Après avoir bâti une fortune insolente grâce non seulement à sa proximité avec l’ex-président « Joseph Kabila » et surtout de la sous-évaluation et la vente à vil prix des actifs miniers de l’entreprise d’Etat « Gécamines », Dan Gertler se moque des Congolais. Dans un message vidéo diffusé, lundi 16 novembre à Kinshasa, devant un parterre de journalistes, le milliardaire israélien s’est découvert une « fibre sociale ». Après vingt-trois années de pillage de nos ressources minières, il estime que le temps est venu de faire participer ses « frères et sœurs congolais », dans le capital de sa compagnie minière.
La dernière fois que l’opinion congolaise a entendu parler de Dan Gertler c’était en juillet dernier. A l’époque, deux organisations non gouvernementales en l’occurrence Global Wittness et PPLAAF (Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique) avaient publié un rapport l’accusant d’avoir trouvé la « parade » pour contourner les sanctions américaines qui le frappent depuis 2017. Cette parade se résumerait à la création d’une vingtaine de société écran. Ces « entreprises » auraient des comptes dans « Afriland First Bank Congo », une filiale d’une banque camerounaise (?).
A en croire les activistes de ces deux ONG, depuis 2017 à ce jour, plusieurs dizaines de millions de dollars américains auraient « transité » dans ces comptes. Il semble que certains documents bancaires porteraient le nom d’un certain Alain Mukonda. Celui-ci serait le « partenaire » congolais de Gertler.
Lundi 16 novembre, les services de communication du milliardaire israélien ont invité la presse à une conférence. L’orateur du jour, en l’occurrence Dan Gertler, n’a pas daigné se présenter sur le lieu. Il s’est adressé à l’assistance par message-vidéo. Quel a été son message? Pourquoi maintenant? Quelle en est la motivation?
« TOSIMBANA MABOKO PO CONGO EBONGA »
Dans un speech prononcé en anglais, Gertler a commencé par rappeler le chemin qu’il a parcouru depuis qu’il a foulé le sol congolais, il y a vingt-trois ans. « Nous sommes heureux de partager l’expérience que nous avons acquise au cours des 23 dernières années », dit-il en soulignant qu’il croit « fermement » que « le cuivre et le cobalt appartiennent au peuple, mes frères et sœurs du Congo ». Tiens! Tiens! « Dan » qui dit se considérer « comme Congolais » invite ses « frères et sœurs » de « nouer un partenariat » pour développer les mines et les infrastructures du pays. Et d’ajouter en lingala: « Tosimbana maboko po Congo Ebonga ». Traduction: « Marchons la main dans la main pour l’essor du Congo ».
Le richissime homme d’affaires invite implicitement ses « frères et sœurs Congolais » à devenir actionnaires (c’est nous qui le soulignons) dans la compagnie minière Metalkol, basée à Kolwezi, province du Lualaba. Il promet de partager les « royalties », pour chaque tonne vendue, avec « tous les citoyens ». Il encourage les autres entreprises minières à faire autant.
Concluant son adresse, Gertler n’a pu s’empêcher de toiser les ONG et les médias occidentaux qui l’accusent de jouer un rôle central dans la corruption des autorités administratives congolaises et le blanchiment: « Ils continueront à parler et ne vous ont jamais rien livré (…). Les mêmes ONG, les mêmes journalistes, ils auront tous tort ». Comprenne qui pourra.
Le jeune Dan Gertler a foulé le sol congolais en 1997. Après avoir été « associé » au président Laurent-Désiré Kabila dans le négoce du diamant industriel, l’homme est devenu « rapace ». Il a fini par étendre ses activités au cuivre et au cobalt au lendemain de l’arrivée au pouvoir de « Joseph Kabila ». Il semble que c’est Augustin Katumba Mwanke, alors éminence grise du successeur de Mzee Kabila, qui avait introduit Gertler auprès du nouveau chef de l’Etat. Celui-ci le nommera, quelques mois après, consul honoraire du Congo-Kinshasa à Tel Aviv, en Israël.
Lors du mariage de « Joseph » et Marie-Olive Lembe en juin 2006, la présence du futur milliardaire israélien fut très remarquée. Les invités ont pu constater la proximité voire la « complicité » qui existait entre celui qui n’était encore qu’un « négociant en diamant » avec le couple présidentiel.
L’ÉTAU DE LA JUSTICE AMÉRICAINE
Le 24 janvier 2019, Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a succédé à « l’ami Kabila ». Dan Gertler tente manifestement de prendre ses distances par rapport à l’ancien couple présidentiel. Une manière de faire des appels du pied au nouveau à « Fatshi ».
Citoyen israélien, Gertler a noté, à l’instar des observateurs, la volonté du président Felix Tshisekedi de renforcer les relations existant entre le Congo-Kinshasa et l’Etat hébreu. En clamant qu’il « se considère comme Congolais », le milliardaire espère prendre « Fatshi » par les sentiments pour l’aider à faire desserrer l’étau de la justice américaine. Une justice qui « gêne » ses affaires plutôt louches.
Question: en « ouvrant » le « capital » de sa compagnie à un actionnariat populaire congolais, Gertler espère-t-il donner une « coloration congolaise » à sa compagnie Metalkol afin que la population congolaise s’interpose dans son bras de fer avec le département du Trésor américain? « Monsieur Gertler » pourrait réaliser à brève échéance que les Congolais ne sont pas dupes. Ils ont encore frais en mémoire les péripéties des sous-évaluations suivies de la vente à vil prix des actifs miniers de la Gécamines. Sans omettre les actifs touchant aux hydrocarbures.
Dans un rapport publié le 9 février 2004, l’ONG congolaise « Réseau de lutte contre la corruption et la fraude » (Relcof) dénonce deux conventions de joint-venture passées de gré à gré, en violation du Code minier, entre la Gécamines et les sociétés Kinross-Forrest Limited et « GEC » (Global Enterprise Corporated Ltd). La première appartient à l’homme d’affaires George Arthur Malta Forrest. La seconde est une de nombreuses filiales de Dan Getler International. Attardons-nous sur ce second cas.
Selon « Relcof », la Gécamines, représentée par ses dirigeants d’alors en l’occurrence Nzenga Kongolo et Assumani Sekimonyo, ont signé une convention de joint-venture n°656/6755/SG/GC/2004 avec la société « GEC » de Gertler. Problème: celle-ci n’est pas spécialisée en matière de métallurgie. Le scenario est connu: on achète à vil prix et on revend très cher. Gertler a pu acquérir la mine à ciel ouvert « Kov », considérée jadis comme un des fleurons de la Gecamines. En guise de contrepartie, « Dan » n’a apporté que 30 millions de dollars et « l’expertise technique ».
GERTLER A RATÉ L’OCCASION DE SE TAIRE
Dans son édition datée du 19 mars 2007, la newsletter « African Energy Intelligence » rapporte que « Kabila » a signé l’ordonnance n°08/022 validant le premier permis d’exploration pétrolière dans la zone dite du couloir maritime. Quid du bénéficiaire? Après enquête, celui-ci est identifié comme étant la société Nessergy Ltd, basée à Londres. L’ombre de Gertler est apparu aussitôt en filigrane en tant que propriétaire de Nessergy Ltd.
En mai 2010, le gouvernement congolais signe un partage de production de pétrole avec les sociétés Offshore Caprikat Ltd et Foxwhelp Ltd, basées dans les Iles Vierges, au Royaume Uni. Clive Zuma Khulubuse et Michaël Andrew Hulley jouaient le rôle de prête-nom. Et ce pour le compte cette fois du trio Gertler-Kabila-Katumba. Le pot aux roses fut découvert lorsque l’avocat Médard Palankoyi, un proche que Gertler, s’est présenté au ministère des Hydrocarbures. But: verser le « bonus » exigé vers le compte de la DGRAD (Direction générale des recettes administratives et domaniales).
Accablé des critiques au sein de l’opinion tant nationale qu’internationale, l’homme d’affaires s’est découvert une « vocation sociale ». Et ce, à partir de 2013. On a vu la Fondation « Gertler Family » « GFF » financer des services sociaux de base: réhabilitation des hôpitaux à Lubumbashi, Kipushi dans le Haut-Katanga et à Monkole, dans la commune kinoise du Mont Ngafula. Financement d’un projet agricole fut initié à Maluku. On peut citer également, la « réhabilitation » du Zoo de Lubumbashi.
Dans son speech du lundi 16, Gertler prétend avoir investi la somme de dix milliards d’euros dans le secteur minier congolais. Un chiffre qui est naturellement contesté par ses critiques. Dans son émission « Cash Investigation » diffusée en novembre 2017 par la télévision publique France2, les dirigeants de la Glencore ne tarissaient d’éloge « l’efficacité » de l’affairiste israélien. Selon ces derniers, « Dan » jouait le rôle de « facilitateur » – vous avez bien compris – entre les autorités politico-administratives congolaises et les « investisseurs » étrangers désireux de s’implanter dans le secteur minier ou des hydrocarbures. Pour la justice américaine, l’Israélien n’a été qu’un « corrupteur » des officiels congolais.
A quoi joue Gertler en faisant mine d’appeler à la rescousse « ses frères et sœurs congolais »? Le milliardaire a-t-il perdu ses certitudes après le changement intervenu au sommet de l’Etat congolais? Est-il en quête de « nouveaux amis » ou parrains? Une chose paraît sûre: il a raté l’occasion de se taire.
Baudouin Amba Wetshi