Basée depuis plus d’une décennie au Camp militaire Tshatshi dans la commune kinoise de Ngaliema, la garde prétorienne de « Joseph Kabila », appelée pompeusement « Garde républicaine », est une armée dans l’armée. Forte de 15 à 18.000 hommes – recrutés dans une totale opacité -, cette unité très spéciale des Forces armées congolaises n’a jamais été soumise au « brassage » imposé tant aux combattants du gouvernement qu’à ceux des anciennes rebellions (RCD-Goma, MLC, RCD-K ML, Maï Maï). Les « GR » ne reçoivent – ne recevaient? – leurs instructions que du « raïs » en personne ou son délégué. Le chef d’état-major général de l’armée était superbement ignoré en ce qui concerne les « opérations ». Il faut reformer la Garde républicaine en séparant le bon grain de l’ivraie. L’objectif est d’en faire une composante effective de l’armée nationale congolaise.
Le président Félix Tshisekedi Tshilombo a présidé vendredi 1er février, à Kinshasa, sa toute première réunion avec le haut commandement de l’armée congolaise. Des hommes et des femmes qui doivent, pour la grande majorité d’entre eux, leurs épaules galonnées à l’ex-président « Joseph Kabila ». Le nom de celui-ci était devenu, pour eux, synonyme de « commandant suprême » des forces armées et de la police nationale.
Au cours de cette rencontre, le nouveau chef de l’Etat n’a pas manqué d’insister sur la « discipline » qui doit continuer à régner au sein de l’armée. Par discipline, il a sans doute voulu dire l’observation stricte des règles qui régissent la force publique.
Le président Tshisekedi a tenu à rappeler à ses interlocuteurs que l’armée et la police sont des « choses publiques ». Et non le bien personnel d’un homme – fût-il Président de la République – ou d’une formation politique. L’article 188 de la Constitution ne dit pas autre chose: « Les forces armées sont républicaines. Elles sont au service de la nation toute entière. Nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres. Elles sont apolitiques et soumises à l’autorité civile ». Le nouveau « commandant suprême » a-t-il été entendu? C’est à voir. les mauvaises habitudes ont la peau dure.
« BANA MURA »
Depuis que Tshisekedi Tshilombo a été investi à la tête de l’Etat, il n’y a pas encore eu de « couacs » sur le plan sécuritaire. L’ensemble de la Force publique (armée, police, services de renseignements civils et militaires) semble jouer le jeu de l’alternance démocratique.
Les observateurs, eux, ne cessent de s’interroger sur la marge de manœuvre dont dispose le nouveau magistrat suprême face à un des « bras armés » du pouvoir kabiliste en l’occurrence la « Garde républicaine », communément appelée « Bana Mura ». Un sobriquet peu gracieux qui évoque le nom d’un camp de formation militaire situé dans l’ancienne province du Katanga.
Cette unité est une armée dans l’armée. Ses méthodes n’ont rien à envier à celles d’une « milice privée ». Au lieu de se limiter, à l’instar d’autres gardes républicaines, aux missions d’honneur et de sécurité au profit des plus hautes autorités du pays, les membres de ce corps se sont dévoyés. Ils « canardent » les manifestants. Ils arrêtent, détiennent et torturent les adversaires du « raïs ». Tout cela dans un Etat où l’opposition politique est reconnue.
UNE MENACE POUR L’ALTERNANCE
En 2010, le Bruxellois Armand Tungulu Mudiandambu a été « suicidé » dans un cachot au Camp Tshatshi. En janvier 2015, Jean-Claude Muyambo a été arrêté à sa résidence kinoise par des sbires du régime. En décembre 2016, l’opposant Franck Diongo, président du parti lumumbiste progressiste, a été arrêté à son domicile par des « GR ». Ceux-ci l’ont amené au Camp Tshatshi où il a été passé à tabac comme un vulgaire malfrat.
Reconnaissables par leur béret rouge, les « GR » se comportent en miliciens mais aussi en « vigiles » chargés du gardiennage des biens privés de l’ex-président « Kabila ». Ils sont visibles à la ferme de Kingakati, dans la banlieue kinoise. Il en est de même dans les fermes de Kundelungu et de Kashamata dans le Haut-Katanga. Ils sont présents dans d’autres fermes: Kabasha (Beni), île de Mateba (Kongo Central). Plus préoccupant, les « GR » assurent, au Katanga, l’intouchabilité à des trafiquants chinois qui pillent le bois rouge dit « Mukula ».
L’ex-garde prétorienne de « Kabila » est et reste une sorte d’épée de Damoclès. C’est une menace non seulement pour alternance mais aussi pour la démocratie. Faudrait-il dissoudre cette unité très spéciale? C’est l’erreur à ne pas commettre.
SÉPARER LE BON GRAIN DE L’IVRAIE
Bien que comparaison n’étant pas raison, le précédent irakien est là pour nous en dissuader. La dissolution, sur décision américaine, de l’armée du dictateur Saddam Hussein aurait servi de détonateur à la naissance de « Daech » ou « Etat islamique ». Comme toute œuvre humaine, ce « corps d’élite » compte en son sein des brebis galeuses mais aussi de vrais patriotes. Il faut séparer le bon grain de l’ivraie. Séparer les vaillants soldats capables d’assurer la défense du territoire national des « pistoleros », et autres voyous déguisés en militaires.
Que faire concrètement? Il faut reformer courageusement la « Garde républicaine » pour en faire une des composantes effectives de l’armée nationale. L’article 189 de la Constitution donne une piste à explorer: « Les effectifs à tous les niveaux doivent tenir compte des critères objectifs à la fois à l’aptitude physique, à une instruction suffisante, à une moralité éprouvée ainsi qu’à une représentation équitable des provinces ».
Baudouin Amba Wetshi