Porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général de brigade Sylvain Ekenge a annoncé, vendredi 6 août, ce bilan macabre. La mémoire collective étant réputée oublieuse, l’opinion congolaise semble perdre de vue que les premières tueries ont commencé dans le Territoire de Beni, province du Nord-Kivu, au mois d’octobre 2014 soit quatre années – ou plus précisément, 51 mois – avant la passation de pouvoir entre « Joseph Kabila » et son successeur Felix Tshisekedi. Les tueries qui se déroulent dans cette partie du pays depuis bientôt sept ans semblent avoir des liens avec certains faits pour le moins troublants. A savoir notamment: la « rébellion » du CNDP, la « mutinerie » du M23, l’assassinat du colonel Mamadou Moustapha Ndala, l’assassinat du colonel rwandais Patrick Karegeya et le cas de l’Ougandais Sheikh Jamil Mukulu. Leader présumé des « rebelles ougandais » dits « ADF », ce dernier a été arrêté en mai 2015 dans un village tanzanien. Sieur Mukulu était en possession de six passeports dont celui du « Congo démocratique ». Silence embarrassé à Kinshasa. Pourquoi?
C’est une « guerre » sans ligne de front qui se déroule depuis bientôt sept ans au Congo-Kinshasa, plus précisément dans le Territoire de Beni dans la province du Nord-Kivu. Deux mille militaires congolais ont perdu la vie dans cette guerre étrange face à un « ennemi » insaisissable voire invisible appelé, plus à tort qu’à raison, les « rebelles ougandais ADF ».
A en croire le général Sylvain Ekenge, l’état de siège décrété, le 6 mai dernier, par le chef de l’Etat, a permis de mettre la main au collet de 145 personnes suspectées de « collaboration » avec les fameux « ADF ». Une centaine de présumés combattants ont été capturés. Ces individus seraient en prison. Cinquante d’entre eux seraient des Congolais natifs de Beni et Butembo.
Comme pour répondre à certains médias ou opérateurs politiques qui clament que l’état de siège est « un fiasco » ou « un échec », le porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu a eu ces mots: « Avoir la paix tout de suite est une illusion ». Selon lui, les pouvoirs publics sont néanmoins déterminés « à imposer la paix » dans cette partie du pays. D’après lui, on semble oublier que « la guerre a duré plus de 20 ans ». Autrement dit, au Commencement était l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) ayant porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir. Après le décès, le 16 janvier 2201, de ce dernier, dans des conditions non-élucidées à ce jour, un homme au passé énigmatique prend le fauteuil laissé vacant. Durant 18 ans, c’est le grand flou.
L’ETAT DE SIEGE DERANGE
Le 6 mai dernier, le président Felix Tshisekedi Tshilombo a décrété l’état de siège. Sans mauvais jeu de mots, il s’agit d’une sorte de « solution finale » pour pacifier la partie orientale du pays en commençant par le Nord-Kivu et l’Ituri.
Pour le porte-parole du gouverneur du Nord-Kivu, l’état de siège ne fait pas que des heureux. « Les gens s’agitent pour empêcher que des secrets soient connus. Ils ont peur qu’on puisse les citer. Nous savons qui fait quoi et qui finance quoi ».
Le général Sylvain Ekenge a omis de répondre à trois questions qui taraudent les esprits. Primo: quelle est la motivation des « tueurs »? Cupidité? Vengeance? Haine tribale? Mystère! Secundo: A quelle date aura lieu le procès – de préférence public – des « suspects » emprisonnés?
Les premières tueries survenues dans le Territoire de Beni remontent au mois d’octobre 2014. C’était dans la localité de Ngadi. Une quarantaine de personnes égorgées furent découvertes. « Joseph Kabila » n’a daigné descendre sur le lieu de carnage que deux semaines après (le 29 octobre 2014). Dans un speech tenu à Beni, le « raïs » promet aux Kivutiens du Nord de tout mettre en œuvre pour neutraliser les « assaillants ». Une promesse qui ne sera jamais tenue. Bien au contraire, les atrocités ne cesseront de prendre de l’ampleur.
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DEUX CENTS CINQUANTE-QUATRE CIVILS TUES SOUS L’ETAT DE SIEGE?
Trois mois après le lancement de l’état de siège, ceux que l’on nomme « ADF » semblent poursuivre « leur travail ». Selon des statistiques établies par le « Baromètre sécuritaire du Kivu », une association qui réunit le Groupe d’études sur le Congo (Gec) et l’ONG de défense des droits de l’homme Human right watch (HRW), 254 civils auraient été tués dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
C’est le lieu de poser la troisième et dernière question qui tenaille les esprits: l’état de siège pourrait-il réussir à « imposer la paix » dans cette partie du pays déstructurée par des forces étranges et où l’armée paraît « infiltrée » par des anciens combattants « brassés » et « mixés » du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda et du M23 – dirigé au départ par le duo Sultani Makenga et Jean-Marie Runiga – dont l’inféodation au régime de Kigali n’est pas à démontrer?
Une chose paraît sûre: l’insécurité qui règne dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri constitue le prolongement de certains faits troublants survenus dans la région de Grands lacs. Au commencement était bien-entendu la naissance de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo). On le sait, il s’agissait d’une trouvaille du président ougandais Yoweri Kaguta Museveni et du général Paul Kagame alors vice-Président et ministre de la Défense du Rwanda. C’était en octobre 1996. L’AFDL va engendrer trois « avatars ». On pourrait citer essentiellement le RCD (Rassemblement des Congolais pour la démocratie) en 1998, dirigé par Azarias Ruberwa, le CNDP (2007) et le M23 (2012).
« KABILA » PARCOURT LA ROUTE BENI-GOMA SANS ESSUYER UN COUP DE FEU
L’opinion congolaise sera stupéfaite de voir John Numbi Banza, alors inspecteur général de la police nationale et bras droit de « Kabila », escorter, le 13 décembre 2010, une délégation de la nouvelle direction du CNDP au cabinet du ministre de l’Intérieur. Le sang des Congolais ayant coulé à Mushake (Nord-Kivu) fut passé par pertes et profits. Ce mouvement rebelle pro-rwandais fut agréé en tant que parti politique, membre de la « majorité présidentielle » (AMP). Rarement, on a vu un dirigeant narguer « son peuple » à ce point.
Après l’intégration des ex-combattants du CNDP dans l’armée congolaise, on assiste en avril 2012 à une nouvelle crise. Une nouvelle « rébellion » pro-rwandaise voit le jour. Il s’agit du M23. Celle-ci est rejointe par le CNDP. Par voie de « brassage » et « mixage », les ex- combattants de ces deux mouvements se sont érigés en une sorte de « cinquième colonne » au grand jour. Ils rechignent à toute affectation en dehors des province de deux Kivu et de l’Ituri.
En novembre 2013, les « mutins » du M13 sont mis hors combat par plusieurs bataillons internationaux dont le 42ème bataillon de l’Unité de réaction rapide de l’armée congolaise commandée par le colonel Mamadou Moustapha Ndala. Un chef militaire est né. Furieux, « Kabila » tente faire muter celui-ci à Kinshasa. Sans succès.
Au volant d’un 4×4, « Kabila » rejoint Goma. Il venait de Beni. Le « raïs » n’a essuyé aucun de feu tout au long des 500 kilomètres séparant ces deux villes situées une région qualifiée de « point chaud ». Etonnant!
Dans une interview accordée au « Soir » de Bruxelles, l’ex-patron des « services » rwandais, le colonel Patrick Karegeya déclare que le CNDP et le M23 étaient l’œuvre du maître de Kigali. « Kagame était à la manette ». Propos d’un aigri? Pas sûr! Dans la nuit du 1er janvier 2014, le corps sans vie de l’ex-chef espion rwandais est retrouvé dans une chambre de l’hôtel Michelangelo à Johannesburg. Il avait rendez-vous avec un homme d’affaires rwandais prénommé « Apollo ».
Coïncidence ou pas, le 2 janvier 2014, les Congolais apprennent avec stupeur l’assassinat du colonel Mamadou Moustapha Ndala. Ministre de la Communication et des médias à l’époque, Lambert Mende Omalanga s’est empressé d’imputer la responsabilité aux « rebelles ougandais » dits « ADF ». Et pourtant, Aucun enquêteur n’était descendu sur le « théâtre du crime ». Des doigts accusateurs sont pointés en direction du général Muhindo Akili, alias « Mundos ». La société civile du Nord-Kivu exigea une « enquête crédible ». En vain. Les premières investigations seront menées par un fidèle parmi les fidèles du « raïs ». Il s’agit de l’auditeur général des Fardc Timothée Mukuntu Kiyana. Celui-ci est décédé en janvier dernier en Afrique du Sud.
SHEIKH JAMIL MUKULU, LEADER DES ADF, UN « VIEL AMI » A « JOSEPH KABILA »?
Le 15 mai 2015, l’Ougandais Sheikh Jamil Mukulu, leader présumé des « ADF », est arrêté dans un village tanzanien. Il était en possession de six passeports étrangers dont celui de la République démocratique du Congo. Qui est l’autorité congolaise qui avait émis ce titre de voyage? Pourquoi les responsables diplomatiques congolais n’ont pris, à ce jour, aucun contact avec leurs homologues ougandais afin de s’enquérir de l’authenticité de ce document qui est du reste, propriété de l’Etat congolais? Enfin, pourquoi la RDC ne s’est pas constitué partie civile dans le procès ouvert à Kampala, en Ouganda, contre sieur Mukulu dont les partisans présumés ont commis tant d’atrocités?
Dans une interview accordée à « Congo Indépendant » le 13 décembre 2017, l’ancien ministre congolais des Affaires étrangères, Antipas Mbuta Nyamwisi, d’enfoncer le clou. Selon lui, « Kabila » « était au service des ennemis » durant les années à la tête de l’Etat. Selon lui, les ADF et tous les autres groupes armés « sont organisés par le pouvoir en place ». Il poursuit: « J’ai été le premier à annoncer, dès le mois d’octobre 2014, que c’est le pouvoir de Kinshasa qui était à la base des tueries à Beni ». Lui aussi, il pointe du doigt le général Muhindo Akili. Pour la petite histoire ce dernier, imputait le « désordre sécurité » à Mbusa qui estime que « les fameux ‘ADF’ constituent l’arme qui cache la forêt ».
Au cours de l’interview précitée, « Antipas » va créer un petit « événement » en affirmant sans ciller que le Sheilkh Jamil Mukulu « est une vieille connaissance » au général-major « Joseph Kabila ». « Je confirme que Jamil Mukulu a bel et bien résidé dans une maison située sur la rue Bocage n°55, à ma Ma Campagne ». Il semble que ladite habitation était occupée par le général-major « Joseph Kabila ». Les deux compères ont vécu un moment vécu sous le même toit. Cette information n’a jamais été démentie.
Le sang de deux mille soldats congolais morts aux combats dans le Territoire de Beni crie justice au ciel. La justice congolaise doit demander des comptes notamment à l’ex-président « Joseph Kabila ». Les Citoyens ont le droit de savoir la cause pour laquelle deux milles pères et mères de famille ayant choisi de servi sous le drapeau sont morts.
Baudouin Amba Wetshi