Inauguré en 1790 par l’Américain Georges Washington, le discours sur l’état de la nation (ou de l’Union) est l’occasion pour le chef de l’exécutif américain de décrire son programme économique, social et financier pour l’année en cours. Au Congo-Kinshasa, ce speech annuel est une obligation constitutionnelle. Le chef de l’Etat entretient la nation sur les faits majeurs survenus au cours de l’année qui s’achève tout en jetant un regard vers l’avenir. Dans son premier discours sur l’état de la nation qu’il a prononcé le 13 décembre 2019, le président Felix Tshisekedi Tshilombo avait annoncé que l’année 2020 sera « l’année de l’action« . Dans son second speech du genre, le 14 décembre 2020, il avait annoncé notamment « la libéralisation du secteur de la distribution d’eau et d’électricité« . Qu’en est-il du résultat? On le sait. La coalition Fcc-Cach est passée par là. Dans son adresse du 13 décembre 2021, le chef de l’Etat a demandé au gouvernement « d’accélérer la mise en œuvre de projets à impacts rapides et visibles« . Il cite notamment…l’eau, l’électricité et la santé. Le gouvernement pourrait-il faire des miracles? Le temps est en passe de devenir le « meilleur adversaire » de « Fatshi« . Plus que douze mois pour rencontrer les véritables préoccupations des citoyens. L’année 2023, année électorale, verra les pouvoirs publics fonctionner en mode « service minimum« .
Commençons par « positiver » comme aimait dire un « grand confrère » qui a « guidé » les premiers pas de l’auteur de ces lignes. L’intéressé se reconnaitra.
Chacun peut aimer ou ne pas aimer Felix Tshisekedi. L’homme qui est à la tête de l’Etat congolais depuis bientôt trois ans, a rompu avec ses débuts timides, empreints d’hésitations et de tâtonnement. Il semble de plus en plus à l’aise avec la gestion des affaires publiques. Il a désormais de l’assurance autant que de la prestance d’un d’homme d’Etat.
Lundi 13 décembre, c’est un homme Etat qui s’est adressé, pour la troisième fois, aux 390 députés et 90 sénateurs réunis en Congrès au Palais du peuple. La solennité y était. Hormis la Présidence en exercice de l’Union Afrique et la participation du numéro un Congolais au sommet sur l’environnement à Glasgow – des sujets qui n’ont pas eu l’heur d’emballer l’attention de l’assistance -, l’orateur a fait un bon discours. Il a abordé les principaux sujets qui « hantent » les esprits. Sauf le très controversé « RAM » (Registre des appareils mobiles).
Selon le ministre de la Communication et des médias, Patrick Muyaya Katembwe, « le chef de l’Etat ne pouvait pas aborder tous les sujets dans un discours d’une heure vingt minutes« . Sans doute. Il reste qu’un discours ne peut être écouté et entendu que lorsque les auditeurs y trouvent des sujets qui rencontrent leurs attentes. Si on n’y prenait garde, le « RAM » pourrait devenir un boulet au pied de « Fatshi ». Alarmisme? Nullement!
Revenons au Palais du peuple. Sur le plan de la forme, on ne pourrait s’empêcher de déplorer la présence des « combattants » du parti présidentiel dans ce lieu réputé « inviolable« . Le même spectacle a eu lieu lors du speech présidentiel du 14 décembre 2020. Après trois décennies passées dans les rangs de l’opposition, l’UDPS éprouverait-elle du mal à devenir un « parti du gouvernement »? Les dirigeants de cette formation politique en l’occurrence Jean-Marc Kabund et Augustin Kabuya seraient-ils incapables de discipliner leurs militants?
Lundi 13 décembre, Felix Tshisekedi a donné l’impression de se sentir à l’étroit dans le régime semi-parlementaire en vigueur au Congo-Kinshasa. Tout au long de son adresse, il semblait naviguer dans les eaux d’un « régime mixte« . Il s’agit d’un régime « qui combine les éléments empruntés au régime présidentiel et ceux appartenant au régime parlementaire« , disent les constitutionnalistes. A plusieurs reprises, le Président de la République a répété ces mots: « J’ai instruit le gouvernement… ». Le deuxième alinéa de l’article 91 de la Constitution congolaise stipule que « le gouvernement conduit la politique de la nation« . L’alinéa 5 de cette même disposition précise que « le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale (…) ». Garant du bon fonctionnement des institutions, le chef de l’Etat devrait exercer ce que les juristes belges appellent « la magistrature d’influence« . Il ne peut en aucun cas poser des actes de gestion. Question: en « instruisant » le gouvernement, le premier magistrat du pays voudrait-il dire que l’équipe dirigée par le Premier ministre Sama Lukonde serait loin d’être à la hauteur des espoirs qu’il avait suscités? Que répondre à ceux qui estiment, au contraire, que le « Programme de 100 jours » aura été la plus grosse erreur commise par le duo Fatshi-Kamerhe?
Dernière observation sur la forme. Le chef de l’Etat a fait, à plusieurs reprises, usage, du mot « malheureusement » en évoquant des pesanteurs qui existeraient au sein de l’appareil judiciaire. Cet adverbe renvoie à un certain dépit. D’aucuns l’ont accueilli comme un aveu de « faiblesse« . Président du Haut Conseil de la République, Mgr Laurent Monsengwo Pasinya a laissé une phrase célèbre: « Celui qui détient le pouvoir ne se plaint pas, il agit!« . La grande majorité de la population congolaise est stupéfaite de constater que le vent du changement tarde à souffler sur les comités de gestion qui régentent les entreprises publiques REGIDESO (Eau) et SNEL (Electricité).
Qu’en est-il du fond du discours présidentiel? On peut épingler quelques thèmes.
Etat de siège. Proclamé depuis le 6 mai dernier, l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu va vers son huitième mois. Le chef de l’Etat a vu juste en déclarant que l’insécurité qui prévaut depuis un quart de siècle à l’Est du pays est un « mal qui anéantit tous nos efforts de développement« . Pour lui, « l’intégrité de la nation congolaise doit demeurer la préoccupation de tous les Congolais, (…) ». Il a invité tous ceux qui s’opposent à cette opération « à rejoindre le camp de la patrie« . Sera-t-il entendu?
Le déploiement des troupes ougandaises. Le Président de la République est passé très vite sur ce sujet. Il a certes précisé que l’Ouganda et le Congo ont décidé de « mutualiser » leurs moyens pour combattre les rebelles ougandais dits « ADF« . Il a précisé également qu’il veillera « à limiter au temps strictement nécessaire à ces opérations, la présence de l’armée ougandaise sur notre sol« . Les Congolais en général et les originaires des deux Kivu et de l’ex-Province Orientale ont encore frais en mémoire les dégâts causés par les armées de l’Ouganda et du Rwanda lors de l’occupation de cette partie du pays de 1998 à 2005. Les plaies psychologiques sont encore béantes. La présence des soldats de l’UPDF sur le sol congolais est une mesure impopulaire.
Etat de droit. Felix Tshisekedi a salué le travail accompli par l’Inspection générale des Finances tout en faisant remarquer que « l’IGF ne peut remplacer l’action du Pouvoir judiciaire ayant seul la mission de dire le droit« . Il ne se passe pas un jour sans que l’on entende une famille congolaise se plaindre des agissements de certains magistrats. L’opinion nationale a noté l’engagement pris par le chef de l’Etat de « poursuivre les réformes courageuses dans le secteur de la justice, (…) ». La population, elle, attend du concret.
La couverture santé universelle. Le chef de l’Etat a annoncé, par ailleurs, que le gouvernement s’apprête à verser au « Fonds de solidarité de santé, la contribution pour la prise en charge des indigents, ainsi que la part patronale de la contribution des agents de carrière des services publics de l’Etat« . Ici aussi, le peuple congolais, repu des promesses, attend juger les actes.
Mobilisation des ressources. « Felix » a relevé avec justesse que « le financement du développement de notre pays ne peut pas reposer uniquement sur les ressources extérieures« . Il a relevé également qu’une meilleure gouvernance du secteur extractif devrait permettre à l’Etat de mobiliser davantage des ressources pour financer ses chantiers tels que la gratuité de l’enseignement et la couverture santé universelle.
Services sociaux de base. Trois années après son accession au sommet de l’Etat, Tshisekedi Tshilombo a eu le courage – tardif? – de reconnaitre que « la situation sociale de nos compatriotes n’est pas reluisante« . Il a fait état des difficultés rencontrées par les ménages pour nouer les deux bouts du mois et d’accéder à l’eau, électricité, soins de santé et les transports. Il a demandé au gouvernement « d’accélérer la mise en œuvre de projets à impacts rapides et visibles« . Sans omettre le lancement d’un « ambitieux programme de développement du pays par la base, à travers ses 145 territoires« .Vous avez dit « projets à impact rapide et visible »?
Pour les Congolais avertis, c’est du déjà entendu! Sans vouloir faire injure à « Fatshi », le Premier ministre Antoine Gizenga avait tenu un discours analogue quelques mois avant son départ de la Primature. Les Congolais ont attendu en vain le miracle annoncé.
L’année 2023, c’est déjà demain. Sans alarmisme, Felix Tshisekedi n’a plus que douze mois pour convaincre. Le temps devient plus que jamais le « meilleur adversaire » de l’exécutif en place. Que faire? Le Président de la République l’a dit: « Il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut« . Sans atermoiements.
Baudouin Amba Wetshi