Trois années après l’ouverture du procès sur le double meurtre prémédité des experts des Nations Unies Zaida Catalan (Suédoise) et Michaël Sharp (Américain) à la Haute militaire à Kananga, les Etats-Unis et l’Union européenne se félicitent de l’arrestation d’un des « puissants chefs » de la très nébuleuse milice Kamuina Nsapu. Les Occidentaux semblent refuser de regarder pour voir que les prétendus miliciens accusés d’homicides n’avaient aucune motivation pour ôter la vie aux deux enquêteurs du Conseil de sécurité. Les véritables assassins sont à rechercher dans les rangs de ceux qui risquaient d’être embarrassés par les conclusions des investigations onusiennes. Depuis trois ans, les juges et les officiers du ministère public présents à Kananga ne font guère mystère de leur volonté de disculper a priori l’ancien pouvoir.
C’est un procès interminable qui se déroule depuis le mois de juin 2017 devant la Haute militaire à Kananga, au Kasaï Central. Depuis 36 mois, les magistrats assis et leurs collègues du parquet peinent – refusent? – à identifier l’auteur, le commanditaire ainsi que le mobile de l’assassinat des deux experts du Conseil de sécurité dépêchés au Kasaï Central afin d’enquêter sur des allégations faisant état de « graves violations des droits humains » ainsi que l’existence des fosses communes.
L’arrestation, le 29 mai 2020, du nommé Trésor Mputu Kankonde est accueillie dans une sorte de « béatitude ». L’homme serait, semble-t-il, un des « puissants chefs » de la milice précitée. On le suspecte d’avoir pris part, en mars 2017, près de la localité de Bunkonde, à la mise à mort des deux Occidentaux.
L’ambassadeur américain à Kinshasa, le très actif Mike Hammer, a été le premier a exprimé sa satisfaction. Il a salué l’arrestation de cet ex-chef milicien « pour son implication » dans ce double meurtre. Le diplomate américain estime, plus à tort qu’à raison, que « c’est un pas en avant dans la poursuite de la justice ». Il a promis que son pays continuera à « soutenir les efforts » des autorités congolaises et de l’ONU en vue de la manifestation de la vérité.
Représentant de l’Union européenne au Congo-Kinshasa, l’ambassadeur Jean-Marc Châtaigner s’est réjoui de l’arrestation de ce chef milicien et forme le vœu que cette prise permettra la « relance effective » de la procédure judiciaire en cours.
Perspicace autant que réaliste, le chercheur Christophe Vogel met un petit bémol à cette apparente « euphorie » pour le moins injustifiée. Il fait remarquer, non sans raison, que « de nombreux acteurs impliqués [dans cette affaire criminelle] continuent à humer l’air frais. Ils sont loin d’être inquiétés ». Pour lui, Trésor Mputu Kankonde « n’en est qu’un ».
A en croire le prévenu Jean Bosco Mukanda, « Trésor » détiendrait les cheveux de Zaida Catalan.
UN IMMENSE « CIRQUE JUDICIAIRE »
On ne le dira jamais assez que depuis le mois de juin 2017, la Cour militaire à Kananga présente tous les reliefs d’un « cirque ». Cette juridiction parait délibérément incapable de déterminer les responsabilités sur la mort des deux experts onusiens chargés d’enquêter sur de violations des droits de l’homme. Ils devaient investiguer aussi sur des rumeurs sur des « fosses communes ».
Que peut-on attendre de la Haute cour de Kananga alors que l’auditeur général l’armée congolaise, autrement dit le « patron » du ministère public pour la justice militaire, est un « kabiliste pur sucre »? Nom: Timothée Mukuntu Kiyana. Celui-ci a fait toute sa carrière dans le sillage du président Laurent-Désiré Kabila et de son successeur « Joseph ». Les observateurs ont été abasourdis d’apprendre sa confirmation à ce poste par le président Felix Tshisekedi Tshilombo.
Dans ce procès, l’auditeur général parait chargé d’une « mission ». Laquelle? Celle d’innocenter à priori les plus hautes autorités du pays au moment des faits. Il va sans dire que tous les soupçons convergent vers l’ex-président « Joseph Kabila » et son « securocrate » Kalev Mutond. Une certitude: les miliciens Kamuina Nsapu n’avaient aucune motivation, alors aucune, pour exécuter des experts qui étaient loin de représenter un danger pour eux. Ni haine, ni vol.
Lors de l’audience publique du 30 octobre 2019, l’assistance, dont les avocats de la défense, ont été stupéfaits d’entendre le président de cette juridiction, le colonel Jean-Paulin Ntshayikolo, s’égosiller « qu’aucune autorité politico-administrative ni un membre quelconque du gouvernement congolais n’a utilisé les miliciens Kamuina Nsapu pour exécuter les deux experts onusiens et leurs accompagnateurs congolais ». Depuis lors, les débats sont devenus fastidieux. Ils tournent en rond.
Peut-on franchement espérer la manifestation de la vérité dans ce procès-fleuve qui présente tous les contours d’un « cirque judiciaire »? Bruxelles et Washington ont-ils engagé le pari de passer, par pertes et profits, ce double homicide au nom de la « realpolitik »? Le risque est grand que l’Occident qui est vite content, soit vite déçu. La « farce judiciaire » continue…
B.A.W.