Ça recommence !

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Cela remonte au lendemain de l’indépendance. Et ça recommence chaque fois qu’un nouveau « guide éclairé » trône au sommet de l’Etat. Investi cinquième président de la république congolaise, le tricheur et traitre Felix Tshisekedi procède déjà aux nominations; ce qui rentre dans ses attributions. L’occasion est belle pour condamner une fois de plus le tribalisme. Voilà près de six décennies que dure cette attitude enfantine. Attitude enfantine parce que ce que notre peuple tant martyrisé par l’incurie de ses dirigeants attend, ce n’est pas de crier pour crier mais de suggérer des solutions. Faut-il rappeler combien de fois les élites congolaises ont vouer aux gémonies le tribalisme ou le régionalisme sans suggérer la moindre stratégie pour éradiquer ce fléau?

Un esprit aussi éclairé que Mabika Kalanda a écrit: « J’ai mesuré les méfaits du tribalisme chez les Bantous du Centre, de l’Est et du Sud de l’Afrique […] Le tribalisme a marqué la politique des dirigeants congolais et défavorisé l’éclosion du sentiment national » (La remise en question. Base de la décolonisation mentale, Bruxelles, Remarques Africaines, 1967, p. 15). Mais où est la solution? Silence! Pour Nguz Karl-i-Bond, ce phénomène est une « mauvaise conscience des Africains » (Le Zaïre de demain. Réflexions pour la IIIè République du Congo, Anvers, Soethoudt & Co N.V., 1983, p. 27). La solution? Silence! De son côté, Mobutu Sese Seko a cru bon d’insister dans son discours du 24 avril 1990 que « le multipartisme doit être considéré comme la volonté réelle de dépassement des tendances tribales, régionalistes ». Pendant que le premier cercle de son pouvoir restait constitué des seuls membres de son ethnie. Cinq années après ce discours, une nouvelle opposition qui tentait de se chercher une voie sur les ruines de l’opposition incarnée par Tshisekedi wa Mulumba, brandissait ce mot d’ordre: « Le tribalisme et le régionalisme sont à combattre et à endiguer au même titre que le fléau du siècle » (Le Forum des As, 12-13 février 1996). Entendez, le sida. Mais comment? Silence!

Lors d’un colloque intitulé « Ethnicité ou citoyenneté » et animé à Bruxelles du 4 au 5 octobre 1996 par le CERDA (Centre d’Education et de Réflexion pour le Développement des Communautés Africaines), une Asbl dirigée par des intellectuels congolais, ceux-ci affirmaient que le tribalisme « désigne les différentes dérives liées aux clivages ethniques ou tribaux ». Refusant de regarder le problème en face et soulignant leur incapacité à le résoudre, des intellectuels africains se lancent à la recherche des boucs émissaires en accusant les colonisateurs d’avoir inventé le tribalisme. Pour le Congolais d’en face Joseph Mampouya, par exemple, le tribalisme n’est rien d’autre qu’un « sous-produit de l’impérialisme, autrement dit une de ses armes puissantes d’intoxication de la conscience, de division des peuples afin de maintenir le plus longtemps possible son exploitation » (Le tribalisme au Congo, Paris, Ed. La Pensée universelle, 1983, p.13).

Comme on peut le constater, les élites africaines ont bien intériorisé le tort qu’une certaine anthropologie coloniale a fait au tribalisme et/ou régionalisme. Un tort qui ressortait encore mieux dans la démarche politique contradictoire du régime de Laurent-Désiré Kabila. D’une part, l’avant-projet de la norme fondamentale du pays, tel que revu par la commission des réformes institutionnelles (Commission Mwenze), considérait, dans son exposé des motifs, que « l’individu se définit par rapport à une communauté de base appelée tribu ». D’autre part, le pouvoir tenait à régenter la liberté d’association de manière qu’il n’existe aucune formation politique tribale, ethnique ou régionale.

Mais qu’est-ce donc que le tribalisme? Quel est le signifié réel du signifiant tribalisme, ce lexème qui semble être méprisé par tout le monde? « Le tribalisme est un comportement, une attitude positive ou négative qui crée, dans un milieu social donné, un réseau d’attractions et de répulsions entre les membres de deux ou plusieurs groupes composant ce milieu social. Les membres de chacun de ces groupes se disent liés par le sang, mais ils le sont beaucoup plus par l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes par rapport aux autres » (Sylla, L., Tribalisme et Parti unique en Afrique noire, Université Nationale de la Côte d’Ivoire, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1977, p. 23).

Honni soit donc qui mal y pense. Eclairé sous cette lumière, le tribalisme n’est pas un artifice quelconque. C’est « un sentiment naturel et irrépressible. Il est lié à la personnalité, à la véritable identité de l’Africain » (Oyowe, A., « Construire la démocratie sur le tribalisme », in Le Courrier, n° 128, juillet-août 1991, p. 71). Ou de l’homme tout court. Il « participe de la même essence que ces phénomènes, longtemps regardés avec admiration et respect, qu’on nomme patriotisme ou nationalisme. Entre le tribalisme, le patriotisme et le nationalisme, il y a une différence de degré (ou d’interprétation), mais pas de nature » (Sylla, L., op. cit., p. 24). Notons que jusqu’à ce jour, des élites congolaises se bombent le torse en s’autoproclamant « nationalistes » ou « souverainistes » pendant qu’ils posent ouvertement des actes d’un tribalisme ou régionalisme outrancier.

Partout au monde, quand un être humain dispose d’une parcelle de pouvoir, il est naturel qu’il en profite pour élever socialement les siens. Ne dit-on pas que charité bien ordonnée commence par soi-même? Nommer quelqu’un à un poste de responsabilité dans les rouages de l’Etat, c’est avant tout lui donner du travail, l’insérer dans la vie active ou promouvoir son ascension sociale. Il n’y a qu’en Afrique que les élites réfléchissent de manière tordue. On met en place un système politique qui ouvre grandement et légalement la voie au népotisme, tribalisme, régionalisme, clientélisme ainsi qu’aux promotions canapé. Mais on espère que les dirigeants ne vont pas abuser de leurs pouvoirs. Puis, on s’étonne qu’ils en abusent. Le tricheur et traître Felix Tshisekedi a-t-il violé un seul article de la Constitution en nommant des individus de son bord à des postes de responsabilité? Non! Pourquoi la Constitution se tait-elle alors que depuis l’indépendance, nous ne cessons de condamner ce phénomène?

Le remède contre le népotisme, tribalisme, régionalisme, clientélisme ainsi que les promotions canapé si courantes en Afrique ne réside pas dans les discours politiques prétendument nationalistes prononcés par les dirigeants. Il appartient aux Africains de l’inventer à travers un système politique approprié susceptible d’opposer la rigueur de la loi à tous, en commençant par le magistrat suprême. Pour sortir de l’incurie, pour échapper à notre moyen-âge en termes de gouvernance, les nominations des hauts commis de l’Etat doivent être strictement encadrées. Dans les meilleurs systèmes politiques comme dans les meilleures organisations internationales, personne ne compte sur la bonne volonté des dirigeants ou managers afin d’éviter ou de minimiser l’ampleur des fléaux ci-dessus. On compte toujours sur les règles du jeu et les mécanismes mis en place pour que personne ne se retrouve au-dessus de ces règles. On retrouve ici toute la grandeur de Montesquieu: « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». On retrouve également ici le sens de l’ingénierie politique intitulée, dans le cadre de ce forum, « Evangile démocratique selon Saint Mayoyo« .

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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