Le système politique. Encore le système politique. Toujours le système politique. Qu’elles soient verbales ou écrites, voilà sur quoi porte l’essentiel de nos réflexions depuis le 24 avril 1990, date du lancement officiel du deuxième processus de démocratisation dans notre pays inutilement grand. Et nous ne cesserons de faire œuvre de pédagogie. Tel était une fois de plus l’objectif de notre dernier article posant la question à dessein provocante de savoir si Joseph Kabila, nos policiers et soldats étaient des médiocres. Le décor était pourtant bien planté. D’un côté, des policiers et soldats congolais se conduisant comme des vulgaires criminels dans leur propre pays face au peuple qu’ils sont censés protéger. De l’autre, les mêmes policiers et soldats se montrant très performants dans la protection des civils dans le cadre d’une mission de maintien de la paix des Nations Unies sous d’autres cieux. Entre les deux cas de figure, ces policiers et soldats n’ont suivi aucune formation additionnelle pour les préparer à leur devoir.
Mais les réactions ont une fois de plus souligné l’immensité du blocage psychologique de l’intelligence des Congolais ou des Africains face aux défis de la gouvernance. Comment s’en étonner quand on sait qu’après une désillusion aussi amère que celle consécutive à notre deuxième processus de démocratisation et cela après deux législatures issues des élections de 2006 et 2011, opposants et acteurs de la société civile n’ont les regards fixés que sur une et une seule chose, l’organisation des élections qui devaient mettre un terme au deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila le 19 décembre 2016. L’alternance dite démocratique en lieu et place de l’alternatif à un modèle politique éminemment boiteux.
Qu’il ait été bien ou mal élu, Joseph Kabila ne fait aucune différence entre ses poches et les caisses de l’Etat. Il puise librement dans celles-ci à des fins d’enrichissement personnel et pour corrompre acteurs politiques et de la société civile et faire du lobbying à l’extérieur afin de mieux se cramponner au pouvoir. Il respecte la Constitution quand il y trouve son intérêt personnel. Il la viole quand elle fait obstacle à celui-ci. Il massacre les Congolais qui exercent leur droit de manifester pourtant reconnu par la Constitution. La démocratie tant chantée et espérée n’est qu’un simulacre. Mais les faits et gestes du nouveau despote importent peu. Ce qui compte et qui devrait interpeller les consciences, c’est l’impunité dont il jouit. Cela signifie que les contre-pouvoirs prévus par la Constitution ne sont pas opérationnels. On est donc en face de ce qu’il convient d’appeler dysfonctionnements systémiques. Mais les Congolais, intellectuels de haut niveau, hommes politiques au verbe haut et lettrés de bas étage ne s’interrogent pas à ce sujet. Cela ne suscite aucun débat à l’échelle des partis, dans les milieux des professionnels de la pensée ou au niveau national. Tout se passe comme s’il suffisait d’aller aux élections, pour la troisième fois, pour que les contre-pouvoirs se mettent à fonctionner.
Le clientélisme, à travers des partis politiques qui se créent au nom de la démocratie et dans lesquels celle-ci demeure pourtant un objet politique non identifié; le clientélisme, à travers des partis politiques dont les idéologies ne reposent sur aucun vécu social d’intérêt national en termes de conflits et aspirations; le clientélisme, à travers des majorités présidentielles dictées par la politique du ventre puisqu’issues d’aucune négociation sur la politique à mener ensemble au gouvernement; le clientélisme, surtout à travers la trop grande capacité de patronage du président de la république dans les corps constitués de l’Etat et sa toute-puissance à démettre à sa guise les hauts commis de l’Etat, voilà qui rend inefficaces les contre-pouvoirs prévus par la Constitution, plaçant ipso facto le chef de l’Etat au-dessus de la loi. Dès lors, le fonctionnement de l’Etat dépend de son bon vouloir. S’il veut laisser de lui-même l’image d’un homme d’Etat, il s’appuie sur sa toute-puissance pour atteindre son objectif. S’il n’a cure d’être perçu comme un despote fainéant, prédateur et jouisseur, il se sert de cette même toute-puissance en toute impunité. S’il ne veut pas quitter le pouvoir au terme de son dernier mandat, il multiplie les subterfuges, toujours en toute impunité, pour ne pas organiser les élections et régner éternellement aux cris imbéciles de « wumela » lancés par ses thuriféraires. S’il se moque qu’on se souvienne de lui comme d’un dirigeant sanguinaire, il massacre la population impunément tout en faisant sienne cette parole de l’Empereur romain Caligula: « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ».
Puisque le destin a fait des anciens colonisés que nous sommes de simples imitateurs de ce que les ex-colonisateurs ont pu inventer afin de mieux se gouverner, des « bisuivra-suivra » comme dirait Tantine Abeti Masikini ou encore des « Malanda-ngombe » pour emprunter au vocabulaire de Koffi Olomide, pourquoi ne les imitons-nous pas dans ce que leur système politique a de substantiel? Pourquoi ne comprenons-nous pas qu’en Occident, le fonctionnement des institutions ne dépendent pas du bon vouloir du premier des citoyens? Avec un président bien atypique, les Etats-Unis ne cessent-ils pas de nous montrer comment ils parviennent à contrôler et à sanctionner le pouvoir de Donald Trump? Pour nous imprégner de la capacité du système politique américain à minimiser l’ampleur du clientélisme politique, prenons le cas qui est sans doute le plus emblématique, celui de Matthew Spencer Peterson.
Matthew Spencer Peterson est membre de la Commission électorale fédérale. Il a été nommé par le président Donald Trump à la Cour de district des Etats-Unis pour le district de Columbia. Mais il s’est fait un nom à la suite de sa performance remarquablement médiocre lors de l’audition de confirmation devant le Comité judiciaire du Sénat. Le sénateur républicain John Kennedy, qui est donc du même parti politique que le président Trump, lui avait alors demandé s’il connaissait la terminologie juridique de base. Petersen, qui n’a passé que trois ans à travailler sur des litiges, n’a pu définir aucun des termes. L’échange est devenu viral après que le sénateur démocrate Sheldon Whitehouse l’ait posté sur Twitter. La débâcle Petersen marquait la troisième nomination de Trump à imploser au Sénat.
Le président le plus puissant au monde peut à tout moment voir sa nomination ou décision rejetée. Mais cela reste difficile voire impossible pour les nominations et décisions prises par les présidents africains alors même que ces derniers sont des quantités négligeables sur l’échiquier international. Cette contradiction ne se réglera pas d’elle-même. Pour minimiser ou mettre un terme à l’incurie qui gangrène, depuis les indépendances, les Etats africains, ces « pays de merde » comme Trump les a décrits avec raison, les Africains doivent sortir de la merde dans laquelle ils sont plongés en matière de gouvernance, laquelle merde les poussent à se satisfaire de pâles copies de la démocratie occidentale. Une pâle copie ne peut pas donner le même résultat que le modèle original. Quand nous rendrons-nous compte d’une telle évidence? Chaque fois que nous prononçons l’expression « démocratie occidentale », est-il si difficile de comprendre que cela implique que d’autres systèmes démocratiques sont possibles et imaginables? Pourquoi nous acharner à répéter la même erreur? Pourquoi enfermons-nous le destin de nos peuples tant martyrisés dans un cercle vicieux alternant espoirs immenses et désillusions amères? Comment pouvons-nous rester idiots pendant des décennies et cela de génération en génération? Kibolole na biso ekosila mokolo nini?
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
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