Soixante-douze heures après l’attaque de la Base opérationnelle des casques bleus à Semuliki (territoire de Beni) dans la province du Nord Kivu, des observateurs commencent à soulever des zones d’ombres dont la facilité avec laquelle les agresseurs ont pu opérer. Des doigts accusateurs sont pointés en direction des « sécurocrates » civils et militaires qui entourent le président hors mandat « Joseph Kabila ». L’objectif serait de convaincre la « communauté internationale » que le Congo-Kinshasa fait face au terrorisme. Un phénomène qui pourrait impacter sur les élections. En clair, « Kabila » serait « l’homme de la situation » pour éradiquer les « terroristes ». D’autres observateurs voient dans cette attaque une « guerre de basse intensité » entre le Rwanda et la Tanzanie. Il cite à l’appui le fait que c’est la troisième fois que des casques bleus tanzaniens sont la cible des « tueurs » non identifiés dans le Territoire de Beni. Qui dit vrai?
Chef de la Mission onusienne au Congo, le Nigérien Maman Sidikou Sambo était attendu samedi 9 décembre à Beni. Il en est de même de l’ambassadeur de Tanzanie à Kinshasa. Les deux diplomates ont pu constater le champ de ruines qui a remplacé la Base opérationnelle de la Monusco située à Simuliki. Comme à l’accoutumée, les « assaillants » sont présentés comme étant des rebelles ougandais, les très insaisissables « ADF » (Forces démocratiques alliées). Bilan provisoire: 15 casques bleus tanzaniens tués, trois disparus et 50 blessés.
A Beni, le porte-parole de l’armée, le capitaine Mak Hazukay, paradait samedi en annonçant à la presse la mise au point d’une hypothétique « opération de riposte » de concert avec des forces de la Monusco. Selon lui, les prétendus ADF auraient leur « quartier général » à une vingtaine de kilomètres vers le lieu-dit « Medina ». On peut gager que la confiance entre les troupes onusiennes et les FARDC serait désormais au point zéro.
Et pour cause? Selon des sources locales, les agresseurs de cette Base portaient des tenues de l’armée congolaise. Ce qui expliquerait, dit-on, la facilité avec laquelle ils ont pu faire exploser la base de communication et l’antenne de connexion Internet. Les faits se seraient passés vendredi vers 17h30.
Il semble bien que les soldats congolais appartenant notamment à l' »Opération Sukola » ont l’habitude d’aller s’approvisionner en vivres dans cette Base, Les assaillants ont donc été accueillis en « frères d’armes ».
REACTIONS
Soixante-douze heures après cette attaque sanglante, les réactions fusent. Le secrétaire général des Nations Unies, le Portugais Antonio Guterres, a qualifié cet acte de « crime de guerre ». A Kinshasa, Maman Sidikou a déclaré que « la Monusco fera tout ce qui est en son pouvoir pour que les auteurs de l’attaque soient traduits en justice et répondent de leurs actes ignobles ». Le chef de la Monusco ne disait pas autre chose au lendemain de la découverte, en mars 2016, des cadavres des enquêteurs du Conseil de sécurité Zaida Catalan et Michaël Sharp.
Dans une interview accordée à Radio France Internationale, le Français Jean-Pierre La Croix, tout nouveau secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des Opérations de maintien de la paix, a été le premier à se montrer réservé sur l’identité des présumés assassins: « On présume que ce sont des ADF mais on n’en a pas encore de confirmation ».
Dans un communiqué daté de samedi 9 décembre, le secrétaire général du RCD-KML, Grégoire Kiro Tsongo, commence par « condamner » l’attaque avant de rappeler que depuis le mois d’octobre 2014, 1.600 habitants du Territoire de Beni ont connu une mort épouvantable. Les présumés assassins, eux, courent toujours.
Le RCD-KML dont le président n’est autre l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamwisi – natif de Beni – « demande » aux autorités congolaises de diligenter « une enquête sérieuse afin d’identifier et de neutraliser tous les hors la loi qui écument cette contrée ». « Cette enquête devra permettre de lever le voile notamment sur leurs circuits d’approvisionnements en tenues des FARDC ainsi qu’en matériel militaire, étant donné l’importance de la puissance de feu constatée », souligne le texte.
AU COMMENCEMENT ETAIT L’INELIGIBILITE…
Depuis 2013, « Joseph Kabila », le président « mal élu » en 2006 et « mal réélu » en 2011, multiplie des subterfuges pour retarder l’avènement de l’alternance à la fin de son dernier mandat prévu le 19 décembre 2016. A l’image d’Iznogoud, ce personnage de BD qui multiplie sans succès des conspirations pour ravir le trône du calife Haroun El Poussah, « Kabila » a tout essayé. Il a échafaudé des actions aux allures de pièce de théâtre à plusieurs actes.
Premier acte: la création de toutes pièces de la prétendue rébellion du M23 en avril 2012. L’homme attendra près de trois mois avant de réunir quelques journalistes kinois pour émettre une réaction face à « la reprise de la guerre » au Nord Kivu.
Deuxième acte: la publication en juin 2013 d’un ouvrage pseudo-scientifique intitulé « Entre la révision de la Constitution et l’inanition de l’Etat ». L’auteur n’est autre que Evariste Boshab, alors secrétaire général du parti présidentiel PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), « Aucune Constitution n’est immuable », soutient ce professeur de droit constitutionnel. Une allusion insidieuse à l’article 220 de la Charte fondamentale en vigueur qui interdit toute révision constitutionnelle touchant notamment « le nombre et la durée des mandats du Président de la République ».
Troisième et dernier acte: l’organisation des « concertations nationales » et autres « dialogues » afin de « consolider la cohésion nationale » par le « partage du pouvoir » avec des représentants de l’opposition au niveau du gouvernement. Les dialogues successifs ont été motivés par le but non-avoué de retarder les consultations politiques.
La dernière trouvaille du « clan kabiliste » tient en deux mots: le terrorisme. Douze mois après l’expiration de son dernier mandat, « Kabila », frappé d’inéligibilité, tente de convaincre la « communauté internationale » qu’après lui, ce sera le chaos.
Dans son discours prononcé le 24 septembre dernier lors de la 72ème Assemblée générale des Nations Unies à New York, le successeur de Mzee qui est perçu par ses concitoyens comme un « pompier-pyromane », s’est présenté en « garant de la stabilité et de la sécurité » pour empêcher les « Djiadistes » de s’implanter dans l’ex-Zaïre. « Depuis une année, mon pays est victime d’attaques terroristes menées par certains groupes armés, notamment dans les Provinces du Kasaï, voire dans la capitale, et dont l’objectif est d’anéantir la paix si chèrement acquise, de contrarier la dynamique des solutions consensuelles obtenues au niveau national et de miner nos efforts de développement », déclarait-il.
Et de poursuivre: « au Kasaï, une milice mystico-tribale se servant de la population civile, dont des enfants, comme bouclier humain et s’attaquant aux personnes et aux édifices publics qui symbolisent l’autorité de l’Etat, a ainsi semé la terreur, procédant notamment à la décapitation d’agents de l’ordre, d’agents de la Commission Electorale Nationale Indépendante ainsi que des autorités administratives et coutumières ».
MAINTENIR « KABILA » AU POUVOIR
En fait, le Président hors mandat congolais tente de diluer les reproches formulés à son égard par la « communauté internationale » suite à l’usage excessif de la force à l’encontre des populations non-armées au Kasaï Central dont des femmes et des enfants.
Dans sa quête de la consolidation de la thèse du terrorisme, « Kabila » a échafaudé un prétendu assassinat de 40 policiers « par décapitation ». L’opinion congolaise attend toujours de connaitre l’identité des victimes et le numéro matricule.
En fait, cette annonce spectaculaire devait « conditionner » l’opinion tant nationale qu’internationale avant la « découverte », le 23 mars, des corps sans vie des enquêteurs du Conseil de sécurité Zaida Catalan et Michaël Sharp. Un double crime imputé aux « miliciens Kamuina Nsapu ». Et pourtant, les deux experts se trouvaient au Kasaï pour enquêter sur les allégations faisant état de graves violations des droits de l’Homme dans le chef de la force publique.
Durant le séjour de l’Ambassadeur américain Nikki Haley, les Kinois ont vécu une scène digne d’un film policier de série B. En plein boulevard du 30 juin – les Champs Elysées du Congo-Kinshasa -, un véhicule poursuit un autre. Des tirs sont échangés. Qui tirait sur qui? Mystère. C’était le 26 octobre. Selon des sources sécuritaires, il s’agissait d’une « mise en scène » orchestrée par la « direction action » de l’Agence nationale de renseignements (ANR). But: convaincre la diplomate américaine que le terrorisme existe bel et bien dans l’ex-Zaïre.
Revenons à Semuliki. Des analystes notent que c’est la troisième fois que les casques bleus de nationalité tanzanienne sont visés dans le Territoire de Beni. Ils n’excluent pas que ces agressions répétées aient un lien avec les « relations exécrables » existant entre le Tanzanien John Magufuli et le Rwandais Paul Kagame. Les deux chefs d’Etat se détestent « chaleureusement ».
Un politologue joint dimanche soir à Kin avance une thèse qui est loin d’être risible: « Le maintien de Joseph Kabila à la tête de notre pays est une question existentielle pour l’actuel maître de Kigali. Tous les moyens sont bons. L’attaque de la Base opérationnelle de la Monusco apparait clairement comme l’œuvre des ‘super faucons’ du premier cercle du pouvoir kabiliste. L’ombre du ‘général’ Muhindo Akili, alias Mundos, apparait en filigrane »…
Baudouin Amba Wetshi
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