Depuis plusieurs décennies, c’est devenu un « sport national » de se faire délivrer un « vrai-faux » document officiel ou acte authentique délivré par un officier public. C’est le cas notamment du titre de propriété immobilière ou certificat d’enregistrement. Depuis plusieurs décennies, des fonctionnaires du ministère des Affaires foncières en général et des conservateurs des titres immobiliers en particulier sont au centre d’une « criminalité à col blanc ». Ils bénéficient de la complicité de certains auxiliaires de justice (juges, notaires, magistrats du ministère public, avocats, greffiers, officiers de police judiciaire etc). Il ne se passe pas un jour sans que les juridictions civiles congolaises n’aient à statuer sur des conflits fonciers. A Kinshasa, un réseau d’escrocs vient d’être démasqué. La « respectable » dame dont la photo illustre cet article s’est appropriée l’identité de Mikiti Nkombe qui vit depuis 1993 aux Etats-Unis. L’usurpatrice d’identité était sur le point de vendre un bien immobilier appartenant à cette ancienne journaliste. L’avocat de l’acheteur a mis en échec cette opération.
Kinshasa. Samedi 8 janvier 2022. Le soleil est au zénith. Une dame aux cheveux blancs marche à pas cadencés. Elle est à la recherche d’un moyen de transport afin de se rendre à un rendez-vous. Une affaire de sa vie. Elle doit encaisser le prix de vente de « sa » villa. Montant: un million $US. La « brave » dame a dû faire appel aux services d’un commissionnaire kinois « réputé » qui lui a trouvé un client. Le marché est aussitôt conclu.
Dans l’acte d’engagement signé par la dame, on peut lire: « Je soussignée Madame Mikiti Nkombe Tshikwakwa, propriétaire de la parcelle sise sur l’avenue Batetela (…), dans la commune de la Gombe, prend l’engagement de donner le marché de la vente de ma parcelle mieux identifiée ci-haut à (…) Monsieur Mpuati Guellord commissionnaire de la province de Kinshasa, frais de commission à 5%. Fait à Kinshasa le 05 (mois illisible) 2021″.
Le problème, la vendeuse est un escroc. Elle n’est pas Mikiti Nkombe. Son véritable nom serait: Tshikwakwa. Le commissionnaire Mpuati et elle font partie d’un réseau des faussaires. La véritable Mikiti Nkombe se trouve aux Etats-Unis.
Pour la petite histoire, les Zaïrois nés avant les années 70 se souviennent, sans doute, du spot publicitaire sur l’huile de marque « Livio ». La véritable Mikiti Nkombe est justement la dame qui répliquait: « Mon secret, c’est Livio ».
Journaliste à TéléZaïre, Mikiti, appelée affectueusement « Mathilde » par ses amis et proches, obtient un détachement au service de presse des « Œuvres Mama Mobutu ». En août 1992, Etienne Tshisekedi wa Mulumba est élu Premier ministre à la Conférence nationale souveraine. Elle est désignée chef de service de presse adjoint à la Primature. « J’avais pour titulaire Charles Dimandja Wembi », raconte-t-elle.
DES ESCROCS ET DES FAUSSAIRES QUI PROFITENT DE L’IMPUNITE
En décembre 1992, Mikiti se rend à New York en vue de prendre part à une conférence des Nations Unies sur « L’apport de la femme au développement national ». A Kinshasa, la ville est secouée par les « derniers pillages » en janvier 1993. La propriété acquise en 1989 par la journaliste n’est pas épargnée. Celle du directeur de cabinet du « Premier Etienne », mêmement. Des objets d’une valeur sentimentale inestimable sont emportés: titre de propriété immobilière, diplômes, souvenirs divers.
Effondrée, Mikiti décide de prolonger son séjour aux Etats-Unis. Elle confie la garde de sa maison kinoise à un « Frère ». Celui-ci cherche en vain le certificat d’enregistrement de la maison. En désespoir de cause, un duplicata est obtenu auprès du conservateur des titres immobiliers, autrement dit le chef de division provinciale des Affaires foncières. L’original est tombé entre les mains de quelques faussaires. Des escrocs. La suite est connue: une carte d’électeur au nom de Mikiti Nkombe est émise. Seule la photo change. « Il n’y a pas de crime parfait », dit-on. La carte d’électeur renseigne Bukama comme lieu de naissance de la « vendeuse ».
Lors d’une conversation, l’avocat tente sans succès d’échanger quelques mots en Kiluba avec la dame. Il finit par conclure que la prétendue propriétaire n’était pas la personne qu’elle disait être. Le juriste décide de retrouver les traces du « Frère » dont le nom figure sur le titre immobilier. Après une rude conversation, les masques sont tombés le lendemain dimanche 9 janvier 2022: la vendeuse et le commissionnaire font partie d’un réseau d’escrocs et des faussaires. Depuis Atlanta, Mikiti Nkombe lance: « Le mal est profond. Il faudra du temps pour que les gens changent de mentalité ».
Le mal est d’autant plus profond que des hauts magistrats et des auxiliaires de justice font partie de cette espèce de « pieuvre » dont les tentacules s’étendent sur tous les grands corps de l’Etat. A l’issue d’un séjour au Congo-Kinshasa, Léandro Despouy, Rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et avocats, avait déclaré, au cours de la première moitié de l’an 2000, que la justice congolaise se trouve dans une « situation préoccupante ». Selon lui, le Pouvoir judiciaire souffre de maux ci-après: « magistrats impayés ou mal payés, absence de moyens logistiques pour mener des enquêtes et la corruption généralisée ». Le dernier mal a pour nom: l’impunité. Les escrocs et faussaires à col blanc profitent de l’impunité.
Baudouin Amba Wetshi