Congo-Kin: « Félix » réintroduit le « leadership » au sommet de l’Etat

Cet article aurait pu s’intituler: « Ci-git la coalition Cach-Fcc ». Il apparaît prématuré de tirer une telle conclusion. Un grand suspens a régné vendredi dans l’attente du speech du chef de l’Etat. D’aucuns attendaient des décisions inconsidérées du genre « dissolution du Parlement » ou « révocation du Premier ministre ». Dans l’allocution qu’il a prononcée, vendredi 23 octobre, Félix Tshisekedi Tshilombo a surpris tant par sa « ferme modération » que son sens de responsabilité. Après deux années d’exercice du pouvoir, le chef de l’Etat congolais a réalisé que la coalition Cach-Fcc ne peut redonner l’espoir aux Congolais. Usant de son rôle de « garant de la continuité de l’Etat », il a décidé de consulter les représentants des forces politiques et sociales les plus significatives. Objectif: donner naissance à  une sorte de majorité alternative appelée « Union sacrée de la nation ». C’est ici que les Romains s’empoignèrent.

Je ne laisserai aucun engagement politique de quelque nature que ce soit primer sur mes prérogatives constitutionnelles et l’intérêt supérieur de la nation ». C’est un des messages forts contenus dans l’adresse présidentielle du vendredi 23 octobre à 20 heures, heures de Kinshasa. L’autre message fort c’est bien la « consultation » des forces politiques et sociales « les plus significatives » que le président Felix Tshisekedi entend lancer dès lundi 26. « Je reviendrai vers vous dans une nouvelle adresse pour vous faire part de mes décisions qui n’épargneront aucun cas de figure », a-t-il prévenu. « Fatshi » paraît décidé à impulser la marche des affaires de l’Etat et à montrer le chemin.

L’allocution de Felix a plutôt surpris par sa concision autant que sa pertinence. « Le président Fatshi a trouvé les mots justes pour décrire la situation de blocage qui règne au pays. Franchement, il m’a bluffé », résume un Congolais de la diaspora de Belgique.

Assiste-t-on à la fin d’une histoire que d’aucuns avaient qualifié de « mariage contre-nature »? Assiste-t-on à la fin de l’histoire du fameux « deal secret » conclu, fin 2018, entre le Cap pour le changement (Cach) du duo Felix Tshisekedi-Vital Kamerhe et le Front commun pour le Congo (Fcc) de « Joseph Kabila »?

La passation de pouvoir entre « Joseph Kabila » et Felix Tshisekedi

Ce deal fut formalisé par une « déclaration solennelle » signée le 29 juillet 2019 par l’Udps Jean-Marc Kabund et le Fcc Néhémie Mwilanya. « Les deux parties sont résolues (…) à mettre en œuvre des réformes institutionnelles ainsi que des politiques publiques propres à créer les conditions propices à une croissance économique forte, durable et social (…) », pouvait-on lire.

Comment en est-on arrivé là?

« KABILA LE BIENFAITEUR… »

Depuis son accession à la tête de l’Etat le 24 janvier 2019, « Fatshi » n’a cessé de faire l’objet de raillerie de la part des proches de son prédécesseur. Celui-ci est présenté comme un « bienfaiteur » qui a « donné » l’imperium au leader de l’Udps. Les Kinois ont encore frais en mémoire les exhibitions d’un certain Henri Magie wa Lufete vociférant qu’ils allaient reprendre leur pouvoir. C’était durant les longues négociations en vue de la formation du gouvernement.

Près de deux années après, Felix Tshisekedi continue à être « méprisé » par le « camp Kabila ». On ne compte plus le nombre d’attaques et contre-attaques entre les « coalisés ». Et ce jusqu’à la nomination, le 17 juillet 2020, des juges constitutionnels Noël Kilomba et Jean Ubulu en qualité de présidents de la Cour de cassation. Au grand dam du Fcc/Pprd. Les deux juristes avaient séché la prestation de serment organisé le 4 août. N’empêche, ils ont été remplacés. C’est le cas également de l’ancien président de cette Cour, Benoît Lwamba Bindu.

 

 

Lors de la réunion du Conseil des ministres du 16 octobre dernier, le chef de l’Etat avait chargé le Premier ministre et le ministre des Relations avec le Parlement d’organiser la cérémonie de prestation des trois nouveaux juges constitutionnels.

UN « ORDRE ILLEGAL »

Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du Pprd

Secrétaire permanent adjoint du Pprd, Ferdinand Kambere a eu ces mots dans un média kinois: « (…) nous encourageons le Premier ministre à s’abstenir » de l’organisation de cette cérémonie. Et de citer à l’appui l’article 28 de la Constitution: « Nul n’est tenu  d’exécuter un ordre illégal (…)« . Pour le « kabiliste » Kambere, l’ordre que le chef de l’Etat avait donné à ces deux membres du gouvernement est « tout simplement illégal ». Au motif, selon lui, que les nominations des trois juges « sont nulles de plein droit ». En réalité, l’enjeu est tout autre. Il s’agit du contrôle de cette haute Cour par la mouvance kabiliste.

Par lettre datée du 20 octobre 2020, le chef de l’Etat a demandé à la présidente de l’Assemblée nationale d’organiser cette solennité. Jeanine Mabunda et son collègue du Sénat Alexis opposent un refus cinglant. Cette mission sera confiée au Protocole d’Etat. La prestation de serment s’est déroulé sans accrocs.

L’opinion nationale a été surprise, jeudi 22, de découvrir le communiqué du « dircab » ad intérim à la Présidence annonçant que le chef de l’Etat allait s’adresser à nation le vendredi 23. De quoi va-t-il parler? En l’absence des faits, on a pu assister à une surenchère des supputations. La « dissolution du Parlement » et la « révocation du Premier ministre » revenaient sans cesse sur les réseaux sociaux. Pire, les mêmes sources rapportaient que « Fatshi » aurait reçu Sylvestre Ilunga Ilunkamba et que celui-ci aurait refusé de présenter sa démission. Rien de plus faux.

2020, L’ANNEE DE L’ACTION?

Dès jeudi, les observateurs s’attendaient à l’éclosion d’une « crise institutionnelle » au sommet de l’Etat. L’absence très peu républicaine des parlementaires et des membres du gouvernement, étiquetés Fcc/Pprd, à la cérémonie de prestation de serment des trois nouveaux juges constitutionnels a eu l’effet de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les mandataires publics étaient également absents.

Près de deux années après son investiture, le président Felix Tshisekedi a fini par réaliser que ses alliés du Fcc/Pprd passaient le clair de leur temps à lui savonner la planche. Ses détracteurs, eux, n’hésitent pas à le chambrer au sujet du « Projet d’urgence des 100 jours ». Un projet qui s’est terminé, disent-ils, « en eau de boudin ». Il se raconte sur les réseaux sociaux que les sauts-de-mouton censés fluidifier la circulation sur certaines artères de la capitale seraient devenus des goulots d’étranglement.

Lors de son message sur l’état de la nation mi-décembre 2019, « Felix » avait décrété l’année 2020 « L’année de l’action ». A deux mois de la fin de l’année en cours, d’aucuns n’hésitent pas à ironiser que « 2020 aura été l’année de l’inaction ».

Dans son adresse du 23 octobre, le numéro un Congolais a relevé les « entraves » et les « pesanteurs » qui handicapent son action. Il a pris conscience que ses « alliés » du Fcc/Pprd sont décidés à l’aider… à échouer. Horizon 2023 oblige! Le « clan Kabila » est, d’ailleurs, déjà en campagne.

Comme pour avertir ses « alliés » qu’ils étaient embarqués dans le même bateau, Felix d’avertir: « Le peuple n’accordera aucun pardon à ceux qui, dans la classe politique, s’évertueront à créer ou à entretenir des entraves au progrès animés qu’ils sont par la stratégie de survie politique par positionnement personnel, haine tribale, la rancœur ou la poursuite de la prédation en toute impunité ».

L’ex-président « Joseph Kabila » et ses caudataires

Parlant de la coalition Cach-Fcc à l’imparfait, il poursuit: « Nous avions choisi de gérer le pays au sein d’une coalition qui semblent constituer la solution idoine pour sortir le pays de ses différentes récurrentes et préserver ainsi les acquis de l’alternance. Malheureusement près de deux ans après, les divergences qui persistent entre les différentes parties signataires de cet accord ».

PARTAGE ÉQUITABLE ET ÉQUILIBRE DU POUVOIR

A en croire « Félix », les points de friction se situent au niveau d’une série de matières. A savoir notamment: la paix, la sécurité nationale, l’organisation des élections, le portefeuille de l’Etat, la diplomatie, la Territoriale, l’indépendance de la justice et l’instauration de l’Etat de droit.

Depuis la passation dite « civilisée » du pouvoir, on assiste à une sorte de « saucissonnage » des organes de l’Etat. Un ministre portant le label « Fcc » a comme adjoint un membre du Cach ou vice-versa. C’est le retour en force du « partage équitable et équilibré du pouvoir » inauguré lors du régime de « Transition 1+4 ». Le Fcc/Pprd se réserve la part du lion. Et ce en dépit du dix-huit années d’exercice du pouvoir au bilan désastreux sur le plan socio-économique, politique et sécuritaire.

Pour le président Felix Tshisekedi, l’importance de toutes ces matières l’a convaincu « qu’elle ne doit être laissée à la merci d’un seul groupe politique ». Ces matières doivent faire l’objet d’un consensus national. Et de rappeler que contrairement à ce que d’aucuns pensent « l’instauration de l’Etat de droit n’est pas un leurre ». Ajoutant qu’il est conscient que « sa mise en œuvre énerve certains nostalgiques habitués à l’impunité et traitement de faveur ».

On rappelle que dans son communiqué daté de jeudi 22 octobre, le Fcc/Pprd a réaffirmé le rejet de la nomination des trois juges avant de menacer de mettre fin à la coalition qui lie les deux parties. Rodomontade? L’avenir le dira. Comme pour dire que la coalition Cach-Fcc appartient désormais au passé et qu’il entend assumer pleinement son rôle de premier personnage de l’Etat, Fatshi de marteler: « Le partage des valeurs liées à l’Etat de droits et à la justice constitue les conditions sine qua non de partenariat dans toutes les actions de mon mandat ». Joint au téléphone à Lubumbashi, un activiste de la société civile est formel: « Tant que Joseph Kabila ne sera pas neutralisé, le Congo-Kinshasa ne décollera pas ».

 

Baudouin Amba Wetshi

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