Qu’est ce qui a réellement changé un mois après l’investiture de Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat congolais? Ce serait faire preuve de mauvaise foi d’affirmer que rien n’a changé. Il n’empêche que l’opinion congolaise peine à percevoir les signes annonciateurs du « changement » avec un grand « C » pour lequel des filles et fils du pays ont payé le prix le plus fort. Impatience? Sans doute. Reste que les Congolais ont de plus en plus l’étrange impression que leur pays est dirigé par deux Présidents. L’un, Felix Tshisekedi Tshilombo, détenant l’apparence du pouvoir d’Etat et l’autre, « Joseph Kabila », exerçant, en coulisses, l’effectivité de ce même pouvoir. L’opinion piaffe d’impatience de voir « Felix » « exister » et surtout s’affirmer en tant que chef de l’Etat. Il devrait désigner, sans délai, un « informateur » chargé d’identifier une « coalition majoritaire » en vue de la formation du tout premier gouvernement.
Un mois après l’investiture du successeur de « Joseph Kabila », les Congolais continuent à scruter l’horizon afin de percevoir les changements intervenus. Il est vrai que la liberté de manifestation est mieux garantie et que les policiers ne jouent plus aux cow-boys face aux « manifestants pacifiques » assimilés aux « peaux-rouges ». Il est vrai également qu’un semblant d’ambiance libérale souffle sur les « services ». C’est le cas notamment à la DGM (Direction générale de Migrations) où les Congolais de la diaspora ne sont confondus avec des « Djiadistes ». Il est vrai enfin que la RTNC, le média d’Etat, a amorcé une timide ouverture de ses antennes aux différents courants idéologiques. Des meetings animés par Martin Fayulu Madidi de la coalition « Lamuka » ont été relayés.
Ce tableau plutôt idyllique risque d’être assombri par quatre actes récents.
Premier acte, la tournée africaine du nouveau chef de l’Etat. Tout en « comprenant » la présence des ministres du gouvernement sortant – en expédition des affaires courantes – dans la suite présidentielle, nombreux sont les observateurs qui étaient éberlués de noter la présence de Barnabé Kikaya bin Karubi, l’ancien conseiller diplomatique de « Kabila » lors des rencontres et audiences entre Tshisekedi Tshilombo et les autres dirigeants. L’homme passe, plus à raison qu’à tort, pour un des « faucons » de l’ancien pouvoir. Le nouveau chef de l’Etat ne pouvait-il pas demander au ministre des Affaires étrangères de désigner un fonctionnaire de la « direction Afrique » pour jouer le rôle confié à Kikaya? En tous cas, il y a de ces visages que l’opinion congolaise ne souhaite guère revoir de sitôt sur l’échiquier politique. La liste est longue. Moralité: on ne peut pas faire du neuf avec l’ancien.
PAS DE PAIX SANS JUSTICE
Deuxième acte, la controverse suscitée autour du texte du discours prononcé par le président Tshisekedi, samedi 16 février, lors de l’échange de vœux avec le corps diplomatique dans lequel a été glissé, non sans une certaine malice, un passage appelant l’Union européenne à lever les « mesures restrictives » prises à l’encontre de quelques « zélateurs » du régime kabiliste. Quelques individus impliqués dans des cas de violations des droits et libertés. « Felix » a escamoté ce paragraphe. Ancien opposant pur et dur, ce dernier n’a pas oublié les abus commis par « Joseph Kabila » et ses sicaires. Des familles continuent à pleurer des êtres chers. D’autres, peinent à accomplir le travail deuil faute d’avoir vu les corps des proches disparus. Sans faire l’éloge de l’esprit revanchard, rares sont les Congolais qui approuvent les « hommages appuyés » rendus au « raïs » autant que la volonté du nouveau chef de l’Etat de fermer les yeux voire de « passer par pertes et profits » les crimes commis du 26 janvier 2001 au 24 janvier 2019. Au nom d’une prétendue paix. La paix ne passe-t-elle pas par la justice?
Troisième acte, la visite surprise effectuée par « Kabila », dimanche 17 février, à la « résidence » du président Tshisekedi. La veille, l’inénarrable André-Alain Atundu Liongo, porte-parole de la mouvance kabiliste, a animé un point de presse au cours duquel il avait annoncé les couleurs en annonçant que l’ex-majorité présidentielle (MP) se nomme désormais tout simplement la « Majorité ». « Le président Tshisekedi peut compter sur la Majorité dans la gouvernance du pays », claironnait-il. Les observateurs avaient déduit, à raison, que « Kabila » s’est rendu à la l’ex-Cité de l’OUA pour parler essentiellement de la formation du gouvernement. Et surtout de la nomination du Premier ministre qui devrait, selon lui, être issu du FCC (Front commun pour le Congo). Le « raïs » et ses affidés estiment qu’il est sans intérêt de désigner un informateur. Au motif pour le moins discutable selon lequel le FCC détiendrait 340 sièges sur les 500 que compte l’Assemblée nationale. En réalité, le FCC est un « grand bazar » où l’on trouve des individus unis par une seule ambition: le positionnement individuel.
DESIGNER UN INFORMATEUR
Quatrième et dernier acte, la cérémonie de signature de l’ « acte d’engagement » au FCC organisée , mercredi 20 février, à la ferme de Kingakati. Devant « Joseph Kabila », les chefs de différentes organisations politiques ont défilé pour réaffirmer leur « fidélité et loyauté » à l’ancien Président. Ces derniers se seraient, par ailleurs, engagés à « demeurer unis et solidaires ». C’est un message subliminal aux allures de « mise en demeure » envoyé à Felix Tshisekedi. Ce message pourrait être décrypté comme suit: « Vous êtes invité à nommer illico presto un Premier ministre étiqueté FCC ». Le nom le plus cité est celui du très sulfureux Albert Yuma Mulimbi, un gestionnaire-pirate dont le seul « haut fait » est d’avoir ruiné la Gécamines en sa qualité de… Président du conseil d’administration. Notons qu’un mois après l’accession du nouveau président à la magistrature suprême, tous les services générateurs des recettes sont encore sous le contrôle des « hommes du raïs ». Ici, rien n’a changé.
A Kingakati, des observateurs ont été surpris de constater que, bien que n’étant plus en fonction depuis un mois, « Joseph Kabila » continue à utiliser les symboles du pouvoir. C’est le cas notamment de l’emblème national et des armoiries de l’Etat. Questions: le Congo-Kinshasa serait-il dirigé par deux Présidents? Qui est la marionnette de l’autre? « Kabila » va-t-il se servir de sa « majorité » pour le moins factice pour réaliser son rêve de restaurer son système prédateur et surtout de faire réviser la Constitution en introduisant l’élection du Président de la République au suffrage universel indirect?
Que doit faire le président Felix Tshisekedi Tshilombo? « Felix Tshisekedi doit nommer, sans délai, un informateur chargé d’identifier la coalition majoritaire, n’en déplaise à Kabila », commente un chercheur congolais en sciences po. Et d’ajouter: « Il n’y a pas deux Présidents de la République. Il n’y a qu’un seul. Felix doit s’affirmer en tant qu’arbitre suprême de la nation. Il doit tendre la main à ses anciens ‘camarades de lutte’ que sont les Fayulu, Katumbi, Bemba et consorts. Kabila qui a lamentablement échoué n’a ni titre ni droit pour lui imposer n’importe quoi. Il doit assumer ses responsabilités. Il doit agir vite avant qu’il ne soit trop tard… », conclut-il.
Baudouin Amba Wetshi