Huit années après l’émergence du phénomène « ADF » (Forces démocratiques alliées), l’opinion congolaise attend toujours la tenue du premier procès public afin de connaitre ces tueurs – d’une cruauté inhumaine -, leur motivation mais aussi le commanditaire. Depuis le mois d’octobre 2014, plusieurs combattants de ce mouvement terroriste ont été arrêtés dans le Territoire de Beni et transférer dans la capitale. Il en est de même de leurs présumés complices appartenant notamment aux 890ème et 905ème régiments des FARDC. Il y a manifestement des pesanteurs au sein du complexe militaro-judiciaire dans lequel opèrent des hommes et des femmes qui doivent leur ascension à l’ex-raïs.
Selon des sources, le nommé Baluku Radjabu, le « financier » présumé des rebelles ougandais « ADF » aurait été arrêté par des forces spéciales de l’armée congolaise (FARDC). Martial Papy Mukeba de Radio Okapi croit savoir que l’arrestation de cet individu remonterait au mois de mars. On imagine que l’homme sera transféré à Kinshasa où des magistrats aguerris de l’auditorat militaire vont le « cuisiner » avant l’ouverture d’un procès public.
On apprenait jeudi 14 juillet que l’épouse d’un des commandants des ADF aurait été capturée lors de l’attaque d’une position de dits « rebelles ougandais ». Agée de 18 ans, cette jeune personne répondrait au nom d’Ochati Sarah Heleine. Ce même jour, cinq motards ont été trouvés en possession de vivres et de godillots destinés aux combattants ADF. Les faits auraient eu lieu dans le secteur de Bashu.
Ces complices des ADF seront-ils embarqués dans un avion en partance pour Kinshasa? Sans doute. Seulement voilà: le système judiciaire congolais accuse des signes d’impotence. C’est à croire que les tentacules de la pieuvre « Kabila » continuent à étendre leur emprise tant les régiments des FARDC déployés dans les provinces du Kivu et de l’Ituri qu’au sein de la justice militaire. Excessif? Assurément pas!
Dans son rapport daté du mois de mai 2015, le BCNUDH (Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme) rappelle qu’entre le 1er octobre et le 31 décembre 2014 – quelques mois après la « défaite » du M23 en novembre 2013 – les insaisissables ADF avaient, au cours de laps de temps, exécutés 237 civils (dont 65 femmes et 35 enfants). Ces personnes ont été exécutées « à l’aide de machettes, de haches, de marteaux, de couteaux, de grosses pierres et de gourdins ». Des crimes contre l’humanité. Le rapport de souligner que les ADF redoublaient de cruauté quand leurs chefs se rendaient aux autorités ou étaient capturés.
Dans ses recommandations, le BCNUDH exhorte le gouvernement congolais à engager des poursuites judiciaires contre les auteurs de ces actes « pour faire cesser ces violations ». Les experts onusiens sont formels: depuis le mois de décembre 2014 à ce jour, plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées à Beni et transférées à Kinshasa.
Le 28 janvier 2022, l’opinion congolaise apprenait avec satisfaction l’arrestation d’un des « égorgeurs » opérant dans le Territoire de Beni. Il s’agit du Kenyan d’origine omanaise Salim Muhammad Rashid, un des commandants des ADF. Ce fait s’est produit huit mois après la proclamation de l’état de siège par le président Felix Tshisekedi. « Cette arrestation est à compter parmi les prouesses de l’état de siège », exultait, sans doute à raison, le ministre de la Communication et des médias, Patrick Muyaya Katembwe. Six mois après, c’est le silence sépulcral. Le Djiadiste, disait-on, avait été transféré à Kinshasa en prévision d’un procès. Où en est-on?
LES « HOMMES DU RAIS »
Après son accession à la tête de l’Etat le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » a fait le « timide » jusqu’à la formation du gouvernement de Transition « 1+4 » en juin 2003. Après sa « victoire » à l’élection présidentielle de 2006, l’homme a tombé le masque en montrant son vrai visage. Celui d’un homme violent et brutal. Des « hommes du raïs » vont être placés à la tête des principaux parquets et cours et tribunaux.
Pendant plusieurs années, Flory Kabange Numbi et Timothée Mukuntu Kiyana vont régenter respectivement le parquet général de la République et l’auditorat général des FARDC. Chefs hiérarchiques tout-puissant dans leur office respectif, les deux hommes se comportent en véritables « petits soldats » chargés de défendre les intérêts du régime en général et ceux du « raïs » en particulier.
Kabange Numbi n’a pas hésité à envoyer un parlementaire à Makala alors que l’ex Cour suprême de justice avait décidé son assignation à résidence. Bien qu’on ne dit pas du mal de morts, on ne peut passer sous silence les « exploits » de « Tim » Mukuntu. Deux faits à titre d’illustration.
Lors de l’assassinat du colonel Mamadou Ndala en janvier 2014, l’auditeur général des FARDC a.i sera le premier à descendre sur la scène du crime. Un crime attribué précipitamment aux ADF. Et ce, avant même que les enquêteurs de la police judiciaire aient pu relever les premiers indices.
Mi-mars 2017, les experts onusiens Zaida Catalan et Michaël Sharp sont assassinés au Kasaï Central. Juge-président de la Haute de la cour militaire de la garnison de Kananga, le colonel Jean-Paulin Ntshaykolo, n’est allé par quatre chemins en affirmant orbi et urbi que « les autorités politico-administratives n’étaient nullement impliquées » dans l’affaire examinée. Les représentants successifs du ministère public ne diront pas autre chose.
LES TENTACULES DE LA « PIEUVRE KABILA »
Revenons aux ADF. Début mars 2015, un certain Jamil Mukulu est appréhendé dans un village tanzanien. L’homme n’est autre que le chef présumé des rebelles ougandais dits « ADF ». Six passeports dont celui du Congo-Kinshasa sont découverts dans les affaires de l’intéressé. « Kabila » n’entreprendra aucune démarche pour identifier l’émetteur de ce document de voyage. Pire, la RDC ne bouge pas le petit doigt se constituer partie civile au procès ouvert contre Jamil Mukulu à Kampala.
Le 13 février 2018, « Kabila » – dont le second mandat légal a expiré depuis le 19 décembre 2016 – sort de son hibernation en instruisant l’auditeur militaire au Sud à émettre 26 « mandats d’arrêt » contre des responsables des ADF dont le fameux Jamil Mukulu qui est, pourtant, en détention à Kampala depuis janvier 2015.
D’après le rapport du BCNUDH, sieur Mukulu avait noué, depuis 2007, des liens avec des officiers des FARDC. « Des combattants ADF tuent avec des soldats du 809è et du 905ème régiments », peut-on lire. Ces unités seraient composés en majorité des soldats mixés ou brassés issus du CNDP et du M23.
Du 26 janvier 2001 au 24 janvier 2019, la République démocratique du Congo a été dirigé par « Joseph Kabila », un ancien rebelle. Et si cet homme fut un ancien ADF? Cette question ne relève nullement de la provocation. Bien au contraire. « J’ai aussi vécu dans le maquis qui existait depuis 1990 en Ouganda dans les monts Ruwenzori ». C’est « Kabila » qui parle dans une interview accordée au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 7 mars 2001. Une chose parait sûre: les tentacules de la pieuvre « Kabila » restent bien accrochées à l’armée congolaise ainsi qu’au système judiciaire. De nombreux juges et magistrats du parquet ne doivent-ils pas leur ascension à l’ex-Président?
La lenteur désormais légendaire de Felix Tshisekedi à décider d’opérer des changements aux différents échelons de la magistrature tant civile que militaire constitue une aubaine pour le « clan Kabila » et tous ceux qui sont impliqués de près ou de loin dans les tueries à Beni. Les procès publics vont attendre.
Trois questions restent sans réponse. Primo: Que sont devenus les combattants ADF et leurs présumés complices des FARDC arrêtés à Beni et transférés à Kinshasa? Secundo: A quel niveau se trouve l’instruction? Enfin: Pourquoi leur procès tarde à s’ouvrir?
–
Baudouin Amba Wetshi