna en cravate. Ces derniers affichent naturellement une belle apparence. Ils adorent le luxe, les belles voitures et les belles femmes. Ils savent jongler avec la comptabilité et se divertissent en détournant des sommes colossales sans s’en soucier outre mesure. Ils sont champions en corruption et encaissent indûment des rétro-commissions au détriment du trésor public.
Affectées par le syndrome de l’irresponsabilité collective, beaucoup de personnes, pour se disculper, soutiennent en arguant aux autres, « que ce n’est pas toi qui va changer les choses au Congo ». Si personne ne peut le faire, la tâche incombe derechef à l’État. Cependant, il faudra qu’il y ait à la base une volonté politique affirmée. L’ancien régime n’y étant pas parvenu, le nouveau pouvoir devait faire le boulot. C’est dans ce contexte que le programme de 100 jours avait été lancé par Félix Tshisekedi. En dépit de ce qu’on peut en dire aujourd’hui, à la lumière de tous les scandales qui éclaboussent le monde politique et entrepreneurial, ce programme, s’il était bien exécuté, pouvait réellement relancer l’économie du pays et améliorer le social des Congolais.
Mais le dessous des cartes dont les dossiers brûlants sont entre les mains de la magistrature a révélé que le pays avait encore du chemin à parcourir sur le plan de l’affirmation de la conscience patriotique. Il a également révélé des défaillances majeures au niveau de la gestion économique. La légèreté dans l’attribution des marchés et dans la réalisation subséquente des travaux a entaché le succès dudit programme.
L’État de droit n’est pas un slogan et moins encore un échafaudage non enraciné dans la pratique courante. Il est un indicateur de la volonté d’établir la primauté de la justice dans la société. À cet effet, il devrait dicter le comportement de tous; du plus haut magistrat du pays au fermier de Kimbaseke. L’absence de sanctions avait donné libre cours aux jouisseurs et autres kleptocrates, de continuer à alimenter les antivaleurs. Certes, ce n’est pas d’un seul coup magique qu’on pouvait changer la mentalité de ceux qui n’ont jamais subi la rigueur de la loi. De ceux qui confondent la trésorerie publique d’avec des fonds personnels, ou qui assimilent les fonctions politiques aux attributions claniques ou tribales. Toutes ces tares ont engendré le favoritisme et le népotisme contraires aux aptitudes pouvant conduire le pays sur la voie du développement.
Pour toutes ces raisons, il fallait une rupture avec cette façon de concevoir la gestion du pays. Le coup de filet de la magistrature, favorisé peut-être par un concours de circonstances, a soulevé un énorme espoir au pays de Lumumba. Les magistrats ont démontré que personne n’est au-dessus de la loi. La vague des arrestations qui se déferlent parmi ceux qui avaient trempé dans la gestion des fonds alloués aux travaux de 100 jours ne doit pas s’estomper. Elle doit être une occasion à saisir par toute la société congolaise pour se remettre en question et prendre la ferme résolution d’œuvrer dans la droiture et l’honnêteté au service du pays. Comme dans le cas du Covid-19 qui ébranle l’humanité, la situation en RDC et en Afrique ne doit plus être la même après ce coup de filet. Par un effet domino, chaque Congolais occupant un poste de responsabilité devrait souscrire, à l’exemple des magistrats, d’être le levier qui, par effet multiplicateur, suscitera le changement collectif.
Par Mwamba Tshibangu