De la « lettre ouverte de l’Asadho aux membres du gouvernement Ilunga 1er »

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Président de l’Association Africaine des Droits de l’Homme (Asadho), Jean-Claude Katende a écrit, au nom de son organisation, une lettre ouverte aux membres du premier gouvernement Ilunga. Ce fut dans Congo Indépendant, le 26 août dernier, c’est-à-dire immédiatement après la publication dudit gouvernement. Cette lettre se justifie-t-elle? Laissons de côté les conseils prodigués aux heureux élus. A ce sujet, Katende est bien dans son domaine, celui de sensibiliser les gouvernants sur leurs devoirs. Passons plutôt à son regard tant sur le profil de ces derniers que sur leur respect des attentes de la population.

Selon la propre analyse de Katende, certains membres de ce gouvernement « ne répondent pas aux critères fixés par le Premier Ministre et surtout aux souhaits des Congolaises et Congolais d’avoir[…]des femmes et des hommes aux mains propres avec haute moralité, compétences et expérience avérées ». Mais loin d’interpeller le Premier ministre, ce qui serait en phase avec les idéaux de son association, Katende estime que l’important est que « le Congo doit avancer ». Quand on déroge à ses propres principes sous prétexte que le pays doit avancer, qu’en restera-t-il dans la mesure où un pays est censé avancer tout le temps?

S’adressant toujours aux membres de la nouvelle équipe gouvernementale, Katende poursuit sa sensibilisation en ces termes: « Les ministres et vice-ministres qui sont passés aux gouvernements que le Congo a connus les 18 dernières années avaient pour principale préoccupation de satisfaire un homme, l’ancien Président Joseph Kabila, en lieu et place de répondre aux aspirations du peuple congolais. Cela ne doit pas être votre cas ». Et pourquoi en serait-il autrement? A en croire Katende, c’est parce qu’on se trouve désormais « dans une République qui prône l’Etat de droit et qui met le peuple au-devant de la scène ». Le Président de l’Asadho peut-il prouver que sous Joseph Kabila, les Congolais évoluaient dans une République qui prônait l’Etat de non-droit?

Le texte de Katende renvoie à la grande naïveté des élites congolaises sur les questions de gouvernance. Comme l’écrit si bien Baudouin Amba Wetshi dans son article « Le ‘Premier’ Ilunga Ilunkamba et son équipe à l’épreuve du pouvoir« , « formatés par les ‘années Mobutu’ où un ‘réaménagement technique’ de l’exécutif intervenait quasiment tous les six mois, les Zaïro-Congolais sont emballés à la veille de chaque remaniement ou nomination ». Comme le petit peuple, Katende reste emballé même face à une nouvelle version d’un vieux slogan. Quelle différence fait-on en effet entre le slogan de Mobutu Sese Seko « MPR = Servir. Se servir? Non! » et celui de son rival Tshisekedi wa Mulumba « Le peuple d’abord »? Quelle différence y a-t-il pour que mêmes les élites se mettent à rêver au point d’attendre monts et merveilles d’un simple slogan? La gouvernance du Congo n’a-t-elle pas toujours été caractérisée par un fossé abyssal entre le dire et le faire dans le chef des gouvernants, en commençant par le premier d’entre eux?

Faut-il rire ou pleurer quand on lit la suite des propos de Katende? Tenez: « La nation vous a fait confiance alors montrez-vous dignes ». Katende peut-il expliquer comment la nation congolaise a fait confiance en des personnes dont le choix échappe totalement aux critères qu’elle aurait pu édictés si jamais elle avait été consultée, ce que Katende lui-même entend par « souhaits des Congolaises et Congolais »? A supposer que les dernières élections générales aient été correctes et que les dirigeants actuels sont bien les représentants du peuple, ce qui est loin d’être le cas, dès l’instant où le Premier Ministre ou ceux qu’il représente, à savoir le tandem Joseph Kabila-Felix Tshisekedi, ne respecte pas ses propres critères dans le choix des ministres, comment peut-on affirmer que la nation leur a fait confiance?

Les membres du gouvernement actuel doivent leur ascension sociale aux ténors de la coalition FCC-CACH. Faisons un peu de politique fiction. Imaginons un ministre refusant une très grande faveur à celui qui l’aura propulsé au-devant de la scène politique nationale, faveur consistant à privilégier l’intérêt personnel de ce dernier au détriment de l’intérêt général, qu’adviendrait-il au prochain remaniement ministériel, surtout si le faiseur de ministres s’appelle Joseph Kabila ou Felix Tshisekedi? Faut-il être détenteur d’un doctorat en sciences politiques pour le savoir?

Il faut le dire et le répéter. Déclarer qu’on veut construire un Etat de droit sur les ruines de la mauvaise gouvernance endémique qui a jusqu’ici condamné le Congo et bien d’autres Etats africains au bagne de la misère n’est pas un fait nouveau sous le ciel congolais ou africain. Qu’ils se trouvent au pouvoir ou dans l’opposition, toutes les dirigeantes et tous les dirigeants congolais ou africains ont l’une ou l’autre fois fait une telle déclaration qui est du reste à la portée même d’un élève de l’école primaire. Ce qu’on attend d’un dirigeant capable de faire la différence, c’est d’expliquer comment il compte construire l’Etat de droit. Jusqu’à preuve du contraire, jamais le président Felix Tshisekedi ne s’est risqué sur cette voie-là; ce qui reste valable pour la quasi-totalité des dirigeants africains. Faut-il s’étonner qu’après mille et une déclarations pour le changement, l’instauration d’une « vraie démocratie » ou encore de l’Etat de droit, les Etats africains se retrouvent toujours à la queue du peloton dans le classement des pays par indice de démocratie?

L’arrivée au pouvoir de Felix Tshisekedi n’a rien changé de substantiel dans la gouvernance du pays. Ce qui est certain, c’est qu’en expérimentant pour la première fois la cohabitation politique, le Congo va voir les membres du gouvernement s’observer ou se surveiller mutuellement. Cela pourrait certes contribuer à réduire la propension à se servir au lieu de servir. Mais il y a tout le passif du régime passé qu’il faudra gérer et cela pourrait conduire soit à la neutralisation d’une plateforme par l’autre, soit à la formation d’une énième association de malfaiteurs. La présidence de la république n’a-t-elle pas déjà goûté aux délices de l’opacité dans la gestion de la chose publique au cours de la longue attente de la formation du gouvernement?

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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