Avoir beaucoup étudié entraine-t-il le respect des textes ?

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Martin Ziguélé, un homme politique centrafricain qu’on ne présente plus, fut l’invité du JT de TV5MONDE/Afrique dans la matinée du 23 avril 2025. Interrogé sur la quête d’un 3ème mandat, ce nouveau fléau de la gouvernance africaine, par le président Faustin Archange Touadera, un professeur d’université de mathématiques, Ziguélé a expliqué avec raison que tout ce qui a conduit au référendum sur la nouvelle Constitution et à son adoption était marqué du sceau de l’illégalité. Car, le décret présidentiel convoquant une commission constituante avait été jugé illégal par la Cour constitutionnelle en juin 2020. Il en était de même du limogeage par le chef de l’Etat de la professeure et juriste Danièle Darlan, la courageuse présidente de la Cour constitutionnelle. Et Ziguélé de constater que son pays avait trop souffert de la mauvaise gouvernance depuis son indépendance et qu’il attendait autre chose d’un Président de la république qui avait beaucoup étudié, sous-entendu de loin plus que tous ses prédécesseurs.

Avoir fait de grandes études pour un Président de la république constitue-t-il un gage de bonne gouvernance ? Quand on dit que le pouvoir corrompt, cela concernerait-il uniquement les dirigeants, anciens adeptes de l’école buissonnière ? Lors des dictatures à la Eyadema ou Mobutu, pour ne citer que ces deux oiseaux de malheur, l’Afrique ne comptait-elle pas des présidents qui avaient fait des études universitaires ? Sir Dawda Kairaba Jawara, le premier Premier ministre de Gambie (1962-1970) puis le premier Président de la République (1970-1994) n’avait-il pas fait des études de médecine vétérinaire à Glasgow en Grande-Bretagne ? Le premier Président de la République du Malawi (1966-1994), le Dr Hastings Kamuzu Banda, n’avait-il pas entrepris des études de médecine aux Etats-Unis et exercé sa profession en Ecosse avant de prendre les rênes de son pays ? Que dire de Robert Gabriel Mugabe, le premier Premier ministre (1980-1987) puis le premier Président du Zimbabwe (1987-2017) ? N’était-il pas doublement licencié en enseignement de l’Université d’Afrique du Sud et en économie de l’Université de Londres ? Tous ces présidents bardés de diplômes universitaires, la liste n’est pas exhaustive, n’ont-ils pas été de vilains dictateurs comme les autres voire pire que les autres ?

Les Africains doivent se réveiller. Quand à l’échelle continentale les Constitutions sont violées délibérément de manière récurrente et en toute impunité, cela signifie qu’elles ont été mal rédigées et n’offrent pas, par voie de conséquence, des contre-pouvoirs réels. Déjà le 30 juin 1960, le Roi Baudouin dans son discours avait conseillé aux dirigeants congolais d’adapter leurs institutions à leurs conceptions et besoins afin de les rendre « stables et équilibrées« . Marchant sur ses pas trois décennies plus tard dans son discours de La Baule en1990, le président François Mitterrand avait expliqué à ses pairs africains, comme on le ferait à des collégiens, la différence entre la démocratie, qui est un idéal universel, et la démocratie occidentale, une voie, parmi tant d’autres possibles et imaginables, tracée par le génie occidental pour aller vers cet idéal. Mitterrand est allé plus loin. Il a prévenu que la France ne pouvait imposer sa Constitution sur quelque Etat que ce soit.

Mais c’était, hélas, oublier que la colonisation des cerveaux a la peau dure. En effet, depuis le milieux des années 1960, toutes les commissions constituantes africaines bénéficient de l’expertise des professeurs d’université de droit constitutionnel. Puisant leur orgueil dans la servile imitation des Constitutions occidentales, ces derniers font du copier-coller au lieu d’observer attentivement les dysfonctionnements des pouvoirs africains et d’en tirer une lumière qui rendrait enfin la dignité et la prospérité aux peuples africains, à travers la conception des contre-pouvoirs tangibles, surtout en face des immenses pouvoirs constitutionnellement attribués aux détenteurs de l’imperium et qui font d’eux des électrons libres, des intouchables ou des demi-dieux.

Que retenir de ce qui est développé ci-haut ? Quel que soit son niveau d’études, l’homme a toujours tendance à abuser du pouvoir. A cet égard, pour qu’un peuple jouisse des charmes de la démocratie, il ne faut pas structurer son vivre ensemble ou rédiger sa Constitution en espérant que ses dirigeants, surtout les premiers d’entre eux, seront de bonne foi pour respecter les textes des lois. Il faut élaborer la loi fondamentale en s’attendant à ce que les gouvernants la viole et que ce faisant, les gardes-fous les empêchent de nuire à la société, en les sanctionnant conformément aux lois en vigueur, les sanctions pouvant aller jusqu’à leur mise à l’écart.

Certes, les motivations positives et les valeurs intrinsèques guident souvent les comportements. Mais en politique, cette approche démontre ses limites. Elle doit être renforcée par la crainte de la sanction, facteur majeur, pour le commun des mortels, de conformité et de respect des règles. Lorsque les gens ont peur des conséquences de leurs actes, ils sont plus susceptibles de se comporter de manière responsable et de respecter les lois et les normes sociales. Aux Africains d’inventer des ordres politiques qui installent la peur du Gendarme dans les cœurs de leurs dirigeants, en commençant par les premiers d’entre eux.

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
Ecrivain & ancien Fonctionnaire International des Nations Unies
Bangui, le 24 avril 2025

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