PETIT DÉTOUR HISTORIQUE
Une rétrospective de l’histoire de notre pays au cours de ces 50 dernières années suffit à nous montrer que le blocage institutionnel en République Démocratique du Congo est un problème qui résulte de l’illégitimité des pouvoirs successifs que nous avons connus. Il revient à l’élite congolaise de mener une réflexion et initier des actions autour de la question de la légitimité qui se pose au Congo depuis novembre 1965 avec le coup d’Etat de Mobutu.
Pourquoi depuis cette date les puissances de l’argent et certains États d’Occident « épargnent-ils » aux Congolais la lourde responsabilité de se choisir eux-mêmes leur chef, et ainsi en assumer pleinement les conséquences sans chercher de bouc-émissaire? Les Congolais subissent. Mobutu, Laurent-Désiré Kabila, Hippolyte Kanambe Kazemberembe (de son nom d’emprunt: Joseph Kabila Kabange). Tous ont été imposés de force aux Congolais par des forces extérieures.
Kasa-Vubu en son temps a tant cherché une voie pour sortir son pays de la crise, mais toutes ses tentatives étaient vouées à l’échec, car Américains et Belges avaient un successeur tout désigné en piste: Mobutu.
Après tant de souffrances, le peuple zaïrois avait réussi à arracher du dictateur les assises de la Conférence Nationale Souveraine. Cette tentative qui représentait tant d’espoir pour le peuple a été piétinée par les bottes en caoutchouc venues du Rwanda et d’Ouganda parrainées par les Anglo-saxons avec dans un sac un certain Laurent-Désiré Kabila. Rapidement assassiné pour n’avoir pas honoré les engagements pris auprès de ses parrains, son « fils » est imposé à la tête d’une RDC non-monarchique! C’est dire qu’on peut tout se permettre sur ce terrain d’expérimentation qu’est devenue la RDC pour certains milieux privés de Washington, Londres ou Bruxelles.
LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ
Pour le grand nombre, la légitimité est une affaire d’élection et donc institutionnelle. En effet, l’élection confère une légitimité à celui qui est choisi selon la procédure définie par la Constitution du pays à un poste de responsabilité donné. Après l’élection de 2006, « Joseph Kabila » pouvait se prévaloir de la légitimité institutionnelle, puisqu’il dit avoir été élu à cette date à la magistrature suprême. Il se trouve que la validité de cette élection est sujette à caution auprès de beaucoup de Congolais, puisqu’elle a été entachée d’irrégularités graves. On se souviendra de la fameuse phrase de Jean-Pierre Bemba: « J’ai accepté l’inacceptable ». Bemba est en prison.
En 2011, alias Kabila avait été battu à plate couture par Etienne Tshisekedi. Mais l’apprenti dictateur avait bénéficié du soutien de grands démocrates occidentaux. Et le pays est resté ingouvernable pendant presque 3 ans. Nous en payons le prix aujourd’hui. Joseph Kabila s’était caché dans un pays voisin pour laisser passer la tempête populaire. A son retour, un ténor de l’opposition n’avait jamais cessé de clamer haut et fort qu’Etienne Tshisekedi était le Président élu. Kabila l’a envoyé en prison. Cet homme courageux s’appelle Eugène Diomi Ndongala.
En 2016, c’était la fin de ce deuxième mandat usurpé et il fallait organiser des élections pour assurer l’alternance. Il n’en a rien été. Alias Kabila a violé la Constitution et n’a pas voulu organiser les élections qui devaient consacrer son départ et l’arrivée de son successeur. Les grands démocrates ont débarqué pour conseiller à leur poulain de négocier un accord avec l’opposition après le boycott des pourparlers de la Cité de l’OUA présidés par Edem Kodjo. Les évêques avaient été appelés à la rescousse pour conduire ces négociations. Frank Diongo, dont le parti est membre du Rassemblement, avait clairement dit qu’il ne participera pas à ces assises, parce qu’il n’y croyait pas. L’histoire lui donne raison aujourd’hui. Rien que pour avoir pris cette position, cet honnête homme a été mis en prison par le dictateur confirmé, alias Kabila.
Petite conclusion, il ne faut jamais aller aux élections, ni à des négociations avec « Joseph Kabila », car ce dernier trouve systématiquement quelqu’un à mettre en prison. A bon entendeur, salut!
L’ACCORD DE LA SAINT-SYLVESTRE, UNE VOIE SANS ISSUE?
Grâce à la médiation des évêques, on croyait avoir évité un bain de sang et ouvert la voie vers une transition cogérée par la majorité présidentielle et l’opposition au cours de l’année 2017 pour déboucher aux élections. Que nenni! Tout le monde le sait, la seule chose qui intéresse un tyran c’est le pouvoir. Profitant du décès du Président Etienne Tshisekedi, « Joseph Kabila » a détricoté l’Accord en débauchant dans l’opposition. Les ventres criants de faux chauves de l’opposition lui fournirent très rapidement une pêche miraculeuse et inespérée.
L’Accord dit du Centre interdiocésain est caduc depuis le 31 décembre 2017 et la RDC vogue dans l’illégalité la plus totale car tous les mandats électifs sont échus. Une fois de plus, ce sont de grands démocrates qui sont venus au sauvetage de leur poulain. C’est l’ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique à l’ONU, Nikki Haley, qui lors d’une visite à Kinshasa a surpris tout le monde en annonçant des élections en décembre 2018 sous l’égide de « Joseph Kabila », sans l’avis du peuple congolais. Quel épuisant complot pour le peuple congolais!
MANIFESTATIONS PACIFIQUES ET VIOLENCE D’ETAT
L’opposition a fini par perdre toute crédibilité en signant un Accord qui n’a rien donné au peuple. Pire, c’est lors de ce bonus d’une année que « Joseph Kabila » étend la violence au centre du pays, dans le Kasaï. C’est aussi dans le courant de 2017 que le pouvoir kabiliste fait assassiner les deux enquêteurs de l’ONU, la Suédoise Zaida Catalan et l’Américain Michael Sharp.
L’opposition a eu toutes les peines du monde à mobiliser la population. C’est à l’initiative du Comité Laïc de Coordination de l’Eglise Catholique du Congo que le peuple s’est à nouveau mis debout contre la dictature. Et la réponse du pouvoir a été une répression féroce et une profanation systématique des églises. Or, à en croire Amin Maalouf dans son ouvrage le dérèglement du monde, « la légitimité, c’est ce qui permet aux peuples et aux individus d’accepter, sans contrainte excessive, l’autorité d’une institution, personnifiée par des hommes et considérée comme porteuse de valeurs partagées ». Si nous appliquons cette définition au pouvoir de Kinshasa aujourd’hui, nous nous apercevons très vite que nous avons depuis fort longtemps dépassé le stade de la contrainte pour basculer dans la violence d’Etat. Nous sommes en présence d’un pouvoir assassin. En ce qui concerne les valeurs, il y a une grande déconnexion du peuple par rapport au pouvoir de « Joseph Kabila ». Même honni, jamais Mobutu n’a connu pareil rejet. Lorsque celui qui dit représenter l’autorité de l’Etat déclare qu’il ne partira du pouvoir qu’avec une balle dans la tête, les Congolais y compris les politiciens doivent en tirer toutes les conséquences. Un chef averti se serait déjà retiré dans la dignité, mais le tyran se fourvoie toujours. Car il est souvent le dernier à croire jusqu’au dernier moment à sa bonne étoile. Et les courtisans ne l’aident jamais à prendre la seule décision intelligente qui s’impose. Nimbé de sa prétendue légitimité, un tyran ne voit pas que « la légitimité (même quand elle est authentique, elle ne l’est pas dans le cas de « Kabila ») n’est immuable qu’en apparence; que ce soit celle d’un homme, d’une dynastie, d’une révolution ou d’un mouvement national, il arrive un moment où elle n’opère plus. C’est alors qu’un pouvoir remplace l’autre, et qu’une légitimité neuve se substitue à celle qui s’était déconsidérée », dixit Amin Maalouf.
Mais n’oublions pas que l’actuel chef de l’Etat est arrivé au pouvoir en janvier 2001 après un coup d’Etat sanglant. Son pouvoir a pour socle l’assassinat d’un homme: Laurent-Désiré Kabila. Se réclamant de sa filiation, « Joseph Kabila » est devenu président de la République en s’appuyant sur une légitimité généalogique dans un pays non-monarchique. Ce qui est tout de même curieux voire choquant pour tout observateur objectif.
VERS QUELLE ISSUE? L’ÉLECTION N’EST PAS LA SEULE VOIE DE LÉGITIMITÉ
Dans une situation de chaos et de crise grave, en dehors de la légitimité institutionnelle et généalogique, il y a la légitimité dite patriotique ou combattante. Lorsqu’un pays est dévasté, que sa souveraineté est bafouée, que son peuple est humilié, que sa sécurité est mise à mal, que ses richesses sont spoliées, qu’il est par terre, est légitime aux yeux de ceux qui souffrent celui qui dirige le combat contre leurs ennemis.
Ce fut le cas du général de Gaulle en France en 1940, quand depuis Londres il avait parlé au nom de la France, sans avoir été élu auparavant, ni avoir détenu le pouvoir effectif, mais parce qu’il portait les aspirations de son peuple et portait le fer contre l’occupant. Les courtisans du maréchal Pétain ne se privèrent pas de le tourner en ridicule. Mais la suite nous a montré qui était dans l’erreur et qui se situait dans le vrai.
De même après la Première Guerre mondiale, la Turquie fut humiliée mais Kemal Pacha dit Atatürk prit les armes et chassa toutes les troupes étrangères du territoire national. Il fit entrer la Turquie dans la modernité en séparant la religion de l’Etat, en instaurant la laïcité et en passant de l’alphabet arabe à l’alphabet latin, en intimant l’ordre aux hommes de se raser et aux femmes d’ôter le voile. Le Père de la Turquie moderne n’avait pas était élu mais en ayant restitué au peuple sa dignité et sa fierté, il lui a fait accepter en très peu de temps des changements que beaucoup d’autres pays musulmans ne peuvent opérer même en un siècle. La République Démocratique du Congo se trouve dans une situation analogue avec les différences qu’imposent le décalage de l’espace et du temps. La question de notre dignité est posée et elle hante tous les Congolais conscients de la situation particulièrement catastrophique que vit le Congo sous le régime de « Joseph Kabila ».
Le blocage dont nous souffrons aujourd’hui doit être balayé par une volonté populaire. Après 20 ans de chaos faits de massacres à grande échelle, de pillage, d’errance de nos populations, de viols sur nos concitoyennes, de destruction de l’Etat, nous devons tourner nos regards vers des concitoyens de haute stature morale qui incarnent parfaitement la lutte que nous menons pour nous libérer de l’occupation. C’est à ces rares compatriotes que nous donnerons une légitimité patriotique ou combattante pour nous mener vers la lumière de la paix, de l’Etat de droit, du développement économique et de la dignité en tant que peuple. Une transition citoyenne animée par des acteurs d’une réelle probité éthique issue de la société civile est la seule voie d’éradication du système qui s’est mis en place depuis plus de 20 ans. Dans la situation de délabrement avancé de notre pays, l’élection ne doit en aucun cas devenir un horizon indépassable immédiat. C’est notre libération qui compte et non pas les contrats miniers que veulent rapidement signer des prédateurs avec des supplétifs qu’ils auront hissés au pouvoir.
L’HYPOTHÉTIQUE ÉLECTION DE DÉCEMBRE 2018, UN PIÈGE À CONS
Il se trouve qu’aujourd’hui les soutiens de « Joseph Kabila » jouent des coudes pour éviter le seul chemin qui vaut la peine et soulagerait un peuple aux abois depuis des décennies; une transition citoyenne. Ils nous forcent à accepter leur calendrier électoral. Pourquoi? Que l’on ne nous dise surtout pas qu’il n’y a pas d’hommes et de femmes capables d’assurer une telle transition pour qu’enfin, pour la première fois enfin, le peuple congolais se choisissent librement dans des élections dépourvues de fraude et donc vraies ses propres dirigeants et en premier lieu son Président.
Non, cette voie royale du peuple ne répond pas au projet des prédateurs qui désirent un autre « Joseph Kabila » qui garantirait la suite du pillage et couvrirait aussi les crimes humanitaires et économiques de ces 20 dernières années. Voilà pourquoi certains milieux européens et nord-américains tremblent à l’idée de la chute de J. Kabila.
Leurs forfaits risquent d’être découverts. Et cette couverture passe par des élections frelatées dont seul Hippolyte Kanambe alias Joseph Kabila peut garantir l’issue biaisée qui ira en faveur de l’association des malfaiteurs qui sévit en RDC depuis l’arrivée de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération (AFDL).
Pour ces milieux d’argent, tout doit passer par « Joseph Kabila » pour réussir leur coup et pérenniser leur pouvoir de prédation en RDC. Sinon comment expliquer que des démocrates avérés continuent d’apporter leur soutien à un président hors mandat qui a violé la Constitution de son pays, piétiné un Accord obtenu grâce à la médiation d’une institution prestigieuse qu’est la Conférence Épiscopale Nationale du Congo et tue des manifestants sans armes au vu et au su de tout le monde? Sans compter le double assassinat des enquêteurs de l’ONU.
La faute grave que commettraient les Congolais c’est d’aller dans le piège à cons que constituent les élections programmées au 23 décembre 2018. Ce calendrier est celui d’un complot entre alias Kabila et ses parrains contre le peuple congolais. Les occupants infiltrés au sein de nos institutions vont rester parmi nous pour longtemps encore. Que d’autres nous dénient toute humanité en nous imposant des solutions propres aux bêtes de somme, cela se saurait nous étonner. Mais que nous-mêmes Congolais facilitions la tâche à ceux qui veulent nous maintenir dans un esclavage perpétuel, cela est un suicide inadmissible.
Les Congolais doivent dès lors considérer que tout Congolais acquis à l’idée d’aller aux élections de décembre 2018, organisées par un hors-la-loi, comme un « ennemi intérieur » du peuple congolais qui s’assume ou s’ignore et quiconque se bat pour notre libération est un héros. Nous devons rappeler que le Congo n’est pas la propriété privée des politiciens qui décideraient de notre destin sans notre avis. Le Congo est notre patrimoine commun.
Qu’un seul des nôtres aille prendre des engagements à l’extérieur qui hypothèquent notre avenir commun, cela ne nous oblige en rien. Nous ne devons pas nous démobiliser. Qu’aucune instance internationale, qu’aucun Etat aussi puissant soit-il, qu’aucune personnalité même de rang international ne nous détourne: l’élection n’est qu’une source de légitimité parmi d’autres. Il existe d’autres sources de légitimité du pouvoir. Dans le contexte actuel, la RDC a besoin d’une légitimité patriotique ou combattante et non pas élective. La RDC doit se libérer, une fois pour toutes, de l’occupation rwando-ougandaise. Des personnalités congolaises existent pour incarner cette légitimité patriotique. Car nous avons un serment de liberté à léguer à notre postérité pour toujours.
Debout, Congolais!
Révérend Roger Buangi Puati
Membre du Conseil d’Administration
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