Dans une dépêche datée du 2 octobre, l’Agence congolaise de presse annonce la suspension des « plénières » des Assemblées des provinces du Tanganyika (Kalemie) et du Kasaï (Luebo). Cet oukase porte la signature du ministre de l’Intérieur et sécurité, le PPRD Emmanuel Ramazani Shadary. La mesure est parfaitement illégale. Le mutisme du Parlement en général et du Sénat en particulier surprend. Il y a un précédent: l’Assemblée provinciale de l’Equateur.
« Les provinces et les entités territoriales décentralisées de la République démocratique du Congo sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux. (…). Elles jouissent de la libre administration, de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques. (…) », énonce l’article 3 de la Constitution promulguée le 18 février 2006.
Ministre de l’Intérieur et sécurité, Emmanuel Ramazani Shadary n’invoque aucun texte légal à l’appui duquel il s’est autorisé à suspendre « jusqu’à nouvel ordre » tout débat contradictoire au sein de ces organes délibérants. Notons que les provinces sont composées de deux institutions: l’Assemblée provinciale et le gouvernement?
Ramazani Shadary justifie cet acte pour le moins arbitraire en brandissant les « incidents graves survenus lors de l’ouverture de la session ordinaire de septembre ». Il a instruit les responsables de la police dans ces deux régions « de veiller à l’application stricte de cette mesure ». Quid de l’Etat de droit?
Onze années après la promulgation de la Constitution en vigueur au Congo-Kinshasa, les provinces, les villes, les communes, les secteurs et les chefferies sont traités comme des « incapables » que l’on doit assister. Le drame sanglant qui vient de se produire dans le « Grand Kasaï » en témoigne.
Cette « tutelle » étouffante de la « République de la Gombe » ne serait-elle pas à la base des difficultés qu’affichent les élus locaux à intérioriser certaines valeurs propres à la démocratie? La tolérance, le débat contradictoire, le respect mutuel et de la légalité peuvent-ils éclore par génération spontanée?
LE PRECEDENT « EQUATORIEN »
Depuis onze ans, les chefs successifs du département de l’Intérieur et autres caciques du parti dominant brillent par un interventionnisme frisant l’anarchie. Au cours de la dernière décennie, Richard Muyej Mangez et Evariste Boshab ont fait plus la pluie que le beau temps. Des démarches motivées très souvent par le souci de mettre tel ou tel autre responsable provincial à l’abri d’une « motion fatale ».
En avril 2014, le conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat – dont le rôle consiste notamment à assurer le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions » – décidait la suspension de l’Assemblée provinciale de l’Equateur. Motif invoqué: « maintien de l’ordre public et de la sécurité ». Sans d’autres précisions. Sans la moindre concertation avec les deux branches du pouvoir législatif.
A l’époque, Muyej était à la tête du ministère de l’Intérieur. Boshab, lui, trônait au secrétariat général du parti présidentiel. A tort ou à raison, les deux responsables politiques seront accusés d’être les « parrains », au sens mafieux du terme, du vice-gouverneur Impeto qui assurait l’intérim. Des députés nationaux avaient donné de la voix en dénonçant l’érection de l’Equateur en une sorte de « vache à lait ».
En clair, l’exécutif national avait foulé aux pieds ses propres lois relatives à la décentralisation. Le sixième alinéa de l’article 197 de la Constitution stipule notamment: « Lorsqu’une crise politique grave et persistante menace d’interrompre le fonctionnement régulier des institutions provinciales, le président de la République peut, par une ordonnance délibérée en Conseil des ministres et après concertation avec les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, dissoudre l’Assemblée provinciale. (…) »
Ce qui surprend dans cette histoire, c’est bien le silence assourdissant qu’observent les Sénateurs face à ces méthodes brutales du pouvoir exécutif. Faut-il relever que dans tous les régimes bicaméraux, le Sénat – dont les membres sont élus par des députés provinciaux – constitue le porte-voix des pouvoirs locaux?
Il incombe à la Chambre haute de défendre la décentralisation en interpellant l’actuel ministre de l’Intérieur. Question: l’interventionnisme brutal des autorités de Kinshasa ne serait-il pas à la base des difficultés des élus locaux à se familiariser au jeu démocratique?
B.A.W.
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