Depuis samedi 16 octobre, la polémique fait rage au sein du microcosme politique congolais. Au centre de la controverse, la désignation, par la plénière de l’Assemblée nationale, de douze membres – sur quinze – du Bureau de la Commission électorale nationale indépendante avec à leur tête Denis Kadima Kazadi. Qu’est ce qui fait courir les professionnels de la politique au Congo-Kinshasa? Est-ce le service à rendre à la collectivité? Est-ce le droit d’accéder aux ressources et privilèges? A Kinshasa, des commentateurs tentent de répondre à ces deux questions.
Denis Kadima. Ceux qui ont visionné l’entretien de Denis Kadima au média « Top Congo » – il y a un an – n’ont pas manqué de constater que l’homme n’a pas « usurpé » sa réputation d’expert reconnu, au niveau international, en matière électorale. Les huit confessions religieuses chargées de sélectionner les candidatures l’avaient d’ailleurs constaté au vu du CV et lors des interviews des impétrants. Dans ce « face à face » avec la radio précitée, Kadima n’a pas manqué de renvoyer l’image d’un homme équilibré. Humble. Il est le directeur exécutif de l’E.I.S.A (Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique) dont le siège social se trouve à Johannesburg (Afrique du Sud). Cette structure possède des bureaux régionaux dans dix pays africains. « Tout nouveau cycle électoral commence à la fin de l’ancien« , a-t-il déclaré en liminaire. En clair, dès le lendemain de la proclamation des résultats des élections organisées le 30 décembre 2018, le Bureau de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) devait se remettre au travail pour préparer les consultations politiques de 2023. « Les pouvoirs publics auraient pu lancer le recensement de la population permettant à la Ceni d’en extraire la liste électorale« , a-t-il souligné. Kadima est apparu conscient du fait que le peuple congolais « veut un processus électoral meilleur que ce que nous avons eu dans le passé (…) dans le respect des standards internationaux« . Il est apparu également conscient du fait que ses origines autant que sa « proximité« , vraie ou supposée, avec l’actuel chef de l’Etat, provoquent un levé de boucliers. « On ne doit pas me juger sur des choses sur lesquelles je n’ai aucun contrôle« , a-t-il fait remarquer avec une pointe d’amertume. ?
Martin Fayulu Madidi. Leader de l’ECIDé (Engagement pour la citoyenneté et le développement) et membre du Présidium de la plateforme « Lamuka » – du moins ce qui en reste -, Martin Fayulu a animé un point de presse le mardi 19 octobre. Pour lui, la désignation de Kadima à la présidence de la Ceni n’est ni plus ni moins que de la « provocation« . En réponse, il a lancé un appel aux forces politiques et sociales acquises au changement en vue de constituer un « Bloc patriotique« . Mission: contrer la « dictature fatshiste« . Sera-t-il entendu? Certains commentateurs ironisaient, jeudi 21 octobre, que Martin Fayulu vient de dire adieu tant à la « vérité des urnes » qu’à son « Plan de sortie de crise« . Au lendemain du rejet de son recours devant la Cour constitutionnelle, le 18 janvier 2019, Fayulu s’est engagé dans la lutte pour faire triompher « la vérité des urnes« . Depuis cette date, ses amis et partisans ne le désignent plus que par deux mots: « Président élu« . Selon l’église catholique, « Martin » aurait obtenu 62% à la présidentielle. Au mois d’avril 2019, Fayulu changea de fusil d’épaule en proposant un « Plan de sortie de crise« . Le dit « plan » prévoit une transition d’une durée de 18 mois. La coalition Cach-Fcc devait continuer à diriger le pays. La coalition « Lamuka », elle, allait se charger de la direction d’un « Haut conseil national des réformes institutionnelles« . Adieu donc ces deux combats. Bonjour « Bloc patriotique« !
Moïse Katumbi Chapwe. Mercredi 20 octobre, c’est la ruée sur les réseaux sociaux. Les internautes se sont arrachée la lettre adressée au président Felix Tshisekedi par Moïse Katumbi Chapwe, président du parti « Ensemble pour la République » (EPR). Datée du même jour, cette correspondance s’articule sur trois pages. Les lecteurs se sont précités sur le dernier feuillet espérant y trouver « la phrase qui tue« . A savoir que l’EPR quitte l’Union sacrée de la nation (USN). Rien! Hormis, « (…) vous me donnez aujourd’hui l’occasion de vous demander de rejeter purement et simplement la liste entérinée par l’Assemblée nationale. Cautionner les irrégularités qui ont émaillé le processus d’entérinement des membres de la CENI conduira inévitablement le pays vers un nouveau cycle de désordre« . L’inénarrable Noël Tshiani Mwadiamvita a été le premier à « dégainer » en dénonçant le fait que la lettre destinée au premier magistrat du pays se retrouve le même jour sur les réseaux sociaux. De même, la copie partagée porte le cachet du service courrier de la Présidence de la République. Jeudi 21, des commentateurs se sont dits surpris de voir Katumbi conclure sa missive de « manière aussi molle« . « Moïse Katumbi est obnubilé par la fonction présidentielle« , résume un commentateur. Depuis la création de l’USN, l’ancien gouverneur du Katanga s’est toujours plaint, à travers ses communicants, de l’absence d’une charte régissant ce regroupement. L’autre plainte tourne autour de l’absence de réunion de concertation. Des observateurs furent surpris par l’agitation constatée au sein du « clan katumbiste » au lendemain du lancement de « l’idée » de Tshiani de faire verrouiller certaines fonctions névralgiques. Et pourtant cette initiative n’avait même franchi pas la porte du bureau d’études de l’Assemblée nationale. Grand fut également l’étonnement de l’opinion congolaise de voir de très respectueux chefs traditionnels du « Grand Katanga » descendre dans l’arène dans une déclaration contre le « projet Tshiani« . De nombreux commentateurs pointent des doigts accusateurs en direction des membres de l’équipe des « communicants » du Président de l’EPR. Il est reproché à ces derniers de « manquer la capacité de peser le poids des mots« . A en croire l’édition en ligne de « Jeune Afrique« , Moïse Katumbi préparerait le « divorce » avec l’Union sacrée. « Katumbi doit s’assumer. Il doit rester ou partir« , répètent des commentateurs sur la multitude des médias distribués sur You Tube. Jeudi 21, on a vu « Moïse » haranguer la foule dans la commune lushoise de Kenya. L’orateur avait les traits plutôt tirés. Affaire à suivre.
Assemblée nationale. Selon une dépêche de l’Agence presse associée (APA) datée du 21 octobre, le député national Célestin Musao dénonce l’entérinement de douze animateurs de la CENI sur les quinze. Ancien rapporteur de la chambre basse du Parlement, Célestin Musao demande au chef de l’Etat de prendre ses « responsabilités historiques » en refusant d’accepter cet entérinement. Et d’ajouter: « Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous revoici devant le cas de figure du rejet autrefois de l’entérinement de Ronsard Malonda. Nos regards restent donc rivés vers la Présidence d’où nous attendons impatiemment l’arbitrage juste, contrairement au spectacle hideux livré par le bureau de notre chambre basse« . L’Agence congolaise de presse (ACP) prend le contrepied de l’APA. La très officielle ACP rapporte le même jour que le directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale, Samuel Mbemba, a reçu, mardi, en l’absence de Christophe Mboso empêché, les « félicitations » des délégués de quinze « mouvements citoyens » dont Filimbi et Lucha, pour l’entérinement des animateurs de la CENI. Gauthier Kasongo était le porte-parole du groupe.
Que faire? Depuis l’accession du Congo-belge à l’indépendance à ce jour, le personnel politique zaïro-congolais ne court que derrière la satisfaction des intérêts particuliers. Au lendemain du discours du président Mobutu, du 24 avril 1990, annonçant le retour au pluralisme politique, d’aucuns avaient exigé la conduite des affaires publiques par une « nouvelle génération politique » arguant que la « vieille génération » a failli. Que sont devenus les prétendus réformateurs de ladite nouvelle génération? « Jeunes » et « vieux » ont prouvé que l’accès aux ressources d’Etat reste le véritable motivation qui fait courir tous les professionnels de la politique. Tout le reste n’est que de l’enfumage.
Revenons à ce qui s’appelle désormais « l’affaire Denis Kadima ». L’épineuse question reste: le Président de la République va-t-il investir l’équipe du Bureau de la Ceni en dépit ce charivari ambiant? Certains répondent par l’affirmative arguant que « Fatshi » aurait en horreur les menaces et les bravades. Bretteur, il n’a jamais eu peur de croiser le fer. D’autres espèrent que le premier magistrat du pays prendra le temps de consulter les forces politiques et sociales les plus significatives – dans une sorte de dernier tour de table – avant de trancher le « nœud gordien« .
B.A.W.