Dans son discours prononcé le 28 novembre dernier annonçant la convocation du « dialogue politique national inclusif », le président sortant « Joseph Kabila » a laissé entendre que ce forum devrait servir de cadre pour aplanir des « divergences profondes d’opinions » qui menaceraient, selon lui, « aussi bien l’édifice de notre jeune démocratie que l’unité et la stabilité du pays ». Des divergences qui porteraient sur quatre facteurs: le fichier électoral, le calendrier électoral, la sécurisation et le financement du processus électoral.
L’activisme que déploie « Joseph Kabila » à quelques onze mois de l’expiration de son second et dernier mandat déconcerte plus d’un observateur. On cherche en vain la motivation qui l’anime. D’aucuns avaient cru, sans doute à tort, que l’enfantement de l’alternance démocratique allait se dérouler comme l’auraient souhaité les rédacteurs de la Loi fondamentale en vigueur. C’est-à-dire sans heurts, ni manœuvres politiciennes.
A titre comparatif, au Benin, les élections générales, prévues en février prochain, sont attendues dans une certaine sérénité. Et pour cause, le chef de l’Etat sortant, Thomas Boni Yayi, s’est incliné devant l’interdit constitutionnel d’un troisième mandat. L’homme s’abstient jusqu’ici de toute attitude ambiguë.
Au Congo-Kinshasa, des représentants des forces politiques et sociales opposés au dialogue ne cessent de donner de la voix pour stigmatiser la « mauvaise foi » de l’actuel locataire du Palais de la nation. Pour eux, cette « table ronde » est sans objet. D’abord, parce que l’Etat congolais est institutionnalisé et le Parlement est le cadre privilégié pour « palabrer ». Ensuite, la tenue du fichier électoral et l’élaboration du calendrier des consultations politiques constituent des tâches techniques qui incombent à la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Enfin, la sécurisation des opérations électorales revient au gouvernement qui « dispose de l’administration publique, des forces armées, de la police nationale et des services de sécurité »(article 91-4). Il en est de même du financement du processus électoral.
COMBAT D’ARRIERE GARDE
Au lieu de laisser la CENI accomplir ses missions définies par la Charte suprême, le Président sortant s’évertue à bloquer la mécanique électorale. Et pourtant, inéligible, l’homme n’a plus de rêve à proposer aux Congolais. Il mène désormais un combat d’arrière-garde pour préserver les intérêts de sa fratrie et ceux de ses oligarques. Il est prêt à enjamber des cadavres pour garder son fauteuil.
« L’Etat, pour être respecté doit représenter l’intérêt général. En aucune façon, il ne doit être le bien personnel d’un clan, d’une coalition d’intérêts ou d’une formation politique ». Cette phrase est contenue dans un vieil ouvrage (Le pouvoir politique, Ed. Seghers) écrit à quatre mains par deux éminents juristes français, étiquetés gaullistes. Il s’agit de Michel et Jean Louis Debré.
C’est quoi donc l’intérêt général? L’intérêt général renvoie à l’idée d’impartialité qui doit caractériser l’action de l’Etat en tant que pouvoir politique. L’intérêt général renvoie également à l’idée du « bien commun » qui doit être la finalité des pouvoirs publics.
Depuis le mois de mai 2015 à ce jour, la population congolaise est matraquée par une campagne politico-médiatique sur le thème du « dialogue ». Chaque jour, des représentants des groupes sociopolitiques défilent au Palais de la Nation où se trouve le cabinet du Président sortant. A l’issue de l’audience, les intéressés se précipitent devant la presse pour ânonner, dans les quatre langues nationales, « tout le bien » qu’ils pensent de cette initiative présidentielle.
Une certaine jeunesse congolaise, dénuée de tout esprit critique, est mise à contribution via des messages de propagande diffusés sur les ondes de la télévision nationale (RTNC). Cette jeunesse vante « l’importance » de cette réunion dont le but, selon elle, est de « préserver la paix chèrement acquise ». Les habitants du Territoire de Beni apprécieront.
OPPOSANTS OU MYSTIFICATEURS?
Des anciens opposants, promus ministres, dans le cadre du gouvernement dit de « cohésion nationale » rivalisent en éloquence pour démontrer le bien-fondé du dialogue. « C’est le cadre indiqué pour améliorer notre démocratie », dixit l’ex-MLC Thomas Luhaka Losendjola, ministre des PTT. « Il y a des gens qui nous ont promis apocalypse now », ajoutait-il pour justifier les menaces relevées unanimement dans l’allocution présidentielle du 14 décembre sur l’état de la nation. L’autre ex-MLC, Germain Kambinga, ministre de l’Industrie, a lancé une structure dénommée « Forum citoyen pour le dialogue ». Les opposants congolais ne seraient-ils que des mystificateurs, des hommes sans convictions?
Dans l’arrière-pays, les « commissaires spéciaux » nommés, en violation de l’article 198-2 de la Constitution (« Le gouverneur et le vice-gouverneur sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois par les députés provinciaux au sein ou en dehors de l’Assemblée provinciale… »), à la tête des exécutifs provinciaux des 21 nouvelles provinces sont devenus des laudateurs du dialogue. Il faut bien qu’ils expriment la gratitude à leur bienfaiteur.
A titre d’illustration, à l’occasion de la fête de la nativité, le « commissaire spécial » du Lualaba, Richard Muyej Mangez Mans, a exhorté les participants à un repas offert par le gouvernorat « (…) à ne pas prêter oreille aux fauteurs de trouble qui boycottent l’idée du chef de l’Etat d’organiser le dialogue national ».
A l’occasion de la commémoration de la journée du 4 janvier, une course cycliste a été organisée à Lubumbashi, province du Haut Katanga. Le maire de la ville, Jean-Oscar Sanguza Mutunda, a « félicité » « Joseph Kabila »… « pour la paix retrouvée » avant d’inviter la population de sa juridiction « à soutenir le dialogue national ».
Dans l’ex-Katanga et ailleurs, tous les fonctionnaires et autres mandataires publics ont été épurés des directions provinciales des grands corps de l’Etat. Leur crime est de s’être affilié à un parti de leur choix. Il s’agit des partis regroupés dans le « G7 ».
CHANGER LA SOCIETE CONGOLAISE
Les anciens opposants Luhaka et Kambinga peuvent-ils ignorer que « Joseph Kabila » compte sur le dialogue pour « glisser » et prolonger son pouvoir tyrannique et impopulaire? Assurément pas! Leur souci est de faire durer le plaisir. Au détriment de l’intérêt général?
Vingt-cinq années après les consultations nationales et les travaux de la Conférence nationale souveraine lancés au début des années 90 au cours desquels les ex-Zaïrois ont vomi le système dictatorial incarné jadis par Mobutu Sese Seko et levé l’option pour la démocratie, force est de constater qu’ils existent encore des réactionnaires dans ce pays. Des individus qui trouvent leur compte dans « l’immortalisation » du régime totalitaire. Il est clair que ce sont les peuples qui fabriquent les tyrans.
Le rôle du journaliste ne consiste guère à moraliser. Il reste qu’on ne pourrait s’empêcher de constater que la société congolaise est malade. La société congolaise souffre du déficit d’un système de valeurs morales et politiques. Des valeurs qui ne peuvent éclore que dans une communauté des hommes et des femmes décidés à regarder résolument vers l’avenir en mettant une ligne de démarcation entre le bien et le mal; la vérité et le mensonge; le courage et la lâcheté; le juste et l’injuste; la démocratie et la dictature; la loyauté et la duplicité.
2016 sera l’année de la transformation de la société congolaise ou ne sera pas!
Baudouin Amba Wetshi