Tirage au sort? Punition? Règlement de comptes? Trois questions qui revenaient sans cesse dans les conversations après l’annonce de l’éviction de Dieudonné Kaluba Dibwa de la présidence de la Cour constitutionnelle. L’éviction du successeur de Benoit Lwamba Bindu a surpris plus d’un observateur. Au motif que l’homme n’a pas encore totalisé les trois années légales à ce poste névralgique. Son remplaçant est connu: Corneille Wasenda Nsongo.
Kinshasa. Mardi 10 mai 2022. Ambiance lugubre à la Cour constitutionnelle. « Le juge Dieudonné Kaluba Dibwa n’est plus président de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature. Il a été écarté mardi 10 mai à l’issue d’un tirage au sort sur fond de tensions », écrit Pascal Mulegwa de RFI sur son compte Twitter @pascal_mulegwa. La nouvelle, relayée par d’autres journalistes, a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Evariste-Prince Funga Molimo n’est plus juge non plus.
Dans son tweet, Mulegwa d’ajouter: « Ce professeur est à couteaux tirés avec le président Tshisekedi qui l’avait propulsé en 2021 ». L’assertion n’est malheureusement pas étayée. Reste que la grande majorité des réactions va dans le même sens.
« L’ARGENT DE MATATA »
Que reproche-t-on à cet avocat du barreau de Kinshasa-Gombe qui brilla de mille feux lors du procès sur le programme de 100 jours où il officiait en qualité d’avocat de l’Etat? On entend ici et là que le juge Kabila « avait refusé de juger l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo ». Des sources proches du cabinet présidentiel suspectent carrément Dieudonné Kaluba d’avoir été « soudoyé » – c’est un euphémisme – par l’ex-chef du gouvernement qui est poursuivi dans l’affaire relative au détournement présumé de la somme de 215 millions USD destinée à l’érection du Parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Dans un arrêt controversé, le président Kaluba avait estimé que les poursuites contre l’ancien « Premier », devenu sénateur, relevait plutôt de la compétence de la Cour de cassation. « Kaluba a raconté des histoires alors que les faits infractionnels sont cristallisés », fulmine un « Fatshiste » qui dit se fonder sur l’article 163 de la Constitution qui stipule: « La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du chef de l’Etat et du Premier ministre dans les cas prévus par la Constitution ».
Tard dans la soirée du mardi 10, l’auteur de ces lignes reçoit un coup de fil. Le correspondant préfère garder l’anonymat. Il lâche: « Le juge Kaluba a trahi le chef de l’Etat dans la mesure où il était dans son quota ». Et de se lancer dans des supputations: « Kaluba a reçu l’argent de Matata ». Une accusation qui reste sans « verbale ».
« FATSHI TRAHÍ »?
D’après une source « plus rationnelle », « le président Félix Tshisekedi n’a cessé de dire qu’il n’est pas content du fonctionnement de la justice ». Outre la corruption qui continue à gangrener le monde judiciaire, le chef de l’Etat comptait, semble-t-il, sur le Président du Conseil supérieur de la magistrature – fonction qui revient de droit au président de la Cour constitutionnelle – pour renforcer la discipline dans l’appareil judiciaire. « Le premier magistrat du pays a attendu en vain des propositions de réformes ».
Selon diverses sources, des proches du Président écarté dénoncent « une procédure illégale ». Soufflant le chaud et le froid, le professeur de droit Sam Bokolombe Batuli écrit ces mots sur compte Twitter @SamBokolombeBat: « Le renouvellement tertiaire de la Cour Constitutionnelle est une procédure normale. A priori, rien n’indique qu’il interférait la volonté du PR05 d’évincer le président Dieudonné Kaluba de son poste ». « Il est certes vrai qu’un tel étalon ne peut que déranger dans et en dehors du sérail ». Traduction: le juge Kaluba est un juriste très jaloux de son indépendance. Le différend se situe-t-il à ce niveau?
L’avocat Kaluba a succédé à Benoît Lwamba Bindu dont le mandat devait expirer en avril 2021. Dans la lettre n° 214/CC/CAB-PRES/06/00/2020 datée du 27 juin 2020, ce dernier avait chargé son cabinet de faire part aux autres juges de sa démission du poste de Président de la Cour constitutionnelle. Raison invoquée: « convenance personnelle ». Le « vieux » magistrat se plaignait notamment des pressions dont il subissait de la part de ses « amis » du « clan Kabila ». Il n’était plus en odeur de sainteté dans son camp. Et ce depuis l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo au sommet de l’Etat.
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- A lire: https://www.congoindependant.com/fcc-pprd-benoit-lwamba-nest-plus-en-odeur-de-saintete/
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On ne pourrait parler de la Cour constitutionnelle sans évoquer le cas ubuesque des ex-juges Jean Ubulu et Noël Kilomba. Etiquetés Fcc, les deux juristes avaient obéit au mot d’ordre de l’ex-raïs en boycottant la cérémonie de prestation de serment des juges Dieudonné Kaluba, Alphonsine Kalume et Dieudonné Kamulete Badibanga. Par ordonnance présidentielle n°20/116 du 17 juillet 2020 les deux « absents » furent remplacés.
L’ETAT DE DROIT DÉFIGURÉ?
A tort ou à raison, des observateurs estiment que l’éviction pour le moins cavalière – du Président de la Cour constitutionnelle « risque d’allonger la longue liste des anti-Fatshistes ». Pour ces observateurs, les conditions de ce « départ » mettent en péril l’idée même de l’Etat de droit. Au motif, selon eux, que la légalité n’a pas été observée. Sur son compte Twitter @DSESANGA, le député Delly Sesanga de tonner: « (…), quel gâchis de voir ainsi défigurée notre œuvre commune pour un Etat de droit ».
L’article 138 de la Constitution stipule notamment: « La Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. (…). Le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neuf ans non renouvelable. La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage d’un membre par groupe. Le Président de la Cour constitutionnelle est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. (…)« . C’est un exit pour le moins infamant pour les juges Dieudonné Kaluba Diba et Evariste-Prince Funga Molima Mwata.
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Baudouin Amba Wetshi
Article mis à jour le 11.05.2022