Il s’agissait en fait d’un troc « minerais contre infrastructures ». Globalement, le gain pour la partie chinoise est de 76 milliards de dollars contre 3 milliards prévus d’infrastructures en faveur du Congo: 3.600 km de routes asphaltées, réhabilitation de plus de 2.000 km de voies ferrées et réalisation de 800 km de nouvelles voies, construction de logements, d’infrastructures de santé, d’écoles, d’universités, de deux centrales hydro-électriques. Dans un rapport daté du 15 février 2023, l’Inspection générale des Finances (IGF) soutient que le Congo n’a rien gagné de ces contrats.
Le 22 avril 2008 fut signée à Pékin, la Convention de collaboration entre la République démocratique du Congo et un groupement d’entreprises chinoises (China Railway Group Limited et Sinohydro Corporation). Ceux qui avaient négocié ces contrats étaient du côté congolais: Pierre Lumbi Okongo, Augustin Katumba Mwanke et Zoé Kabila. Ces contrats furent présentés comme un partenariat gagnant-gagnant contrairement à ceux signés avec les entreprises occidentales. Mais dans un rapport du 15 février 2023, l’Inspection générale des Finances (IGF) déclare que le Congo n’a rien gagné de ces contrats. Bien au contraire!
Suivant l’Inspecteur général de l’IGF Jules Alingete, « Les entreprises chinoises ont déjà encaissé un gain évalué à près de 10 milliards de dollars américains, tandis que la République n’a bénéficié que de 822 millions de dollars en termes d’infrastructures. Faudra-t-il encore, dans les 822 millions, qu’on entre en profondeur pour réaliser qu’il y a aucune visibilité de cette somme… Le déséquilibre criant qui a été constaté, le bradage, la dilapidation de nos minerais constatés dans ce contrat a été également l’œuvre de fils égarés de notre pays, qui ont accompagné les entreprises chinoises dans cette œuvre macabre contre notre pays ». Globalement, le gain pour la partie chinoise est de 76 milliards de dollars contre 3 milliards prévus d’infrastructures en faveur du Congo.
La nature des contrats
A la signature, les contrats portaient sur une valeur de neuf milliards de dollars. Finalement, ces contrats furent révisés à la baisse pour se situer à six milliards de dollars sous pression du FMI, de la Banque mondiale et des pays occidentaux. Officiellement, le FMI était préoccupé par la soutenabilité de la dette. Mais en fait, les pays occidentaux n’acceptaient pas la montée en puissance économique et politique de la Chine au Congo. Sur les six milliards, trois milliards de dollars devaient être consacrés à la construction des infrastructures et trois milliards pour la relance du secteur minier.
Ces contrats comprennent deux volets. Il y a donc un volet minier, assuré par une joint-venture, dénommée la Sino-congolaise des mines (Sicomines), associant le groupement d’entreprises chinoises cosignataires de l’accord sino-congolais (China Railways et Sinohydro) à hauteur de 68% et la Gécamines, 32%. Aux termes de l’accord, la Gécamines a cédé à la joint-venture plusieurs titres miniers portant sur des gisements situés à Kolwezi, contenant jusqu’à 10,6 millions de tonnes de cuivre, dont 6,8 millions confirmées, et du cobalt. L’investissement minier de la Sicomines est financé par un prêt de 3,2 milliards accordé par la China Eximbank, dont les deux tiers sont soumis à un taux d’intérêt de 6,1%, le dernier tiers étant consenti à un taux d’intérêt nul. Le deuxième volet des contrats porte sur les infrastructures, notamment de transport, auquel devaient être consacrés 3 milliards de dollars. Il s’agissait de la construction de 3.600 km de routes asphaltées, de la réhabilitation de plus de 2.000 km de voies ferrées et de la réalisation de 800 km de nouvelles voies, ainsi que la construction de logements, d’infrastructures de santé, d’écoles, d’universités, de deux centrales hydro-électriques. C’est la China Eximbank qui devait accorder le prêt équivalent au montant des investissements requis. Le remboursement du prêt incombait à la Sicomines à partir des bénéfices dégagés des activités minières. Il s’agissait en fait d’un troc « minerais contre infrastructures ».
En novembre 2015, la première cathode de cuivre fut produite par Sicomines. Mais suivant le rapport de l’IGF, « la SICOMINES n’a pas encore pu atteindre la production projetée d’au moins 200.000 tonnes de cuivre en 2016 et 400.000 tonnes de cuivre en 2019 et, ce, malgré l’importance des investissements consentis ou encore l’empiètement des gisements de la GECAMINES S.A. ».
Pour alimenter la mine en électricité, la SICOMINES a construit et mis en service le 2 juillet 2022, le barrage hydroélectrique de Busanga d’une capacité de 240 MW sur la rivière Lualaba pour un coût de 600 millions de dollars. Mais ce financement est intervenu, d’après l’IGF, en violation de la convention de collaboration et de la convention de joint-venture.
Les conclusions du rapport de l’IGF
Des observateurs se posent la question de savoir où sont passés les investissements prévus dans les contrats de 2008 avec le groupement d’entreprises chinoises, notamment dans les infrastructures. Il n’y a toujours rien de visible sur le terrain. Le rapport de l’IGF dénonce le manque de visibilité et d’impact des travaux exécutés et leur sélectivité injustifiée en violation de l’annexe C de la Convention du 22 avril 2008. Les travaux éligibles exécutés s’élèvent à 534.902.461,66 dollars alors que les travaux non éligibles exécutés ont été de 287.287.598,42 dollars. Selon l’IGF, « La programmation desdits travaux n’a pas obéi à des exigences précises, comme la connectivité des villes, le désenclavement, la fluidité du trafic des personnes et de leurs biens, l’ouverture des localités de production aux grands centres de consommation, l’impact immédiat sur la vie des populations, etc. et donc ces travaux sont restés, pour la quasi-totalité, sans impact visible pour les populations. Cette programmation a donc totalement oublié le secteur de chemin de fer, les aéroports à réhabiliter (Goma et Bukavu), les hôpitaux (31) à construire, les deux barrages hydroélectriques à construire (Kakobola et Katende), les réseaux de distribution électrique à réhabiliter (Kinshasa et Lubumbashi), les centres de formation aux métiers ITP à construire et à réhabiliter, les 5.000 logements sociaux à construire, les 145 centres de santé à construire et deux universités à construire. Certains de ces projets sont aujourd’hui financés par la République dans le cadre du projet PDL-145 Territoires ».
Selon l’ancien Bureau de coordination et de planification du Programme sino-congolais, la Sicomines a financé douze projets d’infrastructures avec une enveloppe de 800 millions de dollars décaissés, à savoir: Hôpital du cinquantenaire, Esplanade du Palais du peuple, Boulevard du 30 juin, Route Kasomeno et de petits travaux d’infrastructures. Ces contrats ont lourdement endetté la Gécamines, donc l’Etat congolais. A ce jour, c’est l’Etat congolais qui rembourse les prêts et non Sicomines comme prévu. Il y a eu accroissement de l’endettement envers la Chine du fait de ces contrats. L’encours de la dette due à ce pays avoisine les 20% du portefeuille de la dette courante du fait principalement de l’emprunt Sicomines. Selon l’IGF, il y a endettement injustifié de Sicomines, en lieu et place d’un apport des fonds par le Groupement des entreprises chinoises (GEC). « Aux termes de la convention de collaboration et de la convention de Joint-Venture, il revenait au GEC de mobiliser les ressources pour le financement des investissements miniers et d’infrastructures (pour USD 6,2 milliards) ressources dont le remboursement devait être assuré par la Sicomines. Au lieu de cela, c’est la Joint-Venture Sicomines qui s’est endettée, à hauteur de USD 3.341.948.821,85 pour financer et les investissements miniers et les infrastructures. Mais en même temps, elle s’est payée à elle-même, de 2016 à octobre 2022, USD 5.464.880.564,06 sur son compte principal de Dubaï au profit d’un ou d’autres comptes non encore identifiés ».
Il reste encore à déterminer le montant global que les investisseurs chinois ont réellement décaissé pour financer le projet Sicomines. Le rapport mentionne seulement que la Gécamines a contesté le montant de l’investissement minier qu’elle juge excessif et la minoration des réserves. Pour le financement des infrastructures, l’argent n’a pas transité par le Trésor public mais par Sicomines qui déboursait par la suite de petites sommes pour des projets d’infrastructures spécifiques. Selon le Centre Carter et le FMI, la Sicomines a perçu, entre 2008 et 2014, 1,163 milliards de dollars à dépenser pour les infrastructures. Sur ce montant, moins de 500 millions de dollars ont réellement été utilisés pour financer les projets d’infrastructures.
En définitive, ce sont les Chinois qui tirent le plus des bénéfices. Le projet jouit en outre d’exonérations fiscales et douanières totales. Conformément à une loi votée au Parlement, les visas des travailleurs chinois sont gratuits. En définitive, les contrats doivent être revus et respecter les lois du pays en matière de règlementation de change et de constitution des sociétés. Il faut aussi que les Congolais produisent les études de faisabilité des projets d’infrastructures à financer par la partie chinoise.
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Gaston Mutamba Lukusa