Malgré les masques de protection contre la Covid-19 qu’ils portaient, samedi 7 novembre, le président Felix Tshisekedi et l’ancien gouverneur du « Grand Katanga », Moïse Katumbi, dissimulaient à peine un sourire empreint de « complicité » et d’émotion de se revoir. Dès 2016, les deux hommes ont « socialisé » et développé – ce qui est rare en politique – une certaine amitié qui a abouti à l’organisation, en juin 2016, du conclave des « forces politiques et sociales acquises au changement » à Genval, Brabant wallon.
Une heure trente minutes. C’est la durée de l’échange qui a eu lieu, samedi 7 novembre, au Palais de la nation, entre le président Felix Tshisekedi et Moïse Katumbi, co-leader de la plateforme politique « Lamuka » et président du parti « Ensemble pour la République ». La dernière rencontre entre les deux « amis » remonte au mois de novembre 2018. C’était à Genève…
Depuis les élections « chaotiques » du 30 décembre 2018, un fossé semblait séparer les deux hommes qui en souffraient en secret. Ils avaient hâte de retisser leurs liens d’amitié. Qui allait faire le premier pas au risque de perdre la face en cas d’échec?
Les consultations initiées par le chef de l’Etat auront au moins le mérite de permettre les retrouvailles entre les leaders politiques les plus significatifs dans le combat contre le régime autoritaire de « Joseph Kabila ». Outre Jean-Pierre Bemba Gombo et Moïse Katumbi Chapwe, on peut citer également Antipas Mbusa Nyamuisi. Ceux-ci se sont succédé au Palais de la nation.
A l’issue de son entrevue, samedi après-midi, avec le « Président Félix », Moïse Katumbi est resté très « économe » de sa parole. C’est à croire qu’ils s’étaient passé le mot avec Bemba. Aux journalistes qui l’interrogeaient, « Moïse » a commencé par rappeler qu’il est « venu voir » le Président dans le cadre des Consultations. « Je suis venu voir un frère », a-t-il ajouté avant de promettre à ses questionneurs qu’ils sauront la teneur de son échange avec le chef de l’Etat à la fin des consultations.
UNE FORCE DE CARACTÈRE
Après Bemba, Katumbi est le second co-leader de « Lamuka » à répondre à l’invitation qui lui a été adressée par le Protocole de la Présidence. Aux dernières nouvelles, les deux autres co-leaders de cette plateforme politique, en l’occurrence Martin Fayulu et Adolphe Muzito ont dit « niet ». Rien de bien étonnant.
Revenons à Moïse Katumbi. Arrivé, vendredi 6 novembre, à Kinshasa, le Président du parti « Ensemble pour la République » a reçu un accueil plus que chaleureux. Homme d’affaires, « Moïse » a sans doute beaucoup de défauts. Et comme tout être humain fait de chair et de sang, il a aussi des qualités. Derrière son apparence élégante et « frêle » se dissimule une « force de caractère ». Un courage à la limite de la témérité.
Un peu d’histoire. Selon certaines indiscrétions, en avril 1997, « Moïse » – qui appartient à la tribu Bemba dont les membres vivent à cheval entre le Katanga et la Zambie – serait intervenu auprès du chef d’Etat zambien d’alors, Frederick Chiluba, afin que celui-ci autorise le transit, par son pays, des troupes de l’Afdl (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) pour s’emparer de Lubumbashi.
Le 26 janvier 2001, le Mzee Kabila, au pouvoir depuis le 17 mai 1997, meurt dans des circonstances non élucidées à ce jour. Il est remplacé par son « fils » prénommé « Joseph ».
GOUVERNEUR, MALGRÉ LUI
En octobre 2006, « Joseph Kabila » est proclamé « Président élu » face à son challenger JP Bemba. Lors des élections provinciales de 2007, l’homme d’affaires Moïse Katumbi est élu député avec un nombre record de voix de préférence. C’est ici que commence, semble-t-il, ses relations avec « Kabila ». Celui-ci avait besoin d’un homme de confiance pour dirigé le Katanga. Sur insistance d’Augustin Katumba Mwanke, le bras droit du successeur de Mzee, « Moïse » est « encouragé » de se présenter à l’élection de gouverneur de province. Contre son gré. « L’idée ne m’avait jamais effleuré. Je n’avais aucun programme. Mes adversaires ne cessaient de s’esclaffer ». L’homme qui parle n’est autre que l’intéressé lui-même. Il a fait cette révélation, en 2017. C’était lors d’un entretien avec l’auteur de ces lignes.
Elu gouverneur du « Grand Katanga », Moïse consacre les premières semaines « à écouter ». But: identifier les véritables attentes de ses administrés. Plusieurs années après, l’homme présentera plutôt un bilan satisfaisant. A Kinshasa, des médias vont rivaliser en éloges pour lui décerner le titre de « meilleur gouverneur de province ». Les mêmes médias vont le « crucifier » au plus fort du conflit avec « Kabila ». « Katumbi s’est enrichi sur le dos de la province », clamaient les détracteurs du « Gouv' ».
Après sa « victoire » à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011, « Kabila » est devenu plus arrogant et cupide. Il a commencé à lorgner sur le Katanga. L’homme ne faisait plus mystère de sa volonté de faire propulser son jeune frère « Zoé » à la tête de la riche province. Des députés provinciaux chargés de diligenter une « motion de défiance » ont opposé une fin de non recevoir à l’offre de « Monsieur frère… ».
AUGUSTIN KATUMBA MWANKE EST MORT
Katumbi a compris que « Kabila » s’est servi de lui. Et qu’il voudrait le jeter comme un mouchoir « Kleenex » après usage. Rappelons que lors de la présidentielle de 2011, le gouverneur et le président de l’Assemblée provinciale d’alors, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, ont mobilisé et battu campagne pour que le Président sortant réalise un score de « 100% » au Katanga. Une phrase célèbre fut attribuée à Kyungu dit « Baba wa Katanga »: « Celui qui ne votera pas en faveur Joseph Kabila est un fumeur de chanvre ».
En février 2012, le très influent Augustin Katumba Mwanke – qui semblait être le « parrain politique » de « Moïse » – meurt dans un mystérieux crash aérien au Kivu. L’accident demeure un mystère. C’est le « clash ». Selon des sources, le gouverneur Katumbi aurait été choqué par la froideur affichée par « Kabila » lors des obsèques de son ancien proche collaborateur. Il semble qu’il n’a jamais pris la peine d’aller s’incliner devant la tombe de l’illustre défunt à Pweto.
« LE PAYS EST BLOQUE »
En décembre 2014, Katumbi regagne Lubumbashi après plusieurs mois passés à Londres en « séjour médical ». Les bruits font état d’une tentative d’empoisonnement. Les Lushois lui réservent un accueil délirant. Présent à Lubumbashi, « Kabila » tente, sans succès, d’empêcher ce retour triomphal. Les agents de d’ordre sont noyés dans une marée humaine. Au cours d’un meeting à la très célèbre Place de la Poste, Katumbi lance sa fameuse parabole du « troisième faux pénalty ». En clair, il invite ses compatriotes à faire échec à la volonté de « Kabila » de briguer un troisième mandat en violation de la Constitution. C’est la « guerre ». La suite est connue. En 2016, Moïse fera face à des « tracasseries judiciaires » dignes d’un Etat-voyou jusqu’à son départ en exil. La juge Chantal Ramazani Wazuri du tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo en sait des choses…
Après avoir servi le régime de « Kabila », Katumbi va rejoindre les rangs de l’opposition où il se battra en première ligne. L’objectif est de faire estomper les ambitions du « raïs » pour une sorte de « présidence à vie ».
Chacun peut aimer ou ne pas aimer l’ex-gouverneur du Katanga. Il reste que l’homme a dû prendre des risques personnels. Le pouvoir d’alors trouva la parade en l’accusant d’avoir recruté des mercenaires pour changer l’ordre institutionnel.
« Le pays est bloqué », déclarait Katumbi à son arrivée, vendredi 6, à Kinshasa. Que faire? On espère qu’il a évoqué avec le président Felix Tshisekedi les voies et moyens pour faire « débloquer » la situation et permettre au pays d’amorcer la rupture effective avec son passé. Une certitude: l’arrivée de « Moïse » dans la capitale confirme une certaine « ambiance libérale » qui règne au Congo-Kinshasa depuis le 24 janvier 2019. C’est bien cette ambiance qui a facilité les retrouvailles entre « Fatshi » et « Moïse ».
Baudouin Amba Wetshi