Le 1er décembre dernier, le médecin belgo-congolais Parfait Salebongo Ebwadu est congédié sans ménagement par le directeur général des hôpitaux Iris Sud (HIS). L’examen des éléments factuels laisse apparaître que la procédure suivie est entachée d’irrégularités dignes des milieux maffieux. Après avoir épluché quelques documents, la rédaction de Congo Indépendant est en mesure de dire que Salebongo est en réalité un « homme qui dérange ». Son licenciement au demeurant abusif vise rien moins qu’à « éliminer » un « importun ».
ENQUÊTE
L’histoire se passe entre quatre acteurs. D’une part, Parfait Salebongo Ebwadu, médecin interniste, en service depuis mars 2005 dans les « Hôpitaux Iris Sud » (HIS). Outre l’hôpital d’Ixelles-Etterbeek, les hôpitaux Molière, Baron Lambert et Joseph Bracops font partie du réseau « Iris Sud ». De l’autre, Jean-Paul Mullier, Daniel De Mey et B. Denef respectivement « directeur médical » à l’hôpital J.Bracops, directeur général des « HIS » et médecin-chef des Hôpitaux Iris-Sud.
A la demande de Daniel De Mey, deux policiers de la commune d’Anderlecht sont descendus le jeudi 1er décembre à l’hôpital Joseph Bracops. Objet de la mission: contraindre le docteur Salebongo à quitter son lieu de travail au motif que son préavis de licenciement avait atteint son terme. C’est donc les menottes aux poignets que ce médecin bien apprécié par ses patients va quitter son poste pour être amené dans un bureau de la police pour « rébellion ». Que lui reproche-t-on?
« La vraie raison de son licenciement c’est qu’il a commis une faute grave, a déclaré Daniel De Mey au quotidien bruxellois La Capitale daté du vendredi 2 décembre 2011. Il sait très bien ce qu’il a fait et que nous ne pouvions pas laisser passer ». Quelle est la nature de cette « faute grave »? Daniel De Mey reste muet. « Lorsqu’un médecin commet une faute grave, il doit être déféré devant le Conseil de l’Ordre des médecins », fait remarquer l’avocat bruxellois Jean-Claude Ndjakanyi.
« La rupture pour motif grave implique une cessation instantanée du contrat, sans aucun préavis », renseignent tous les manuels de droit social belge. En tous cas, la « faute grave » invoquée par la haute direction des « HIS » à l’appui du licenciement de ce médecin réputé pour sa rigueur ne résiste pas à l’examen. En laissant l’auteur d’une « faute grave », médecin de surcroît, prester un préavis d’une durée de quatre mois, le directeur général des « HIS » ne suggère-t-il pas que le « manquement » dont question n’a aucun rapport avec l’exercice de la médecine? De quoi s’agit-il donc?
« CRIME PARFAIT »
Tout a commencé par une banale réclamation. Constatant que ses honoraires ont été diminués de janvier à avril 2011, le praticien a commencé par parcourir les procès-verbaux du conseil d’administration de l’hôpital afin de vérifier si la décision émanait de cette instance. N’ayant trouvé aucune trace, il décide de s’en remettre à l’Ordre des médecins. Il lui est conseillé de saisir le Conseil médical. Le 15 avril 2011, il saisit le président du Conseil médical en l’occurrence le docteur Roger Hallemans. Dans un courrier électronique daté du 11 mai 2011 dont copie n’a pas été réservée à Salebongo, Hallemans écrit notamment: « Chers collègues, suite à l’introduction par le Dr Salebongo d’une demande de rectification de ses honoraires correspondant au timat presté en hémodialyse, entre janvier et avril 2011 inclus (…), force est de constater que, même si l’adaptation des honoraires au barème de la médecine interne avait été validée par le Conseil médical (…), cette modification barémique n’avait pas été notifiée spécifiquement au Dr Salebongo ». Et d’ajouter: « Il en résulte que le montant dû pour ces quatre mois au Dr Salebongo est de 4.184,66 euros,(…) ». Daniel De Mey fait partie des ampliataires de cet « email ».
Coïncidence ou pas, le 9 mai 2011, Daniel De Mey, directeur général des « HIS », adresse une lettre recommandée à Parfait Salebongo. L’objet se passe de tout commentaire: « fin de collaboration avec HIS ». « Sur proposition du directeur médical, note-t-il, une procédure visant à mettre fin à votre collaboration avec HIS a été diligentée et ce, conformément à l’article 137 de la Réglementation générale. Il vous a été proposé un entretien avec le directeur général, ce que vous avez refusé ». « Ainsi, poursuit-il, après avis de la Commission du cadre médical du 27 avril, du comité stratégique & budgétaire du 4 mai 2011 et du Conseil médical réuni le 5 mai 2011, il a été décidé de mettre fin à la convention de collaboration vous liant aux Hôpitaux Iris Sud ». « Votre préavis sera de quatre mois et débutera le 1er juin 2011. (…) ». « Par conséquent, vous serez libre de toutes obligations envers HIS à la date du 1er octobre 2011 », conclut De Mey.
En recevant cette missive, le sang du médecin interniste n’a fait qu’un tour. Friand de la procédure, Salebongo décèle une faille. A savoir que son renvoi a été fait sur proposition du « Directeur médical », une fonction qui n’est pas prévue dans les statuts de l’hôpital. Un procès verbal établi à l’issue d’une réunion du Collège de médicine interne en date du 8 décembre 2010 indique ce qui suit en son point « 4 » relatif à l’organigramme de cet établissement hospitalier: « Le poste de directeur médical est ouvert. Il s’agit d’un poste non légal mais dans la tradition de Iris ». Parfait Salebongo décide de ne pas obtempérer à un ukase émanant d’une « autorité illégitime ».
UNE AFFAIRE SURRÉALISTE
C’est ici que la direction de l’hôpital J. Bracops décide de sortir l’artillerie lourde sous la forme d’un « témoignage » manuscrit d’un médecin généraliste. Il s’agit d’un certain docteur A. Grandjean domicilié à Anderlecht qui s’adresse à au « directeur médical » Jean-Paul Mullier. La correspondance est datée du 23 mars 2011. « Médecin généraliste, ‘utilisateur’ régulier des services de l’hôpital Joseph Bracops depuis plus de quarante ans, écrit-il, je n’ai eu, dans l’ensemble, qu’à me réjouir des services rendus aux patients et à leur médecin traitant ». « Cependant, poursuit-il, depuis pratiquement un an, j’ai malheureusement constaté qu’en ce qui concerne le service de médecine interne, ce n’est plus le cas. Le contact avec les médecins responsables (e.a ; Dr Colfaert et Dr Salebongo) est devenu distant et les réponses aux demandes de renseignements médicaux se sont avérées vagues et peu scientifiques. Il me semble qu’il existe dans ce service un manque de rigueur scientifique et un défaut de contact humain tant au point de vue des relations avec les patients qu’avec le médecin traitant. (…) ». Ce témoignage aux allures de mouchardage n’a pas été notifié à Salebongo afin qu’il fasse valoir son droit de la défense. Dans l’entretien au journal La Capitale, le médecin assure qu’il avait quitté « le département mis en cause » par ce médecin généraliste depuis plusieurs mois « avant qu’il n’écrive » au directeur médical.
En guise de couronnement à ce qui ressemble bien à un « crime parfait », le docteur B. Denef, Médecin-chef, entre dans ce jeu pour le moins nauséabond. Dans une lettre recommandée datée 25 novembre 2011, Denef écrit à Salebongo: « Je suis informée d’un problème survenu ce 24 novembre 2011 dans le service de dialyse rénale du site hospitalier Joseph Bracops. Vous auriez quitté le service alors que 16 patients étaient en cours d’hémodialyse, sans avoir prévu de remplacement par un autre médecin ». « Si ces faits s’avéraient réels, ajoute le médecin-chef, cet abandon de poste constituerait une faute grave étant donné que la surveillance des patients en cours de traitement aurait été interrompue et de ce fait vous n’auriez pas assuré la continuité des soins ». Et de conclure: « (…), je souhaite vous entendre dans vos explications et ce dans les plus brefs délais et vous convoque à cet effet en mon bureau sis rue Baron Lambert n°38 à 1040 Bruxelles, ce lundi 28 novembre 2011 à 17 h. Je compte sur votre présence. (…) ». Lundi 28 novembre. Il est 17h15 lorsque le « docteur Parfait » reçoit un appel téléphonique du médecin-chef Denef qui feint de s’étonner de son absence au rendez-vous. Après vérification de l’historique de l’envoi à la Poste, il s’avère que la lettre recommandée du docteur B. Denef a été postée le même lundi 28 novembre… à 18h6′. A propos de son absence à son poste le 24 novembre, Salebongo d’expliquer: « Ce jour là, je devais me rendre au Conseil d’Etat. Aucun patient n’a été mis en danger pour la simple raison qu’un collègue avait pris le relais jusqu’à mon retour. C’est une pratique courante entre médecins ».
On se trouve en plein surréalisme dans cette affaire qui oppose le docteur Parfait Salebongo à la direction des Hôpitaux Iris-Sud. Question: En convoquant ce médecin le 28 novembre à son bureau afin de l’entendre, le médecin-chef B. Denef pouvait-elle ignorer que le directeur général des « HIS », Daniel De Mey, avait déjà notifié au même médecin un préavis d’une durée de quatre mois prenant cours le 1er juin 2011 et que le licencié – comme le précisait De Mey – serait libre de toutes obligations envers HIS à la date du 1er octobre 2011? Comment ne pas conclure, dès lors, que le docteur Parfait Salebongo Ebwadu est victime d’un… « crime parfait » mené par quelques voyous au col blanc?
Baudouin Amba Wetshi