L’homme africain adore les expressions toutes faites. Le changement des mentalités en est une. Hommes politiques et intellectuels la reprennent à leur compte aussitôt qu’ils sont confrontés au désenchantement démocratique. Pourtant, il existe un moyen très simple de vérifier si cette expression est vide ou pleine de substance. Il suffit d’expliquer comment amorcer concrètement le changement des mentalités dont on parle tant. En écrivant noir sur blanc que pour changer la mentalité de l’homme congolais, on devrait commencer par « revisiter les programmes scolaires en matière du civisme et de l’éducation à la citoyenneté », Jo Bongos s’est conduit, nous l’avons démontré, comme un mécanicien devant une voiture qu’il dit être en panne. Mais quand on lui demande de designer la panne, il en est bien incapable. Car la voiture ne présente aucune panne.
Alors que Jo Bongos voit dans le système éducatif congolais déjà au niveau primaire, la source des stratégies possibles de changement des mentalités, Elili lui, trouve cette source dans l’homme congolais qui a déjà achevé son cursus scolaire et académique: « Nous cherchons le changement des mentalités en commençant par nous qui avons fait l’université ». Plus loin, il se montre plus explicite: « Le changement des mentalités doit commencer avec nous. Si nous sommes intolérants en ce qui concerne les idées sur un bout de papier blanc, comment pouvons-nous nous imaginer tolérer certaines réalités pratiques, points de vue pratique, une fois que nous avons les fonctions. Le travail de changement des mentalités commence par Elili. Et il le fait pour lui-même ».
Quand dans un espace bien nommé « Opinion & débat » quelqu’un incrimine les programmes scolaires congolais en matière du civisme et de l’éducation à la citoyenneté pour expliquer la désillusion quasi généralisée en termes de gouvernance dans notre pays, il n’y a pas mille et une manières d’en être sûr. Il faut d’abord identifier les défauts et lacunes de ces programmes qui justifieraient l’irresponsabilité de l’homme politique congolais. Ensuite, il faut écarter les défauts et combler les lacunes. A moins de démontrer qu’une autre procédure existe, mettre en lumière l’approche ci-dessus ne signifie nullement être intolérant. De même qu’Elili n’est pas intolérant en prenant le contre-pied de l’affirmation de Jo Bongos. Nous avions au contraire aidé tout partisan du changement des mentalités qui épouserait la vision de Jo Bongos à comprendre la tâche titanesque qui lui incombe pour étayer sa thèse. Car sans avoir abattu un tel travail, incriminer les programmes scolaires n’est rien d’autre qu’un soupçon voire même une accusation gratuite.
Il en est de même du travail de changement des mentalités qu’Elili dit faire sur lui et pour lui-même. Le changement des mentalités dont il est question dans ce forum concerne les pratiques politiques de nos gouvernants. Quel travail Elili fait-il concrètement sur lui pour qu’une fois arrivé au poste de Mende, Boshab, Minaku ou Kin Kiey, il se conduise de manière responsable? Poser la question, est-ce aussi se montrer intolérant? Par ailleurs, comment Elili serait-il certain d’avoir changé de mentalité aussi longtemps qu’il ne fait pas encore partie de notre classe politique? Lui poser cette question, est-ce toujours être intolérant à son égard ou chercher à mieux comprendre son raisonnement?
Elili se lance dans des affirmations très osées. Nous retiendrons la première: « Le jour où l’intérêt suprême de la nation sera un idéal à atteindre pour la plus grande majorité des Congolais, la disposition des choses, même celle qui est en place maintenant pourra fonctionner au profit du pays ». Si la solution à notre mauvaise gouvernance consiste en ce que la plus grande majorité des Congolais ait comme idéal l’intérêt suprême de la nation, pourquoi Elili n’explique-t-il pas concrètement comment en arriver là? Notons qu’Elili est un fervent lecteur de Congo Indépendant. La somme de toutes ses interventions rien que sur la nécessité du changement des mentalités, pourrait faire l’objet de tout un livre. Curieusement, il n’a jamais trouvé le temps de peaufiner la moindre stratégie concrète. Quand quelqu’un soutient que le changement des mentalités est la solution à notre problème, ne devrait-il pas se précipiter à nous édifier là-dessus avec au moins une stratégie concrète? Prenons le travail qu’Elili dit faire sur lui et pour lui-même afin d’être un nouveau type d’homme congolais, ce qui laisse entendre qu’avant qu’il n’entreprenne ce travail, il était un « médiocre » comme les « médiocres » qui nous gouvernent. Pourquoi n’explique-t-il pas clairement la nature de ce travail pour que d’autres puissent s’en inspirer si nécessaire? Est-ce tellement sorcier que les Congolais ne pourraient le comprendre?
En se lançant dans une entreprise dite de changement des mentalités pour qu’un jour l’intérêt suprême de la nation devienne un idéal à atteindre pour la plus grande majorité des Congolais afin de faire émerger la bonne gouvernance, Elili et bien d’autres compatriotes sont en fait en quête de l’impossible, c’est-à-dire une société contemporaine dans laquelle les citoyens seraient majoritairement consciencieux sur le plan de la morale publique et surtout politique. On connait l’émission « Afrique presse » sur TV5 Monde/Afrique au cours de laquelle Assane Diop reçoit chaque samedi, peu avant le JT, des journalistes spécialisés qui analysent, commentent et développent deux sujets d’actualité, choisis parmi les thèmes les plus forts de la semaine. Le samedi 14 avril dernier, les constitutions africaines et le sort de Moïse Katumbi étaient au menu. Sur le premier sujet, les invités d’Assane Diop ont unanimement reconnu que les constitutionnalistes africains sont des minables intellectuels qui s’évertuent à faire du copier-coller, au lieu d’appréhender les réalités du pouvoir africain afin d’asseoir des institutions fortes. Pour ces intervenants, l’Afrique attend toujours des constitutionnalistes responsables. Mais l’un d’eux a opportunément souligné qu’on ne devrait pas attendre les bonnes constitutions rien que de la part des constitutionalistes, mais de toutes les élites africaines. Notons que parmi les invités d’Assane Diop, figurait l’intellectuel béninois Gilles Olakounlé Yabi, fondateur du think tank Wathi, dont Nono nous avait recommandé un article. Notons également qu’au Congo-Kinshasa, un homme n’a pas attendu que la désillusion démocratique s’installe et se généralise à l’échelle continentale pour tenir ces deux discours. Il les a anticipés. D’abord en annonçant clairement, in tempore non suspecto, que compte tenu de la mauvaise voie suivie, la démocratie ne serait pas au rendez-vous. Ensuite, en comprenant que mettre en place une alternative à la démocratie des singes n’est pas un domaine réservé aux constitutionnalistes, mais une entreprise intellectuelle à la portée de tout citoyen doué de bon sens.
Quand on défend une thèse, on doit être en mesure de l’expliquer et de l’étayer. Nous aimerions bien que les partisans de la thèse du changement des mentalités se retrouvent un jour comme membres d’un jury face à un doctorant défendant une thèse sans être capable de l’expliquer ou de répondre à la moindre question. Des expressions vides de sens, cela existe et les Africains les adorent malheureusement. Le changement des mentalités comme solution à la mauvaise gouvernance en est une. Il est piquant de savoir comment on en est arrivé là. On met en place un système politique en croyant qu’il est bon et qu’il va fonctionner comme souhaité. On va aux élections dans la gaité et plein d’optimisme. On ne se dit pas un seul instant que la mentalité de l’homme congolais est mauvaise alors qu’elle est bien connue de tous puisque chaque Congolais la porte en lui-même. Après les élections, on se rend vite compte que le système démocratique mis en place a accouché d’une dictature. Puisqu’on a entendu quelque part l’expression « changement des mentalités », on la reprend à son compte pour expliquer la désillusion. Sans avoir étudié les programmes des manuels scolaires de civisme et d’éducation à la citoyenneté, quelqu’un se lève et les accuse d’être responsables des comportements inciviques des dirigeants congolais. Quand on porte des accusations contre quelqu’un ou quelque chose, on doit apporter des preuves. Soutenir cela ne signifie nullement qu’on est intolérant. Il en est de même quand quelqu’un d’autre se lève à son tour pour affirmer haut et fort qu’il y a un travail exigeant que chaque Congolais ayant terminé des études universitaires doit avant tout faire sur lui-même. Mais nulle part il n’explique la nature de ce travail. Est-ce responsable d’agir ainsi?
Ainsi va la thèse de changement des mentalités. Elle est passe partout. Alors que personne ne semble être capable d’expliquer comment y parvenir concrètement, on la considère tout de même comme la solution à notre problème. Et malheur à quiconque oserait en douter, car on émet contre lui une fatwa l’accusant d’intolérance. L’embrouille totale!
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
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