Noël Tshiani, peu connu des Congolais jusqu’il y a quelque temps, a sans conteste réussi son coup: celui de se faire connaître par un grand nombre de ses compatriotes et de se placer au centre du débat politique. Sa proposition de revisiter la loi électorale en y insérant entre autres conditions pour tout candidat à l’élection présidentielle d’être de nationalité congolaise « né de mère e de père congolais » divise actuellement l’opinion, entre ceux qui conçoivent la nationalité dans son sens universel de relation juridique entre « un » individu et « un » Etat faite des droits et des obligations réciproques entre les deux, et ceux qui y ajoutent des considérations sociologiques et identitaires, de « pureté génétique ». Tropicale conception hitléro-maurasso-lepenienne de la nation.
Ancien fonctionnaire au Fond monétaire international, Noël Tshiani a décidé, après une longue absence, de regagner le pays et de le servir. L’homme s’est senti une vocation présidentielle en 2018. A défaut d’avoir pu devenir le suprême calife, il a été amené à revoir ses ambitions à la baisse et estime aujourd’hui être le mieux qualifié pour diriger la Banque centrale du Congo. Pour en convaincre l’opinion, le « docteur » Tshiani écume les studios de télévision où il égrène ses « nombreux » titres académiques et fait valoir sa « longue » carrière dans le domaine des finances. On l’entend causer, avec force chiffres, sur son programme économique, sur son « plan Marshall » pour le Congo. Mais la mayonnaise n’avait jusque-là pas pris: l’économiste ne parvenait pas à capter l’attention des Congolais qui le trouvaient trop cérébral, théorique. Il finit par comprendre qu’il lui fallait faire « comme tout le monde », comme la majorité des acteurs politiques congolais: faire du populisme, prendre ses compatriotes par l’épiderme et les tripes, par le sensible, par le discours qui les emballe: l’identitaire. Et ça a marché! Le voilà devenu le nouvel héraut de la « congolité », thèse monopolisée jusqu’ici par les Honoré Ngbanda et les Muhindo Nzangi à laquelle il ajoute une couche de plus: la condition d’ascendance génétique et congolaise pour tous ceux qui sont appelés à occuper des fonctions régaliennes. « Efficace » et « sûr » moyen, dit-il, de protéger le pays des « trahisons » et des « infiltrations ». Anachronique, ignoble, vexatoire et inutile idée.
Anachronique quand on sait que bien des Etats modernes, ouverts et « humanisés& » ont retiré de leurs Constitutions les notions de grande et de petite nationalité – honteux vestiges des régimes racistes et ségrégationnistes – qui violentent la belle idée démocratique d’ « égalité » de droit entre citoyens d’un même pays. Ignoble et vexatoire que certaines personnes, se prévalant d’être de « sang non souillé » par un quelconque mélange, se donnent le pouvoir de désigner – par une loi! – d’autres hommes et femmes comme des « potentiels traîtres à la nation » du fait que circulerait dans leurs veines un « sang impur », celui de la déloyauté, déloyauté serait inscrite dans l’ADN de tout enfant issu des parents de nationalités différentes, proclamé ainsi individu « suspect » et « dangereux » qu’il faut absolument et éternellement éloigner de la haute gestion du pays, et ce, malgré son caractère personnel, son éducation, sa compétence, sa moralité, ses preuves d’attachements au pays, ses réalisations économiques et sociales en faveur de son village, de sa province, bref de ses concitoyens!
La « saine » congolité de Noël Tshiani est inutile car elle n’a jamais épargné le Congo de turpitudes de ses dirigeants, de leur corruptibilité, de leur faiblesse morale. L’histoire du pays foisonnent d’exemples des Congolais de pure souche qui l’ont politiquement trahi et économiquement truandé sans le moindre état d’âme. Moïse Tshombe et Albert Kalonji furent bien des « Congolais nés de mères et de pères congolais ». Ceci ne les empêcha pas de comploter avec des puissances étrangères et d’accepter de « saucissonner » leur pays au profit de ces dernières. Laurent-Désiré Kabila fut aussi de pure ascendance congolaise. Pour son intérêt politique personnel, il accepta de conspirer contre son pays et de faire entrer des cohortes de Rwandais au Congo à qui il confia les plus hautes fonctions régaliennes de l’Etat. Pour un presque similaire comportement, le maréchal Pétain avait été condamné à mort en France après la Deuxième guerre mondiale. « LDK » a, lui, été déclaré « héros national » par d’autres Congolais nés… de mères et de pères congolais! On aura longtemps difficile à le comprendre…
Les pillages des richesses économiques du pays ne sont pas le fait des seuls étrangers « voraces ». Plusieurs dirigeants des entreprises publiques, présumés mauvais gestionnaires et détourneurs, et actuellement épinglés par l’Inspection Générale des Finances, sont presque tous des « Congolais nés de mères et pères… congolais ». Leurs génotypes bien congolais ne les ont pas pour autant disposés à bien faire, à gérer avec patriotique amour le portefeuille de l’Etat… congolais. Il leur est notamment reproché de conclure des marchés publics de gré à gré, marchés qu’ils ont souvent et préférentiellement accordés aux… étrangers qui tiennent aujourd’hui toute l’économie du pays. La « combine » Kamerhe-Jammal en est l’illustration.
Le discours de la « congolité » nous rappelle celui de « l’ivoirité » qui avait mis la Côte d’Ivoire à feu et à sang. Trois successifs présidents ivoiriens, Henri Konan Bédié, le général Gueï et Laurent Gbagbo, y avaient recouru et avaient ainsi cru pouvoir barrer la route de l’élection présidentielle à Alassane Ouattara, ancien premier ministre ivoirien nés des parents d’origine burkinabè. On fit croire aux Ivoiriens, par un discours identitaire alarmo-catastrophiste, que leur pays disparaîtrait de la carte de la Terre si ce dernier devenait président de la République de Côte d’Ivoire. Il n’en a pourtant rien été. Alassane Ouattara l’est finalement devenu en 2011. La situation économique et sociale du pays est meilleure depuis dix ans que pendant la décennie de présidence de Laurent Gbagbo, Ivoirien « de mère et de père ivoiriens ». Autres exemples: Jerry Rawlings et Barack Obama, respectivement des pères écossais et kenyan, n’auront pas été des citoyens déloyaux vis-à-vis du Ghana et des Etats-Unis du fait de leurs ascendances paternelles étrangères. Les Ghanéens et les Américains les ont d’ailleurs plébiscités parmi les meilleurs présidents que leurs pays ont connus.
Le débat sur la « congolité de mère et de père… congolais » de Noël Tshiani prend déjà une mauvaise tournure. Elle vient « tronçonner » davantage un pays où l’unité nationale peine à se refaire après des années de guerres civiles et d’apologie de l’ethno-régionalisme. Puisse le « technocrate » – qui prétend être respecté à travers le monde – sortir de son dévoiement identitaire et garder cette « honorabilité » de plus en plus entamée par les attaques ad hominem qu’il reçoit de ses contradicteurs qui lui refusent le droit de parler de la nationalité congolaise, lui qui aurait acquis la nationalité américaine. Noël Tshiani peut servir utilement le pays en se replongeant dans ses réflexions sur le « plan Marshall » pour le Congo, retrouver son domaine économique et laisser le boueux terrain politique à ses professionnels « acrobates ».
Wina Lokondo