Ces forces centrifuges qui déstabilisent le Nord-Est du Congo-Kin

Depuis vingt-quatre ans, les provinces congolaises de l’Ituri, du Nord et Sud-Kivu vivent dans un état de déstabilisation permanente. Une situation qui arrange non seulement certaines personnalités congolaises mais aussi certains pays voisins. Près de 100 groupes armés nationaux et étrangers sèment la terreur et la mort dans cette partie du pays. L’Assemblée nationale a adopté, début avril, la mise sur pied d’une commission spéciale chargée de se pencher sur l’insécurité récurrente. Kinshasa vient d’abriter un « dialogue communautaire » sur la crise au Sud Kivu. Un dialogue de plus qui met à nu l’impuissance de l’Etat à s’imposer face aux forces centrifuges. C’est le cas notamment de ceux qui se font appeler « Banyamulenge ». Dans le Territoire de Beni, les insaisissables « ADF » ont transformé cette contrée en une sorte de « boucherie ».

Bahati Lukwebo/Ph. ACTUALITE.CD

Bahati Lukwebo/Ph. ACTUALITE.CD

L’Assemblée nationale a levé l’option de la mise sur pied d’une « commission spéciale » – une commission de plus – chargée de se pencher sur l’insécurité dans les provinces du Kivu et de l’Ituri. Sans omettre, on imagine, le Bas et le Haut-Uélé.

Echaudé par l’inanité des commissions antérieures du même genre, le député national Juvénal Munubo a « salué », mercredi 7 avril, cette initiative tout en rappelant qu’une première mission du genre fut organisée en 2014. Il espère que les « commissaires » ne se limiteront pas à rédiger un rapport. Et qu’ils veilleront à faire appliquer leurs recommandations.

C’est depuis le mois d’octobre 2014 que les prétendus rebelles ougandais des « ADF » tuent et pillent impunément dans le Territoire de Beni. Cette région sera au centre des préoccupations des membres de ladite commission.

UNE DESTABILISATION QUI DURE DEPUIS DEUX DÉCENNIES

Le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, a reçu, mardi 30 mars, une délégation des représentants de deux provinces du Kivu et de l’Ituri. « La paix et le développement de la partie orientale » du pays était au centre de l’entretien. Les trois régions font face au même mal appelé « insécurité ». Celle-ci est entretenue par une centaine de groupes armés. Le Congo-Kinshasa compte aujourd’hui plus de cinq millions de citoyens qui vivent dans une sorte « d’exil intérieur », loin de leurs habitations. Que peut faire le Président de la chambre haute du Parlement? Rien. Sauf promettre à ses interlocuteurs « de porter leur voix auprès des autres institutions ».

Les deux Kivu et l’Ituri font face à une déstabilisation qui dure depuis plus de deux décennies. Certains pays voisins bien connus n’ont pas peu contribué à l’exacerbation de l’insécurité qui règne à l’Est.

LA PRÉTENDUE « IDENTITÉ BANYAMULENGE »

Nombreux sont les Congolais qui ont souvent les cheveux hérissés lorsqu’ils entendent parler certains « compatriotes » à la « loyauté flottante ». C’est le cas du sieur Moïse Nyarugabo qui se dit Congolais tout en s’érigeant en défenseur des intérêts d’une certaine communauté. Vous avez compris. Il s’agit des « Banyamulenge ». Une tribu fictive qui n’a jamais été répertoriée, de 1885 et 1908, par les fonctionnaires de l’Etat Indépendant du Congo (EIC). Encore moins durant la colonisation belge (1908-1960).

Moïse Nyarugabo

L’évocation de cette « tribu » constitue en soi un défi lancé aux autorités congolaises. Et pour cause, l’Etat est dépourvu d’une armée forte et loyale lui permettant d’exercer sa compétence exclusive sur son territoire. Conscient de cette impuissance publique, Nyarugabu s’est permis de déclarer qu’il espère que « ces assises sont les dernières » afin de relancer la paix sur les hauts plateaux du Sud-Kivu que convoitent, par ailleurs, les fameux « Banyamulenge ». Nyarugabo ne s’est pas arrêté là. Mercredi 31 mars, il a déclaré, sans vergogne, que « l’identité de Banyamulenge n’est pas négociable ». Selon lui, il en serait de même « de son nom et de sa citoyenneté ». Des propos accueillis dans certains milieux comme une « déclaration de guerre ».

AU COMMENCEMENT ÉTAIT « LUBUMBASHI »

On ne le dit jamais assez mais l’affaire dite du « massacre des étudiants du campus de Lubumbashi » est sans conteste l’acte premier de déstabilisation du Congo-Zaïre. Un mois après le discours du président Mobutu du 24 avril 1990, annonçant la restauration du pluralisme politique, une « nouvelle » tombe: « 50 étudiants ont été égorgés au campus de Lubumbashi dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 ». Ce « massacre » est aussitôt attribué à un « commando » qui appartiendrait à la Division spéciale présidentielle (DSP).

L’armée est aussitôt vouée aux gémonies « pour avoir tué des enfants ». Dépendant de ses relations extérieures, le Zaïre est isolé. Les « pays amis » se sont empressés de fermer le robinet de la « coopération ». Et ce y compris au plan militaire. Trente années après, les parents des « victimes » restent introuvables. Ont-ils été tués avec leurs enfants? Les médias occidentaux, relayés par la presse locale, s’étaient-ils égosillés sur une tuerie massive qui ne s’est pas produite?

La longue « transition démocratique », 1990-1997, peut être considérée comme le deuxième acte de déstabilisation. Certaines officines étrangères ont profité de la zizanie au sein de la classe politique pour élargir le fossé séparant les « progressistes » représentés par « l’opposant radical » Etienne Tshisekedi wa Mulumba et les « mobutistes » affublés du sobriquet « mouvanciers ».

En octobre 1990, les combattants du Front patriotique rwandais attaquent le Rwanda. C’est le point de départ de la crise qui va se muer en guerre civile. L’assassinat, le 6 avril 1994, du président Hutu Juvénal Habyarimanaa a servi de détonateur. Plusieurs centaines de milliers des Hutu ont trouvé refuge dans les provinces du Kivu. Au mois de juillet, l’Armée patriotique rwandaise s’est emparé de Kigali. Les nouveaux maîtres du Rwanda vont tenter à maintes reprises de déloger les « exilés ».

Fin octobre 1996, une « tribu » qui n’a jamais été répertoriée dans le pays fait son apparition. Nom: « Banyamulenge ». Qui sont ces prétendus « Banyamulenge »? D’où viennent-ils? Que veulent-ils? Il s’agit d’anciens immigrés Banyarwanda auxquels l’Etat zaïrois avait accordé collectivement la nationalité. C’était au cours des années 70. Les législateurs ont fini par se rétracter en préconisant la demande individuelle. Les « insurgés » se réclamaient de Mulenge, une localité située en pays Bafuliiro et Bavira, au Sud-Kivu. Ils veulent, disaient-ils, reconquérir, l’arme à la main, leur « citoyenneté d’origine méconnue ». Une pure mystification! C’est ici qu’apparait Laurent-Désiré Kabila à la tête d’une prétendue « rébellion zaïroise » appelée AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Derrière l’AFDL se dissimulait l’armée patriotique rwandaise. Sans omettre les armées du Burundi et de l’Ouganda.

LD KABILA ET JAMES KABAREBE ONT « LIQUIDE » LE SOCCLE DE L’ARMEE NATIONALE

Arrivée de LD Kabila à Kinshasa après la chute de Mobutu

Le 17 mai 1997, l’AFDL fait son entrée triomphale à Kinshasa. « Vive la libération! », criaient naïvement de nombreux Kinois. Première surprise: le colonel James Kabarebe, un citoyen rwandais, est nommé, par le président Laurent-Désiré Kabila, au poste de chef d’état-major de l’armée congolaise. L’homme est présenté comme un « Banyamulenge ». Deuxième surprise: 43.000 militaires des ex-Forces armées zaïroises sont envoyés à la Base militaire de Kitona, dans l’actuelle province du Kongo central. Cette Base est transformée en une sorte de « camp de concentration ». Outre la malnutrition, les conditions d’hygiènes sont exécrables. « Chaque jour, on déplorait quinze à vingt morts à inhumer ». L’homme qui parle s’appelle Kadate Lekumu. En mai 1997, il portait le grade de colonel. Il était chef d’état-major de la Logistique des FAZ. C’était dans une interview accordée à Congo Indépendant en juillet 2020. LD Kabila et ses alliés rwandais ont liquidé ce qui restait de l’armée nationale.

Aujourd’hui, le Congo-Kinshasa n’a plus d’armée digne de ce nom. L’Etat, en tant que pouvoir politique, a perdu le monopole de la contrainte organisée sur son territoire. Il est concurrencé par des bandes armées nationales et étrangères. Cette impuissance des pouvoirs publics explique cette énième « commission spéciale » autant que le « dialogue communautaire » qui s’est tenu dans la capitale.

Depuis plus d’une décennie, l’Etat congolais consacre l’essentiel de ses ressources à financer la guerre contre des bandes armées et autres forces centrifuges en lieu et place d’impulser l’économie. C’est un secret de Polichinelle: les Forces armées de la RDC sont infiltrées par des éléments étrangers ayant profité de « brassages » et autres « mixages ». Une véritable « cinquième colonne ». « Sans l’épuration de l’armée, le Grand Congo sera toujours un géant aux pieds d’argile. Un géant qui sera défié par certains pays voisins autant que par des individus du genre Nyarugabo », conclut un parlementaire joint à Kinshasa.

 

Baudouin Amba Wetshi

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