Des agents et cadres de la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac), en cours de liquidation par la Banque centrale du Congo (BCC), ont organisé, jeudi 22 avril, un sit-in à la Cité de l’Union Africaine afin d’obtenir l’intervention du président Felix Tshisekedi dans le « contentieux » qui les oppose à leur « employeur ».
Les « pétitionnaires » demandent l’implication du chef de l’Etat en vue de la « régularisation » du dossier relatif au paiement des arriérés de salaires et des décomptes finals. C’est depuis 2018 que ces agents et cadres de la Biac attendent de recouvrer leurs droits. On imagine qu’ils ont pu déposer un mémo destiné au Président de la République.
Parlant au nom de ses collègues, un des agents a expliqué le but de cette démarche. « Nous sommes venus lancer un cri de détresse afin que le Président de la République s’implique personnellement dans ce dossier pour que nous soyons rétablis dans nos droits ».
Ancienne troisième banque commerciale au Congo-Kinshasa après la RawBank et la BCDC, la Banque internationale pour l’Afrique au Congo est, depuis 2016, sous liquidation. Une mesure radicale prise par la Banque centrale du Congo (BCC). Au commencement était une « crise de liquidité ».
Dans le « lexique d’Economie » (Editions Dalloz), la liquidation, au point de vue juridique, est définie comme: « une opération de partage d’une entité économique entre les créanciers et les différents propriétaires. Il s’agit de régler le passif et de transformer l’actif réel en liquidité plus facilement partageable ».
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ?
L’histoire de la Biac pourrait se résumer en ces quelques paragraphes. Créée en 1970, cette banque a pour actionnaire principal la société « Sofia S.A. » de droit luxembourgeois. Celle-ci est représentée par Elwyn Blattner en qualité d’administrateur.
Au fil du temps, cette banque est devenue le troisième établissement financier avec 480.000 déposants et 150 points de vente aux quatre coins du pays. Parmi sa clientèle, il y a non seulement des « citoyens lambdas » mais aussi des institutions tant au niveau national que provincial et local. Sans doute pour « se faire des amis » dans le microcosme politique, la Biac a accordé des crédits à ces clients réputés impécunieux. Douteux.
Selon des sources, c’est à partir de 2004 que cet établissement bancaire a commencé a donné des « signes d’essoufflement ». Régulateur, la Banque centrale du Congo, dirigée alors par Jean-Claude Masangu Mulongo (1997-2013), ne pouvait l’ignorer. Des missions d’audit furent dépêchées par la BCC. Successeur de Masangu, Déogratia Mutombo Mwana Nyembo ne pouvait pas non plus ignorer les « difficultés » auxquelles cette banque commerciale était confrontée.
En dépit de cette situation, la BCC décide de prêter à la Biac une somme de 40 milliards de FC soit l’équivalent à l’époque de 40 millions de dollars. C’était en 2013. Le Premier ministre d’alors s’appelait Augustin Matata Ponyo. La stabilisation du cadre macro-économique fut son « dada ».
Fin 2015, Matata estime que le pays fait face à une inflation qui fragilise le sacro-saint cadre macro-économique. Pour lui, cette situation ne pourrait résulter que du refinancement accordé à la Biac. La BCC est aussitôt instruite de récupérer cette somme. Dans le milieu bancaire kinois, c’est l’incompréhension. Et ce dans la mesure où la Banque centrale est considérée comme le « prêteur de dernier ressort » lorsqu’une banque commerciale est en difficulté. C’est le cas de la Biac.
Ancien directeur de la City Bank à Kinshasa, Michel Losembe atterrit en 2013 à la tête de la BIAC. Cet ancien élève de l’ICHEC (Institut commercial de hautes études commerciales) a un plan pour « restructurer » cet établissement à la dérive. Il lui faut de l’argent. Les actionnaires et le conseil d’administration sont sensibilisés. En vain. « C’est la publicité fait, via les réseaux sociaux, sur la santé de la Biac qui va faire tomber cette banque ». C’est Losembe qui parle. C’était dans une interview accordée à Radio Top Congo.
Comme dans l’histoire de l’Américain Bernard Madoff, les 40 millions de dollars empruntés par la Biac auprès de la BCC représentaient les crédits accordés à des « clients douteux ». C’est le cas des institutions publiques tant au niveau national, provincial que local. « Certains de ces crédits étaient pourtant garantis par l’Etat. Toutes les tentatives pour les récupérer n’ont pas abouti ». C’est toujours Losembe qui parle.
En 2016, la BCC décide de mettre la BIAC sous sa tutelle. L’objectif non avoué est de se faire payer. La BCC se fait justice à elle même. Bonjour la liquidation! A en croire Michel Losembe, on a assisté au cours de ces quatre dernières années « à la dilapidation des actifs restants ». D’après lui, la BCC a dû réinjecter 160 milliards de FC – soit quatre fois l’argent réclamé à la banque d’Elwyn Blattner – pour permettre à la clientèle de retirer les dépôts. Le problème, tout le monde n’a pas été servi. Des « petits déposants » se sont constitués en « Collectif » pour récupérer leur dû.
ET VOICI LA FAMILLE « KABILA »!
Au mois de juillet 2016, une banque chinoise dénommée « China Taihe Bank of Congo » se porte candidat pour « reprendre » la Biac. Selon certaines indiscrétions, une certaine Ruwet Mtwale « Kabila » se tenait dans les coulisses. Les Chinois devait servir de prête-nom. Le véritable candidat « repreneur » s’appelait « Joseph Kabila ». Le gouverneur de la BCC Deogratias Mutombo a fini par donner son accord par sa lettre du 1er octobre 2016.
C’était méconnaitre le talent de négociateur d’Elwyn Blattner. Pour l’ex-administrateur de la Biac, « sa » banque vaut 400 millions de dollars. Pas moins. L’ex-raïs avait-il confié au duo Matata-Mutombo la mission secrète de faire sous-évaluer cette banque commerciale afin de lui permettre de la reprendre pour une bouchée de pain? La famille « Kabila » et ses « amis chinois » ont-ils fini par battre en retraite à cause du montant exigé par l’actionnaire principal?
Des observateurs sont d’avis que la Biac a été « tuée » par le gouverneur de la BCC. Selon eux, la Biac aurait pu être « sauvée » si Déogratias Mutombo n’avait pas exécuté aveuglement l’ordre donné par le Premier ministre Matata Ponyo.
Que reste-il de la liquidation précipitée de cette banque au regard de l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er novembre 2020 ordonnant non seulement la suspension de la dissolution mais aussi de la liquidation de cette banque commerciale?
Dans cette querelle entre économistes et financiers, les agents et cadres de la BIAC ne demandent que la… liquidation de leurs arriérés de salaires et les décomptes finals. Le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde a du pain sur la planche.
Michel Losembe persiste et signe: « La restructuration de la Biac a échoué parce qu’elle n’a pas été mise en œuvre ». D’après lui, il était possible de redresser la Biac sans passer par la liquidation.
Baudouin Amba Wetshi