Plus de soixante-douze heures après l’interpellation de Pascal Mukuna, leader du mouvement « Eveil patriotique » dans une prétendue affaire de viol, on apprenait, samedi 16 mai, l’arrestation, aux allures d’enlèvement, du vice-président de la Ligue des « jeunes » du PPRD, Henri Magie wa Lufetu. Dénonciateur du bilan calamiteux des « années Joseph Kabila« , l’évêque Mukuna était dans le viseur de la mouvance kabiliste. Magie, lui, avait reçu « mission » de « rappeler » à Felix Tshisekedi qu’il a accédé à la tête de l’Etat « par la volonté » de l’ex-président Kabila. « On ne doit pas oublier d’où l’on vient », ironisait-il. Durant plusieurs semaines, Magie a « hué » Fatshi en toute impunité. Que s’est-il passé samedi? D’aucuns laissent entendre qu’un conseiller à la Présidence en l’occurrence Fortunat Biselele aurait menacé ce « griot » de la mouvance kabiliste d’arrestation pour « outrage au chef de l’Etat« . D’autres assurent que Magie serait victime des bisbilles au sein du PPRD. Qui dit vrai?
Habitant de la très huppée commune de la Gombe, Henri Magie wa Lufetu s’est rendu samedi 16 mai faire quelques emplettes dans le supermarché « Kin Mart » situé à un jet de pierres de la « Maison Schengen ». L’homme au béret rouge – qui passait pour un « intouchable » – ne pouvait imaginer qu’il allait être « cueilli » juste à la sortie. Ce qui devait arriver arriva: il est encerclé par des « hommes en uniformes ». Des policiers? Des militaires? L’histoire ne donne aucune précision.
Selon diverses sources, avant cet « incident », Magie aurait eu une conversation téléphonique houleuse avec un des conseillers à la Présidence de la République. Celui-ci aurait menacé « de le faire arrêter ». A-t-il été filé? Deux questions restent sans réponses. Qui a ordonné l’arrestation de ce cadre du PPRD? Pourquoi?
En attendant d’y voir clair, deux pistes d’explication semblent sortir du lot. D’une part, des bisbilles au sein du PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie). De l’autre, l’outrage au président Felix Tshisekedi Tshilombo.
BISBILLES AU SEIN DU PPRD
Il y a près de deux semaines, les internautes ont visionné une vidéo dans laquelle Magie était quasiment en pleurs. Il accusait le vice-ministre Papy Pungu – ancien président de la ligue des jeunes du PPRD – d’avoir recruté des « voyous » pour le passer à tabac. « J’ai été tabassé et jeté dehors », déclarait-il. Et d’ajouter avec amertume: « Nous n’avons personne pour plaider notre cause au niveau du bureau politique [du PPRD] où se passe le partage des postes ».
Magie qui milite dans le PPRD depuis une dizaine d’années s’est cru en droit de rappeler à une certaine hiérarchie « l’échec » du candidat du FCC/PPRD à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. Selon lui, la mouvance kabiliste a perdu ce scrutin « à cause des coups bas ». Il prévient: « Qu’on ne nous incite pas à entrer en dissidence ».
Pour les observateurs, les états d’âme de cet homme au béret rouge sont révélateurs de sa « marginalisation » au sein du PPRD. Et ce pendant que l’intéressé estime avoir rendu d’éminents services qui méritent une juste rétribution. « Le comportement de Magie trahit l’ambiance de sauve-qui–peut qui règne au sein du part kabiliste. C’est le chacun pour soi, Dieu pour tous qui prévaut », commente un chroniqueur kinois. Un autre d’enchaîner: « Magie a été pressé comme un citron. Il n’intéresse plus les bonzes du FCC/PPRD qui ont désormais d’autres combats à livrer sans son concours ».
Trois questions turlupinent néanmoins les esprits: Qui a ordonné l’arrestation de ce cadre de la ligue des « jeunes » du PPRD? Pourquoi? L’Etat de droit cher à Fatshi n’a-t-il pas été écorné par cette interpellation aux allures d’enlèvement? C’est ici qu’apparaît la thèse de l’outrage au chef de l’Etat.
OUTRAGE AU CHEF DE L’ETAT
Deux mois après l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat dans les conditions acrobatiques que l’on sait, « Kabila » et sa mouvance ont commencé à piaffer d’impatience pour la formation du gouvernement.
Néhémie Mwilanya Wilondja (coordonnateur du FCC) et Jean-Marc Kabund-a-Kabund ont signé, le 6 mars 2019, un « communiqué conjoint » dans lequel deux « recommandations » formulées n’avaient pas manqué d’ébahir l’opinion. On pouvait lire notamment qu’il revenait à « l’autorité morale du FCC (…) de procéder à la désignation du formateur du gouvernement ». Le Président de la République, lui, devait « nommer diligemment ledit formateur du gouvernement ». La composition du gouvernement ne sera publiée que le 26 août soit sept mois après la « passation pacifique du pouvoir ».
Furieux de se retrouver en position de « quémandeur » face au leader de l’UDPS à qui il venait de « céder » le pouvoir, « Kabila » a fait appel à Henri Magie et ses bérets rouges pour conspuer « Fatshi ».
En janvier dernier, Magie, en véritable « fou du roi », a sorti « l’orgue de Staline » pour pilonner les « positions » du nouveau chef de l’Etat.
Lors de son adresse aux membres de la diaspora congolaise réunis le 19 janvier 2020 à Londres, Felix Tshisekedi déclarait que ses détracteurs lui prêtent des « mauvaises intentions » dont celles de « dissoudre le parlement ». « Je ne rêve pas pour le moment de le dissoudre pour éviter une crise au pays, précisait-il. Par contre, si vous me poussez ou me mettez dans une situation telle que je ne sois plus en mesure de servir mon peuple comme il se doit (…), je n’aurai pas d’autre choix que de dissoudre le parlement ».
Tel un taureau en face d’un chiffon rouge, Magie s’empressa de rentrer dedans. Il lance sur un ton de défi: « Au lieu de menacer, il doit agir ». Il poursuit: « Felix Tshisekedi était le candidat de rechange de Kabila à l’élection présidentielle ».
D’après lui, le Cap pour le changement (CACH) a été « créé » par « l’autorité morale » du FCC. Celui-ci aurait demandé au Président kényan « d’abriter la naissance de cette coalition dans son pays ». Et de tonner: « Fatshi n’a jamais été élu Président ». Devrait-on parler d’aveu de tripatouillage des résultats électoraux par « Kabila » et la CENI (Commission électorale nationale indépendante)?
Au FCC/PPRD, aucun cacique n’a osé « recadrer » Henri Magie. Qui ne dit mot consent? L’opinion sera stupéfaite par le mutisme assourdissant au niveau du cabinet présidentiel.
Sur ces entrefaites, Pascal Mukuna, évêque de l’église ACK (Assemblée chrétienne de Kinshasa) lance son mouvement dit « d’éveil patriotique ». L’homme commence par reprocher à son ex-mentor « Kabila » d’entraver l’action de son successeur.
Mukuna de dénoncer les dix-huit années de pouvoir de « Joseph Kabila ». Pour lui, celui-ci a « détruit » le Congo-Kinshasa. « Joseph Kabila a reçu mission de mettre notre pays à genoux ». Il poursuit en appuyant là où ça fait mal: « Notre pays est sous domination étrangère. Nous devons connaitre la vérité sur l’assassinat du président Laurent Désiré Kabila ». La suite est connue.
RENDRE « COUP POUR COUP »
Depuis mercredi 13 mai, Pascal Mukuna est placé sous mandat d’arrestation provisoire. Il est embastillé à Makala. L’acte d’accusation apparent est connue: viol. Problème: la « victime » a pu filmer la scène des ébats.
Cette vidéo a divisé l’opinion. Pour les uns, « l’homme de Dieu » a perdu sa crédibilité. Pour d’autres, « le message véhiculé par Mukuna est plus important que la vie privée du messager ». Pour l’opinion, il ne fait l’ombre d’aucun doute que le magistrat-instructeur, en l’occurrence l’avocat général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe, Samy Bunduki Baombolia, a été « instrumentalisé ».
L’arrestation du leader de l’Eveil patriotique a été diversement interprétée. Au total, elle a été perçue comme l’ultime preuve selon laquelle « Kabila » continue à détenir la « réalité du pouvoir ».
Sur les réseaux sociaux, une jeune « maman congolaise » a réalisé une vidéo dans laquelle elle a dénoncé sa désillusion. « Henri Magie vous a insulté impunément. Pasteur Mukuna qui dit la vérité se retrouve en prison ». Après avoir vitupéré contre ce qu’elle appelle la « couardise » de « Felix », la « maman congolaise » conclut en invitant Fatshi à « démissionner pour mettre fin à l’humiliation que Kabila lui fait subir « .
Coup de théâtre. Invité vendredi 15 mai à l’émission, très courue, « Bosolo na Politik », un citoyen congolais se présentant sous le patronyme d’Ibrahim Kabila Tuarik a déclaré qu’il était un des enfants biologiques de LD Kabila. Pour lui, il faudrait procéder au test ADN afin de savoir qui sont les véritables filles et fils de Mzee. Des propos accueillis comme une « déclaration de guerre » au sein du « clan kabiliste ».
A la sortie du bâtiment de cette chaîne de télévision, « Ibrahim » est enlevé par des policiers. Qui a ordonné son arrestation? Qui est le plaignant? Deux questions qui appellent des réponses. On se trouve dans la logique du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution: « Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal. (…)« Vers 23 heures, le jeune homme est remis en liberté. Selon ses propos dires, le président Felix Tshisekedi serait intervenu personnellement.
La libération d’Ibrahim sur intervention, vraie ou supposée, du chef de l’Etat, est analysée comme une sorte de « réveil » – tardif ? – d’un Fatshi qui serait désormais décidé à rendre « coup pour coup » à ses « alliés » du FCC. D’aucuns considèrent que l’interpellation du « béret rouge » Henri Magie traduit la volonté de « Felix » d’affirmer la primauté de son autorité. Supputations? L’avenir le dira.
Baudouin Amba Wetshi