Le ministre congolais des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, s’est entretenu le vendredi 16 novembre à Kinshasa avec le ministre d’Etat belge, le libéral flamand Herman Decroo. Ils ont échangé sur l’état des relations entre Le Congo-Kinshasa et la Belgique. Au royaume de Belgique, le titre de « ministre d’Etat » est purement honorifique. Le Roi l’attribue à des personnalités politiques les plus méritants. Coïncidence ou pas, le très influent quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 17 novembre publie un article sur le même sujet à la tonalité d’une opération de « lobbying ». Le journal déplore la détérioration des relations entre les pays. La faute est imputée à l’actuel chef de la diplomatie belge ainsi qu’à certains membres de sa « garde rapprochée ». « L’effet N-VA » est à peine effleuré.
« Un homme qui se noie est prêt à se cramponner sur la queue d’un crocodile espérant avoir le salut », dit un dicton populaire. Essoufflé par l’isolement diplomatique, les « nationalistes-souverainistes » qui font mine d’administrer et de gouverner le Congo-Kinshasa ne savent plus à quel lobbyiste se vouer pour faire desserrer l’étau. Le problème? Le lobbying n’est pas de la magie. C’est une forme de « coaching ». Le sujet doit faire sa part.
A Kinshasa, le ministre Léonard She Okitundu a reçu, vendredi 16 novembre, l’homme politique belge Herman De Croo qui est, notons-le en passant, le géniteur de l’actuel ministre belge de la Coopération au développement prénommé Alexander.
« DIPLOMATIE PARALLÈLE » OU LOBBYING
Il est assez étonnant que l’entrevue entre les deux hommes ait fait l’objet d’une dépêche de la très officielle Agence congolaise de presse (ACP). On espère que « Herman » ne sera pas accusé de faire de la « diplomatie parallèle » dans la mesure où, à 81 ans, il n’exerce plus de fonction officielle au niveau du gouvernement fédéral.
De quoi les deux hommes ont-ils parlé?
Selon l’ACP, Okitundu et De Croo ont examiné des « dossiers » relatifs aux élections prévues le 23 décembre. Sans omettre les relations entre le Congo-Kinshasa et la Belgique d’une part et l’Union européenne de l’autre. « Nous avons échangé franchement sur bien de choses aussi bien sur les élections futures en RDC que sur les relations entre l’Europe, la Belgique et la RDC. L’avantage de ce type de rencontre c’est la franchise totale », a confié le ministre d’Etat belge à la presse. Selon lui, il a essayé « avec la même franchise », d’évoquer les divergences existant sur certains points.
Interrogé sur la présence de certains membres de l’opposition congolaise à Bruxelles, De Croo s’est contenté de dire que la capitale belge est une ville ouverte où il se tient quotidiennement pas moins de 120 réunions internationales. Et de conclure que le gouvernement fédéral n’a pas à interférer sur les « différences d’opinion » à l’intérieur d’un pays comme le Congo-Kinshasa.
Les autorités congolaises – « Joseph Kabila » et Léonard She Okitundu en tête – croient dur comme fer que l’actuel ministre belge des Affaires étrangères, le libéral francophone Didier Reynders, est le principal responsable de la brouille entre Kinshasa et Bruxelles d’une part et l’Union européenne de l’autre.
« L’EFFET N-VA »
A Bruxelles, le très influent quotidien « Le Soir » du lendemain daté du 17 novembre ne disait pas autre chose. Sous le titre « La diplomatie belge déserte le Congo », les journalistes Colette Braeckman et Philippe de Boeck font une sortie de « radiographie » des relations entre les deux pays.
Après avoir noté que « les liens se distendent durablement », les deux journalistes rapportent que « les hommes d’affaires assurent que leur nationalité belge ne joue plus en leur faveur ». Le journal reproche à la diplomatie belge son aveuglement. Il est reproché au ministre Reynders d’avoir parié « prématurément » sur des hommes politiques comme Moïse Katumbi ou à une « transition sans Kabila ». Le directeur Afrique au ministère belge des Affaires étrangères, Renier Nijskens, en prend également pour son grade.
Pour les auteurs de cet article, l’actuel chef de la diplomatie belge serait allé trop loin au point qu’il lui sera difficile de négocier un « virage » en vue d’alléger les sanctions infligées par l’UE à certaines personnalités du régime.
Deux choses surprennent dans ce « papier ». D’abord, la volonté délibérée de ces journalistes de minimiser la part de responsabilité du régime « Kabila ». Ensuite, une allusion furtive à ce qu’on pourrait appeler « l’effet N-VA » sur les relations entre Kin et Bruxelles en imputant toute la faute à Didier Reynders.
L’opinion congolaise n’a pas oublié que certains milieux médiatiques et politiques belges ont eu, dès le 26 janvier 2001, à porter « Joseph Kabila » à bout de bras. L’objectif était d’asseoir son pouvoir. Ces milieux croyaient que la Belgique faisait une « bonne affaire » en adoubant le successeur de Mzee LD Kabila. « Le Soir » daté du 20 janvier 2001 écrivait notamment: « La nomination de Joseph Kabila a mécontenté de nombreux congolais. (…), le fils du Président défunt est à moitié tutsi, ce qui n’améliore pas sa popularité à Kinshasa (…)« .
Dans un nouvel article publié cinq jours plus tard, la même publication adopta une nouvelle version de l’histoire: « (…), au moment de l’inhumation, les Congolais ont découvert une femme au visage de Madone marqué par la douleur (…). Les Congolais durent se rendre à l’évidence que Sifa Mahanya, la mère de leur nouveau chef est bien congolaise, originaire (sic!) de Bangu Bangu, dans le Maniema ».
UN DICTATEUR SANGUINAIRE
L’opinion congolaise a encore frais en mémoire le soutien par trop voyant apporté au président-candidat « Kabila » par le ministre belge des Affaires étrangères d’alors, le libéral francophone Louis Michel lors de l’élection présidentielle de 2006. Sous prétexte que l’UE donnait beaucoup d’argent au gouvernement de transition « 1+4 », le ministre Michel s’était permis de dicter les règles du jeu lors de la campagne électorale. Le « parcours personnel » de « Joseph Kabila » était décrété « sujet tabou ».
Au fil du temps, « Joseph » a enlevé le masque en dévoilant son véritable visage d’un dictateur sanguinaire. Le double massacre des adeptes du mouvement religieux Bundu dia Kongo en 2007 et 2008 en témoigne. Il en est de même de l’assassinat des défenseurs des droits humains. C’est le cas notamment de Floribert Chebeya et son chauffeur Fidèle Bazana.
Lors de la présidentielle du 28 novembre 2011, c’est encore un ministre libéral francophone, en l’occurrence Didier Reynders, qui va s’évertuer à minimiser l’influence de la fraude et des irrégularités dénoncées par les observateurs tant nationaux qu’étrangers. « Ces irrégularités ne changent nullement l’ordre d’arrivée », déclarait-il au grand dam des Congolais. Un coup de pouce donné à « l’ami Joseph ».
Les faits étant têtus, Colette Braeckman et Philippe de Boeck ont fini par relever les causes de la dégradation des relations entre les deux pays. A savoir, les tentatives de « Kabila » de briguer un nouveau mandat interdit par la Constitution et la répression violente des marches pacifiques organisées le 31 décembre 2017, le 21 janvier et le 25 février 2018.
Les deux journalistes du « Soir » ont tenté, sans succès, de faire l’avocat du diable en éludant que depuis l’avènement de la N-VA au gouvernement fédéral en 2014, le ministre Didier Reynders est « sous surveillance ». Il n’a plus la haute main sur le dossier sous examen.
Baudouin Amba Wetshi