« Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux (Ecclésiaste 3.1) :
Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler (Ecclésiaste 3.7)
Un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix (Ecclésiaste 3.8) »
Mardi 23 novembre, dans la soirée, une délégation de principaux responsables des institutions politiques congolaises a rencontré l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambogo. Composée des présidents de l’Assemblée nationale, Mboso Nkodia, et du Sénat, Modeste Bahati, du Premier ministre Sama Lukonde ainsi que du conseiller spécial du chef de l’État en matière de Sécurité, François Beya, la même délégation a rencontré deux jours plus tard, le 25 novembre, André-Gédéon Bokundoa, président et représentant légal de l’Église du Christ au Congo (ECC). Le 26 novembre, une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), forte de dix-huit évêques accompagnés du nonce apostolique, a également eu un entretien avec le président Félix Tshisekedi. Concernant le processus électoral en cours, le président de la Cenco, Mgr Marcel Utembi, a indiqué « que ce processus est une dynamique, il y a une étape déjà franchie. Il y a un temps pour tout, un temps pour se quereller, un temps pour se concerter, un temps pour être réaliste et prendre des décisions. Le plus important est de marcher ensemble et d’aller de l’avant, », a-t-il confié à la presse présidentielle après l’entrevue avec le chef de l’État.
Tout ça, pour ça ?
Toutes ces rencontres visaient à apaiser les « tensions » et « contradictions » nées entre les institutions de la République – dont le Président de la République, le Parlement et le Gouvernement – d’une part, et l’Église catholique et l’Église du Christ au Congo d’autre part, à la suite de la mise en place du bureau de la Commission électorale nationale indépendante (Céni). Les « divergences » entre ces deux Églises et les institutions de la République sont-elles pour autant aplanies ? La réponse relève de l’anecdotique, car ces « tensions », « contradictions » ou « divergences » auraient pu ne jamais voir le jour avec un zeste de bonne volonté et du sens des responsabilités. Toutes ces sorties médiatiques enflammées et un ballet diplomatique Cenco-ECC pour, in fine, constater que « le plus important est de marcher ensemble » ?
Une affirmation qui cache à peine un malaise ambiant et une confiance mutuelle balafrée. Lors de son 58e comité exécutif national tenu à la fin du mois d’octobre, l’Église protestante a rompu avec les six autres confessions religieuses qui ont porté et soumis la candidature de Denis Kadima à la tête de la Céni. Et malgré les rencontres d’apaisement avec les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Premier ministre ainsi que le chef de l’État, Jeune Afrique titrait dans sa version en ligne du 29 novembre : « La Cenco reste ferme face au pouvoir de Félix Tshisekedi ». L’hebdomadaire apprenait à ses lecteurs abonnés que « les puissants représentants de l’Église catholique réitèrent leur inquiétude face au processus électoral en cours » et « annoncent quitter la plateforme religieuse chargée de désigner le président de la Céni ».
Pardon et point de presse de l’abbé Nshole
Par contre, prenant la parole le 27 novembre au cours de la cérémonie de célébration du centenaire de l’ascension d’Abdu’l-Baha, l’une des grandes figures de la foi Baha’ie, le porte-parole de la Cenco, l’abbé Donatien Nshole, prêchant la « paix », avait soutenu que les tensions qui ont caractérisé les relations entre les prélats catholiques et le pouvoir en place, au sujet de la désignation de Denis Kadima comme président de la Céni, « appartiennent déjà au passé ». Il termina son intervention par un mea-culpa : « Je demande pardon pour le spectacle de désolation que nous avons offert dans le cadre d’une certaine plateforme des confessions religieuses ».
Le 29 novembre, l’abbé anime un point de presse pour expliquer la position de la Cenco après la rencontre des dix-huit évêques avec le chef de l’État. Un militant de l’ECIDé (Engagement pour la citoyenneté et le développement, parti de Martin Fayulu), bien connu pour ses outrances verbales, l’interrompt et l’interpelle : « Que veut dire Mgr Utembi par une étape est franchie ? Qu’il vienne s’expliquer ». Resté imperturbable, l’abbé Nshole poursuit son point de presse par ces mots : « Les partis d’opposition doivent s’assumer et ne pas se cacher derrière l’Église. Il faudrait que les opposants prennent leurs responsabilités en tant qu’opposants ; ce ne sont pas des évêques membres de la conférence épiscopale nationale du Congo qui vont s’aligner derrière un parti politique. Ce qui arrive souvent c’est quoi ? Quand la prise de position de la Cenco arrange les intérêts d’un parti politique, en ce moment-là, la Cenco est applaudie ; quand cela n’arrange pas leurs points de vue, ils crachent sur la Cenco ; et quand ils prennent le pouvoir, ils se retournent contre la Cenco. Plus jamais ». La messe est-elle, pour autant, finie ?
Disons-le sans ambages. Chargées de désigner (pour le meilleur ou pour le pire ?) le président de la Commission électorale, les huit « confessions religieuses » – les catholiques à travers la Conférence épiscopale nationale du Congo, les protestants à travers l’Église du Christ au Congo, les Kimbaguistes de l’Église de Jésus-Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon Kimbagu, les évangéliques des Églises de réveil au Congo, l’Église orthodoxe du Congo, l’Union des Églises indépendantes, la Communauté islamique du Congo et l’Armée du salut – se sont fourvoyées à l’instar de la classe politique congolaise qu’elles stigmatisent, depuis des lustres, de privilégier les intérêts partisans éloignés du développement du pays et du bien-être de la population.
Prouesse lamentable
Seule et lamentable prouesse : les « hommes de Dieu » ont réussi à étaler au grand jour leur accord sur leur désaccord. Plongeant ainsi la Céni dans une léthargie qui a impacté la mise en place de sa nouvelle équipe, son fonctionnement et la préparation de la plus proche des échéances électorales, celle de 2023 ! Les « confessions religieuses » seraient-elles – bon gré, mal gré – les alliées objectives d’un « glissement » du calendrier de ce scrutin qui serait dès lors, à tort plus qu’à raison, imputé au président de la République et à sa majorité de l’« Union sacrée de la nation » née des cendres encore fumantes de l’ancienne coalition ?
Pourquoi s’en remettre à l’arbitrage du chef de l’État qui devrait rester dans son rôle de garant du bon fonctionnement des institutions et non endosser celui de les orienter ou de les influencer ? Les débats entre les confessions religieuses se sont focalisés sur la désignation du président de la fameuse Commission électorale nationale « indépendante ». A croire, finalement, que les suffrages des électeurs ne valent pas le moindre kopeck ; que cette Commission électorale est une institution superfétatoire et budgétivore, car c’est son président qui disposerait, « seul », du pouvoir discrétionnaire de désigner le vainqueur des élections !
Des confessions religieuses plus égales que d’autres ?
Faute de consensus – et les « hommes de Dieu » n’ont pas été inspirés de prier en communion avec l’« Esprit Saint » pour trouver ce consensus – la charte de la plateforme des confessons religieuses, signée le 20 janvier 2020, prévoit de recourir au vote ! Six confessions religieuses, à savoir les évangéliques, les kimbaguistes, les orthodoxes, les musulmans, les salutistes, les indépendantistes ont désigné, le 27 juillet 2021, Denis Kadima comme président de la Céni. Vote que les huit confessions religieuses réunies en conclave le 31 août, sous l’égide de Mgr Marcel Utembi, n’ont pu avaliser par consensus. L’Église catholique et l’Église du Christ au Congo arguant, notamment, de leur « poids » dans la société congolaise ! Existerait-il, donc, des confessions religieuses plus égales que d’autres pour s’octroyer, de manière unilatérale et autoritaire, un droit de veto alors que leur propre charte stipule de manière claire : « une confession religieuse, une voix » ? Voilà le principe démocratique – « un citoyen, une voix » – dilué dans l’eau du baptême ! Le même principe – « un pays, une voix » – qui s’applique à l’Assemblée générale de l’ONU. Sans considération aucune – qu’il s’agisse, par exemple des États-Unis ou du Burundi – de sa superficie, de sa population ou de son « poids » géopolitique.
Quant à Denis Kadima, présenté par l’Église kimbanguiste et expert électoral de longue date, son expérience est reconnue par tous. Directeur exécutif de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (EISA), organisme basé à Johannesburg, il a œuvré à l’organisation du référendum qui a débouché sur l’indépendance du Soudan du Sud ainsi qu’aux élections constituantes de 2011 en Tunisie, au lendemain de la chute de Ben Ali. Mais l’Église catholique et l’Église du Christ au Congo lui ont trouvé une « tare » : provenir de la même province que le président de la République. Un argument aux relents de tribalisme qui n’honore pas les « hommes de Dieu » censés prêcher la fraternité et l’unité de la nation dans sa diversité socioculturelle.
Climat politique délétère
Dans le climat politique délétère actuel, il est devenu malaisé d’avoir un débat serein fondé sur des faits avérés, des idées clairement exposées ou des analyses pertinentes. Les médias congolais – souvent à la limite du professionnalisme – et la kyrielle des « communicateurs » ou « communicants » ne jouent pas leur rôle d’éclaireurs de l’opinion. Au contraire ! Ils contribuent à la désinformation en multipliant des propos incendiaires, intolérants et insidieux selon leur appartenance politique, religieuse ou tribale. Dans un message tweeté le 29 juillet, Jean Claude Katende, avocat et président de l’ASADHO (Association africaine de défense des droits de l’homme) se désolait de cette situation : « Il devient de plus en plus difficile d’écrire ou de parler actuellement sur un sujet d’intérêt national sans que vous soyez catégorisé soit en fonction d’une province, d’une tribu, d’un parti politique, d’une église ou d’un individu. La place pour des penseurs libres devient de plus en plus restreinte dans notre pays. Et plusieurs ont choisi la résignation par peur d’être catalogué, malgré leur bonne foi ».
Pressions et corruptions ?
A trois reprises, le président de l’Assemblée nationale a accordé un délai supplémentaire aux confessions religieuses afin qu’elles puissent sortir de leurs querelles de clocher et trouver un consensus. Sans succès ! Dans un communiqué publié le 4 octobre 2021, Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) est allé jusqu’à « implorer les confessions religieuses à se surpasser et mettre à profit les dernières 72 heures accordées par le président de l’Assemblée nationale en vue de désigner par consensus le futur président de la Céni. (…) J’exhorte les confessions religieuses à maintenir leur rôle de l’église au milieu du village, pour garantir au pays, à travers leur choix, la sauvegarde de la paix, de l’unité et de la concorde nationale », écrivait-il.
Son imploration et son exhortation ne furent point entendues. Les « catholiques » et les « protestants » refusant toujours de s’incliner devant le vote de la majorité – tout en continuant à épiloguer dans les médias, surtout étrangers, à propos des « pressions subies » et des « faits de corruption ». Pressions et corruptions restées, pourtant, sans la moindre preuve malgré la demande écrite et pressante de fournir ces preuves adressée à l’Abbé Donatien Nshole (secrétaire permanent de la Cenco) par la Commission paritaire parlementaire chargée d’étudier les dossiers de candidature des membres de la Commission électorale. L’abbé préféra répondre par médias interposés : « Je dois en référer d’abord à ma hiérarchie pour ne pas mettre en cause certaines personnes » ! Secret du confessionnal ? Ce brave « homme de Dieu » aurait enregistré les « confidences » des « pressions subies » et des « faits de corruption » de ses « informateurs » à leur insu… D’où l’embarras de rendre ces « preuves » publiques ?
Rétroactes
Depuis le 30 juin 2019, la Commission électorale dirigée par Corneille Nangaa était démissionnaire. En juin 2020, usant (abusant ?) de sa majorité au Parlement – et malgré le fait que depuis juillet 2019 il était en « coalition » avec la plateforme présidentielle CACH (Cap pour le changement) formée par l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) de Félix Tshisekedi et l’UNC (Union pour la nation congolaise) de Vital Kamerhe – le FCC manigance pour imposer un nouveau président, Ronsard Malonda, à la tête de la Céni sans passer par la plénière de l’Assemblée nationale. Une désignation qui ne figurait pas à l’ordre du jour, mais mise mise en œuvre au cours d’une réunion à laquelle participaient les seuls membres FCC du bureau de la chambre basse présidée, alors, par la bien dévouée kabiliste Jeanine Mabunda. La manœuvre des ouailles de la « kabilie » ne dupe personne : rendre possible un retour de leur « autorité morale », Joseph Kabila, dans la compétition pour la présidentielle de 2023. Face à l’ampleur de multiples contestations, protestations et manifestations aux quatre coins du pays, le choix de Ronsard Malonda passa par pertes et profits.
En juin 2021, avec la nouvelle majorité de l’Union sacrée de la nation, s’enclenche un nouveau processus de désignation du président de la Céni confié aux huit confessions religieuses retenues par la loi électorale. Après quatre mois pendant lesquels ces dernières n’arrivaient pas à un consensus devenu de plus en plus improbable et illusoire, six d’entre elles décident, à l’issue de dernières soixante-douze heures accordées par le président de l’Assemblée nationale et conformément à leur charte, de transmettre le procès-verbal désignant, à la majorité, Denis Kadima comme candidat des confessions religieuses à la présidence de la commission électorale. Au nom de ces six confessions, le pasteur Dodo Kamba (Église de réveil du Congo) expliquait, amer : « Nous avons tenté de convaincre nos confrères de la Cenco et de l’ECC pour nous rejoindre et revenir à la raison parce que nous n’avons plus le temps à perdre et que nous ne voulons pas porter la responsabilité d’un quelconque glissement ».
A son tour, le bureau de l’Assemblée nationale transmet le rapport des confessions religieuses ainsi que les procès-verbaux de tous les autres candidats aux différentes fonctions de la Céni à la commission paritaire mixte majorité-opposition chargée d’examiner le profil des postulants provenant de différents composantes (confessions religieuses, majorité, opposition, société civile…). Des candidatures reçues, le travail de la commission paritaire a permis de dégager 12 membres sur 15 devant composer le bureau de la Commission électorale. Le quorum de fonctionnement de celle-ci étant largement atteint, la Commission paritaire transmet son rapport au bureau de l’Assemblée nationale.
Lors de sa plénière du 16 octobre, réunissant majorité et opposition, l’Assemblée nationale entérine ces douze membres de la Commission électorale et fait parvenir au chef de l’État le procès-verbal du vote. Le 22 octobre, le président de la République signe l’ordonnance portant investiture de nouveaux membres de la Commission électorale. Le 29 octobre, la nouvelle équipe de la Commission électorale entre officiellement en fonction au cours d’une cérémonie de remise et reprise entre le bureau de Corneille Nangaa et celui de Denis Kadima. Dans son mot d’au-revoir, le président sortant s’est même autorisé une « dernière recommandation » en s’adressant aux agents et cadres de la Céni : « Je vous invite à soutenir le nouveau management même au-delà du soutien que vous m’avez apporté. En fait, vous faites partie des institutions et, en cette noble qualité, vous n’êtes pas des militants des partis politiques quelles que soient vos convictions personnelles. Soutenez donc le nouveau management et cela honorera la République ». A-t-il, lui-même, honoré cette République durant son « management » ? C’est un autre débat…
Le 23 décembre, l’Assemblée nationale approuve la désignation de trois membres issus de l’opposition – et qui appartiennent tous à l’ancienne coalition kabiliste – devant compléter la composition de la Ceni. Le FCC, qui conteste toute l’équipe dirigeante de la Commission électorale, se dit « non concerné » par cette désignation que Martin Fayulu et Adolphe Muzito qualifie de « manœuvres de débauchage par le camp Tshisekedi ». Il n’empêche ! Les trois nouveaux membres attendent leur investiture par ordonnance présidentielle et leur prestation de serment devant la Haute Cour avant leur entrée en fonction.
Médias internationaux et opposition congolaise en phase
Quant à l’investiture de Denis Kadima, les réactions et commentaires dans les médias internationaux ressemblaient, par leur tonalité, à ceux de l’opposition congolaise et d’une coalition de circonstance, le « Bloc patriotique » – aux revendications et objectifs autant imprécis que disparates (*) – regroupant les catholiques du Comité laïc de coordination (CLC), les protestants du Milapro (Ministère des laïcs protestants), le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, Lamuka du duo Martin Fayulu – Adolphe Muzito et une frange du camp de Moïse Katumbi. « Passage en force », « Forcing », « Manque de consensus » sont les critiques qui revenaient souvent. « Tshisekedi passe en force et peine à rassurer » (Afrikarabia, du 23/10/2021), « Le président congolais décide de confirmer le choix controversé de Denis Kadima au poste de la stratégique commission électorale malgré l’opposition de l’épiscopat congolais » (Jeune Afrique et AFP du 23/10/2021).
La palme revient à La Libre Afrique du 22/10/2021 qui titre : « Félix Tshisekedi passe en force et investit Kadima » suivi de ce commentaire qui rappelle davantage un communiqué d’opposant politique qu’une analyse journalistique sereine de la situation : « Ce vendredi 22 octobre, malgré les critiques de la société civile, des Églises catholiques et protestantes, des partis de l’opposition et même de certaines formations de l’Union sacrée ou de la mise en garde, la veille, de Moïse Katumbi, le président Félix Tshisekedi a décidé d’entériner son favori, Denis Kadima Kazadi, à la tête de la Céni » ! Sur quels éléments factuels l’auteur de cet article, Hubert Leclercq, se fonde-t-il pour affirmer que Denis Kadima est le « favori » de Félix Tshisekedi ? Ignore-t-il ou feint-il d’ignorer que ce dernier était le candidat de l’Église kimbaguiste au même titre que ceux présentés par d’autres confessions religieuses ? Devient-on le « favori » d’un président, d’un ministre, d’un député ou d’un journaliste par le seul fait de provenir de la même province que lui ?
Seuls les candidats de « puissantes églises » présentés par la Cenco et de l’ECC, et non retenus par la majorité des confessions religieuses, étaient dignes de devenir « président de la Céni » ? Quand bien même le candidat désigné par les six « petites églises » serait le « favori de Tshisekedi », en quoi ce choix présuppose-t-il des élections non transparentes ? Et pourquoi se focaliser sur le seul nom de Denis Kadima alors que c’est tout un bureau de douze membres qui avait été investi ?
Du fameux « manque de consensus »
Dans ce brouhaha de désinformation fait à dessein ou non, le « manque de consensus » revient souvent. C’est oublier qu’il appartenait aux confessions religieuses – et à elles seules ! – de trouver le consensus concernant la désignation du candidat président de la Céni. Faute de consensus, le vote de la majorité de ces confessions a prévalu. L’Assemblée nationale a entériné en séance plénière ce vote. Le président de la République a investi le nouveau bureau de la Céni. Quel consensus fallait-il encore rechercher ? Un consensus, non prévu par la loi électorale, entre personnalités ou formations politiques (majorité et opposition confondues) qui, tout en vociférant contre la « politisation » de la Céni, s’évertuent en même temps à vouloir la cannibaliser comme sous la « kabilie » ?
Partant du fait que consensus ne signifie pas nécessairement unanimité, faudrait-il pérorer sur le manque de consensus parce que le candidat proposé à la présidence de la Céni n’était pas le choix de la Cenco ou de l’ECC ? Ne faudrait-il pas, plutôt, être interpellé par l’intransigeance et l’arrogance des « catholiques » et des « protestants » par rapport aux six autres confessions religieuses formant leur plateforme ?
Une Céni forte et non un président de la Céni fort
Prenant la mesure des enjeux et de la nécessité d’organiser des élections libres, transparentes et crédibles dans les délais constitutionnels avec une Commission électorale non partisane, certaines voix congolaises, dont Denis Kadima n’est certainement pas le « favori », se distancient de ce débat de « politique politicienne » en s’efforçant de « remettre l’Église au milieu du village ». Notons la déclaration faite à la presse le 23 octobre par Joseph Nkinzo, coordinateur du Collectif d’action de la société civile (CASC) : « Il n’est plus question de polémiquer. Il est temps pour chacun de prendre sa responsabilité à son niveau et de pouvoir s’assumer. Nous devons accompagner ce processus, nous devons soutenir cette Céni, et exiger d’eux la transparence et l’organisation des élections crédibles et participatives où chacun pourra se retrouver ».
Relevons aussi, malgré le manque de consensus observé au niveau des confessions religieuses, le communiqué de presse tout en nuance diffusé, le 29 octobre, par Jean Pierre Bemba, président du MLC : « Au nom de la cause nationale, j’exhorte les uns et les autres de privilégier l’intérêt national en œuvrant ensemble pour des élections libres, crédibles, transparentes et inclusives. Il est possible de renforcer la loi électorale en permettant la publication des résultats de chaque bureau de vote dès la fin des scrutins (…). « Le fait d’avoir un représentant au bureau de la Céni ne garantit pas la victoire électorale et, en même temps, le fait de ne pas en avoir ne renvoie pas non plus à un échec programmé au scrutin. L’ambition est d’avoir une Céni forte et non un président de la Céni fort ».
Croisade diplomatique Cenco-ECC
Pendant ce temps-là, la Cenco et l’ECC préféraient se livrer à une croisade diplomatique pour le moins abracadabrantesque. Le 30 octobre, le cardinal Fridolin Ambongo se rend à Brazzaville pour recueillir les « conseils » du président Denis Sassou Nguesso sur la « désignation controversée » du nouveau président de la Commission électorale de la République démocratique du Congo ! « Notre position est claire ; notre avis est contre le choix de celui qui a été investi par l’Assemblée nationale et confirmé par le président de la République », déclare le prélat à la presse au sortir de son audience avec le président Sassou Nguesso (Loïcia Martial, RFI).
Le 28 octobre, une délégation de la Cenco et de l’ECC était à Bruxelles pour « plaider » auprès de l’Union européenne ! Composée de Mgr Marcel Utembi (archevêque de Kisangani), Eric Senga (secrétaire général et porte-parole de l’ECC), l’abbé Donatien Nshole (secrétaire général et porte-parole de la Cenco), le père Clément Makiobo (sercrétaire exécutif de la Commission Justice et Paix), la délégation formule un catalogue de demandes parmi lesquelles : « faire pression sur le régime congolais, et en particulier sur le chef de l’État pour que soit donné à la population congolaise un accès à des élections crédibles en 2023 » ; « appuyer diplomatiquement différentes mesures nécessaires à des élections transparentes » (La Libre Afrique du 28/10/2021).
Méthode Coué ?
Une question vient à l’esprit : pourquoi, au lieu de se livrer à une croisade diplomatique aux allures de méthode Coué, la Cenco et l’ECC ne vont-elles pas, plutôt, dans leurs paroisses ou dans leurs églises auprès de leurs « nombreux » fidèles (« plus de 90 % de la population », selon le Cardinal Fridolin Ambogo), « plaider » leur cause et expliquer le pourquoi du manque de consensus au sein de la plateforme confessions religieuses ? Seul le Saint-Esprit pourrait répondre à cette question, car « Les hommes seront égoïstes » (2 Timothée 3.2) et « Tous cherchent leurs propres intérêts » (Philippiens 2.21).
Polydor-Edgar Kabeya
Juriste, Consultant en médias et communication
Rédacteur en chef de la revue « PALABRES zaïro-congolaises » (Éditions L’Harmattan, Paris)
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(*) Le 13 novembre, ce « Bloc patriotique » organise une « Marche anti-Fatshi » (comprenez une marche contre Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo). Les mots d’ordre vont dans tous les sens. Morceaux choisis : « Non à Denis Kadima », « Non à une Céni politisée », « Non à l’abrutissement de nos enfants », « Non à la paupérisation des enseignants », « Non à l’absence de l’autorité de l’État », « Non à l’état de siège à l’Est », « Non à l’escroquerie via RAM » (taxe sur le Registre des appareils mobiles)…
Lors de cette marche, Martin Fayulu et Adolphe Muzito brillent finalement par leur absence. Sursaut de dernière minute pour ne pas s’afficher en compagnie des « médiocres » de la « kabilie » qui avaient transformé le pays « en une prison à ciel ouvert » (dixit feu le cardinal Laurent Mosengwo) ? « Nous avons seulement répondu à l’appel de pères religieux », essayait de relativiser Marie-Ange Mushobekwa, députée FCC et ancienne ministre de la Justice et des… « droits humains », comme pour minimiser ce surprenant attelage. Il semble, selon certaines indiscrétions, qu’il ne fallait pas faire de l’ombre aux caciques du FCC parmi lesquels Aubin Minaku (ancien président de l’Assemblée nationale) et, surtout, Emmanuel Ramazani Shadary (candidat de Joseph Kabila à l’élection présidentielle de décembre 2018) qui, fidèle à ses excès de langage, profita de la situation pour dénoncer « les incompétents au pouvoir, les microbes politiques et une dictature dépassant celle de Mobutu » ! Un délire kabiliste qui se passe de tout commentaire…
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NOTA BENE : Cet article est la version remaniée et actualisée de celui publié dans la revue « PALABRES zaïro-congolaises » (jusque-là dénommée « Palabres ») de décembre 2021, et enrichi par l’éclairage des informations et faits survenus pendant que la revue était en cours d’édition.