Les événements survenus, dans la nuit du 11 au 12 mai 1990, à l’université de Lubumbashi (Unilu), continuent à hanter la vie de Rose-Marie Baramoto Koto, 39 ans, sœur cadette de l’ancien patron de la Garde civile, le général Philémon Kpama Baramoto. Inscrite dans cette université au cours de l’année académique 1984-1985, à la faculté des sciences politiques (option: Relations internationales), « Rose » a été victime, le 9 mai 1990, d’une violente agression de la part d’un groupe d’étudiants. Cette attaque semble constituer le point de départ d’un incident qui prendra la tournure d’une affaire d’Etat: le « massacre » de Lubumbashi. La jeune dame réfute avec énergie l’information selon laquelle elle aurait provoqué ses agresseurs en les traitant de « fils de pauvres ». Elle dénie à l’étudiant David Beya Batakalwa, qui se trouverait à Genève, le rôle de « témoin important » qui lui est accordé dans le livre « Le dinosaure » de C. Braeckman. Selon elle, Beya ne résidait plus au campus. Il avait perdu le droit au logement après avoir refait sa première année de licence en Relations internationales.
Baramoto Koto est catégorique: « Beya ne se trouvait pas au campus au moment des faits. C’est lui qui a donné des informations tendancieuses au consul général de Belgique ». Il en serait de même du « frère » Victor Digekisa Piluka, présenté comme le « témoin oculaire » du « massacre ». L’homme logeait non pas au campus mais à la paroisse de l’Eglise Saint Esprit. Depuis mars 1999, Rose-Marie vit à Bruxelles. Elle est mariée et mère d’une petite fille. Voici sa part de vérité.
Le 24 avril 1990, le président Mobutu annonce la démocratisation du pays. Quel était l’ambiance à l’université de Lubumbashi?
La joie se lisait sur les visages des étudiants sauf sur ceux des originaires de l’Equateur qui avaient mis le « drapeau plutôt en berne ». A travers des quolibets, on sentait déjà une ambiance de défiance. Un clivage commençait à se dessiner entre les « gens de l’Equateur » et les « autres ». Fort heureusement, il n’eut pas d’actes de violence.
Le 3 mai, le chef de l’Etat prononce devant le Parlement le discours dit de « clarification »…
Ce discours a engendré une forte agitation au campus. Les étudiants sont descendus manifester dans la rue en criant: « C’est la démocratie, nous avons maintenant la liberté de parler ». D’aucuns suspectaient le maréchal de vouloir rétablir l’ordre ancien.
Que ce qui vous est arrivé le 9 mai? Aviez-vous insulté vos camarades en les traitant de « fils de pauvres? »
(Soupir). Je n’ai jamais prononcé ces trois mots. Je ne sais pas qui les a inventés. Tous les étudiants de ma promotion savent que je n’ai jamais eu d’écart de langage à leur égard. J’ai toujours été polie. L’incident survenu à mon « ami », qui aurait violé le code de roulage imposé par les étudiants, est parfaitement faux. D’abord, c’est un taxi qui m’a conduit à l’université. Ensuite, le véhicule a quitté le campus sans heurts. On a raconté toutes ces histoires pour les besoins de la cause. Les latinistes disent: « affirmanti non reganti incumbit probatio ». Ce qui signifie que la charge de la preuve incombe à celui qui affirme et non pas à celui qui nie. Je suis formelle: il n’y a jamais eu de massacre d’étudiants au campus de Lubumbashi dans la nuit du 11 au 12 mai 1990. Tous ceux qui parlent de tuerie massive n’invoquent à l’appui que des hypothèses du genre « si les troupes d’élites sont intervenues au campus c’est la preuve que l’ordre venait de Mobutu ». Quand ils citent des témoignages, ceux-ci sont généralement anonymes. Qui a vu les soldats de la DSP au campus dans cette obscurité? J’imagine que ces soldats se présentaient à leurs victimes avant de les « égorger »? Ceux qui ont parlé d’un « commando venu d’ailleurs » ignoraient sans doute que depuis la guerre du Shaba I et Shaba II, respectivement en 1977 et 1978, plusieurs bataillons des Forces armées zaïroises stationnaient dans cette province. Le pouvoir avait-il besoin de faire venir des militaires de Kinshasa ou de Gbadolite, à plus de 2.000 km, pour attaquer des étudiants non armés? J’ai aujourd’hui la profonde conviction que cette affaire n’était qu’une immense cabale politico-diplomatique à l’image de fameux « charniers » de Timisoara. Il me paraît clair que certaines puissances étrangères cherchaient à décapiter le pays. La guerre froide étant finie, certains dirigeants africains étaient devenus encombrants. Lubumbashi n’est qu’un fallacieux prétexte. Depuis le 17 mai 1997, le pays est dirigé par les Kabila. Pourquoi les parents des victimes ne se manifestent-ils pas alors qu’ils ne risquent rien?
Que s’est-il passé le 9 mai?
Voici ma part de vérité. Le 9 mai, je revenais du centre-ville où j’ai été faire quelques emplettes pour la semaine. Au retour, j’ai pris un taxi au « Carrefour ». Il était 21 heures lorsque le taxi m’a ramené au campus. Au niveau de l’Eglise Saint Esprit, j’ai remarqué des bris de glace sur la route. Il y avait deux voitures de la Gécamines, de marque Peugeot, complètement démolies. Arrivée au campus, j’ai aperçu un attroupement d’étudiants au niveau du Bloc 10 où il y a l’arrêt du bus. Après avoir payé ma course et quitté la voiture, je me suis adressé au groupe qui était en face: « Je suis une étudiante comme vous. J’aimerais savoir ce qui se passe ». « Kanga mbanga na yo. Yo nde tozalaki koluka », m’a répondu un étudiant en Lingala. (Traduction: Ferme ta gueule, c’est toi qu’on recherchait). J’entendis par la suite une voix ajouter: « On les cherchait (Ndlr: les étudiants originaires de l’Equateur), nous avons entre les mains une personne de leur groupe. Elle ne va pas nous échapper. Elle doit payer ». Aussitôt une pluie de coups, de gifles s’abattit sur mon corps. J’étais vêtue d’un pagne et d’une blouse qui m’ont été arrachés. On m’a promené à travers le campus en tenue d’Eve. Quelques étudiantes, en sanglot, suivaient toute la scène. Comme dans une balançoire, j’étais propulsée à gauche, à droite. .. J’étais comme un jouet à la merci des fantaisies des étudiants en furie. Je criais, je me débattais sans succès. J’ai attendu longtemps une main secourable. C’est fut un cauchemar. C’est l’étudiant Gerembuyi, ceinture noire de karaté, qui m’a arraché des mains de mes tortionnaires. Il revenait d’une séance d’entraînement.
Pourquoi vos camarades s’en sont-ils pris à vous?
Après le discours présidentiel du 3 mai, des bruits circulaient selon lesquels un groupe non autrement identifié aurait établi une liste des étudiants appartenant aux familles des dignitaires de la IIème République, « à punir ». C’est le cas notamment de: Enge Nzondomyo, Fangbi Santos, Mpanu-Mpanu et moi-même. En fait, je suis tombée au mauvais endroit au mauvais moment.
Il semble que des « mouchards » auraient été appréhendés dans le campus avec des talkies walkies et des jumelles à infrarouge?
C’est du roman, cette histoire de « mouchards ». Ce qu’on a prétendument appelé « mouchards », ce sont des « brigadiers » chargés du maintien de l’ordre dans le campus. Ils avaient une permanence et une sorte de « cachot » et y mettaient tous les « perturbateurs ». Les « brigadiers » étaient tous des étudiants. Avant le 24 avril 1990, certains d’entre eux s’affichaient en tenue militaire. A l’époque, cette situation ne suscitait aucune émotion. Ni attention. Le dirigeant de l’époque s’appelait Mupupa. Après mon passage à tabac, mes agresseurs ont décidé, à haute voix, d’aller « visiter » les chambres des étudiants originaires de l’Equateur. Les chambres ont été pillées et les effets personnels détruits. « Nous connaissons leurs chambres. Nous allons les cueillir un à un », martelaient certains. Les étudiants Mange, Yokoto et Zongia, fils du général Zongia, ont été extraits de leurs chambres avec violence. Tous les trois étaient des « brigadiers ». Ils ont été battus toute la nuit jusqu’à 8 heures du matin. Gilba Sambia a eu plus de chance. Après avoir été battu, il a réussi à fausser compagnie aux assaillants. Il trouva refuge dans la garde de robe d’un autre étudiant.
Que ce qui s’est passé par la suite?
Personne n’est venu à notre secours. Pas un brigadier en vue. C’est le commandant de la Garde civile, Roger Lokombe, qui s’est amené avec ses hommes, au matin du 10 mai, pour délivrer les trois étudiants qui étaient dans un état quasi comateux. Ils ont subi une véritable séance de torture dans un fossé. Les agresseurs leur ont jeté de la paille et y ont mis le feu. Je m’étais caché dans la chambre 60 du Bloc 2, chez « tantine » Hortense Vungbo, une nièce du ministre Nzege Alaziambina. Elle était étudiante en sciences économiques. Personne ne savait où je me trouvais. A travers une petite ouverture, j’ai pu voir les éléments de la garde civile boucler le campus. Personne ne pouvait entrer ni sortir. Ce sont les militaires du camp Kasapa qui sont allés informer le responsable de la Garde civile sur l’agitation qui régnait au campus. Au vu des agents de l’ordre, Gilba a couru vers le commandant Lokombe pour lui signaler ma présence. Le bruit avait couru que j’étais morte. C’est la rage au cœur que j’ai vu les éléments de cette unité quitter l’université avec les trois blessés. J’étais dans un piteux état. Je ne savais plus marcher. Je suis restée dans ma cachette.
Quand avez-vous pu quitter le campus?
Dans la soirée du 10 mai, le commandant Lokombe est revenu au campus. C’est ainsi que j’ai pu quitter mon refuge et gagner son domicile. Le commandant était, au demeurant, mon « tuteur » à Lubumbashi. Le 11 mai, on m’a amené à l’hôpital Gécamines Sud pour recevoir des soins et faire quelques examens. Ayant appris que j’étais chez Lokombe, quelques étudiants de l’Equateur sont venus me témoigner leur sympathie. J’avais le visage tuméfié. Certains d’entre eux ont dit tout haut que le traitement qui m’a été infligé était une humiliation qui devait être lavée. « Nous ne regagnerons le campus que lorsque nous aurons réglé ce compte. A défaut, les étudiants originaires de l’Equateur passeront désormais pour des chiffes molles », disaient-ils quasiment en chœur.
Que savez-vous des événements survenus dans la nuit du 11 au 12 mai 1990?
Comme je l’ai dit précédemment, tous les étudiants originaires de l’Equateur s’étaient réfugiés en ville chez des amis ou parents. A Lubumbashi, l’interruption de la fourniture d’eau et d’électricité était souvent utilisée, par les autorités régionales, à chaque situation de crise à l’université. C’était un moyen de pression pour contraindre les étudiants à faire preuve de « souplesse ». Contrairement à ce qui a été écrit et dit, le gouverneur Koyagialo n’avait pas ordonné cette interruption d’eau et d’électricité pour faciliter le « travail » aux originaires de l’Equateur. L’idée d’organiser une opération de représailles est venue des étudiants. Dans la nuit, les « équatoriens » se sont peints le visage en noir et blanc. C’est le déclenchement de l’opération « Lititi mboka ». La contre-attaque a commencé à l’endroit appelé « Taille basse » du côté d’un café dénommé « Ka ». Tous ceux qui hésitaient à dire « Mboka » à l’énoncé du mot « Lititi » étaient considérés comme faisant partie du camp adverse. Les chambres et les biens des agresseurs furent également saccagés.
Que s’est-il passé après ces événements?
Le gouverneur décida de renvoyer les étudiants dans leur lieu d’origine. On connaît la suite. A savoir, l’exploitation médiatique et politicienne faite autour de cette affaire. Pour ma part, je persiste et signe: il n’y a pas eu de massacre d’étudiants au campus de Lubumbashi. Début juin, le général Donatien Mahele Lieko est venu à Lubumbashi. Il résidait chez André Atundu qui était à l’époque le délégué général adjoint à la Gécamines. Au vu de mon état, le général décida de m’embarquer dans le même avion pour rentrer à Kinshasa. Mon frère, le général Baramoto, se trouvait en Egypte, en mission, au moment de ces événements. De retour à Kinshasa, mon frère a regretté ma venue dans la capitale. Pour lui, je devais rester à Lubumbashi jusqu’à la réouverture de l’université. C’est ainsi que j’ai regagné la capitale du cuivre en 1991. Aucun étudiant ne manquait à l’appel. A l’exception d’Ilombe wa Ilombe. Les médias ont publié des listes fantaisistes des étudiants soi-disant morts ou disparus. L’étudiant David Beya Batakalwa était le principal informateur du consulat général de Belgique. Il a induit sciemment en erreur le consul général de Belgique, à Lubumbashi, en lui fournissant des informations tendancieuses. Dans quel but? C’est la question que je me pose à ce jour. Le diplomate s’est empressé de les transmettre au ministère des Affaires étrangères à Bruxelles. D’ailleurs, Beya n’était pas un étudiant régulier. Il avait quasiment élu domicile dans cette mission consulaire. Avant de terminer j’aimerais parler du gouverneur Koyagialo. A Lubumbashi, l’homme était respecté de tous. Les étudiants l’appelaient « Baba » (Père). Il était apprécié tant pour ses qualités humaines que pour ses actions qui visaient l’amélioration de la qualité de vie de la population. Personne au Katanga ne peut mettre en doute ce que je dis. Koyagialo n’a été qu’un bouc émissaire. La justice zaïroise n’avait pas traité ce dossier dans la sérénité. Il y avait comme une panique généralisée au niveau du pouvoir. Il faut dire que les pays occidentaux avaient décidé l’interruption, en cascade, de leur coopération avec le Zaïre. D’où l’idée de « sacrifier » une personnalité pour calmer l’ire des pays nantis. Lentement mais sûrement, la vérité commence à triompher. La réhabilitation du gouverneur Koyagialo constitue un premier pas important dans cette direction. La Commission vérité et réconciliation fera le reste…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi