L’ancien ministre de la Santé de la RD Congo, le docteur Oly Ilunga, a été arrêté le samedi dernier par les autorités congolaises, avant d’être placé en résidence surveillée. Une nouvelle qui a surpris plus d’un Congolais. Que reproche-t-on à l’ancien ministre de la Santé? Le détournement de près de 4,3 millions de dollars destinés à la lutte contre Ebola, ont indiqué ses avocats. Certains observateurs estiment cependant que cette arrestation et cette mise en résidence relèvent davantage de l’acharnement politique qu’autre chose. Qu’en est-il dans les faits?
Ça fait des semaines que nous suivons de près ce qu’il convient désormais d’appeler la « saga Ébola » depuis la démission surprise de M. Oly Ilunga. En juillet dernier, ce dernier a en effet démissionné de son poste de ministre de la Santé pour protester entre autres contre les « ingérences étrangères » dans la lutte contre l’épidémie d’Ébola qui sévit à l’Est de la RDC. Dans sa lettre de démission, le docteur Ilunga dit s’opposer à l’introduction d’un deuxième vaccin dans la lutte contre cette épidémie « par des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste, en cachant volontairement des informations importantes aux autorités sanitaires ». Dans la même missive, l’ancien ministre évoque de « fortes pressions » exercées depuis plusieurs mois sur son ministère par un lobby « pour la mise en œuvre d’une nouvelle expérimentation en RDC ».
Quelques jours plus tard, le ministre démissionnaire revient à la charge dans les colonnes du journal Le Monde, en évoquant un « lobby malveillant » qui « a tenté par tous les moyens d’imposer, en RDC, le vaccin expérimental du fabricant pharmaceutique Johnson & Johnson ».
De quel lobby s’agit-il et qui sont les acteurs auxquels l’ancien ministre fait allusion? La question reste posée.
Une chose est cependant certaine: le seul vaccin à être utilisé depuis l’éclatement de l’épidémie d’Ébola est le vaccin rVSV-ZEBOV fabriqué par une firme canadienne et racheté par le groupe pharmaceutique Merck. Le deuxième vaccin, celui du laboratoire Johnson & Johnson, ne ferait pas l’affaire selon le docteur Ilunga. Il reproche à ce vaccin de n’être qu’en « phase 2 » et de nécessiter « deux injections administrées à 56 jours d’intervalle », ce qui n’aurait que peu d’impact pour contrôler la maladie.
Un avis que ne semble pas partager la présidence de la République, donc Félix Tshisekedi, qui a officiellement désavoué le ministre de la Santé sortant, confiant la coordination de la riposte contre Ébola au professeur Jean-Jacques Muyembe, qui, ironie de l’histoire, entretiendrait non seulement des rapports pour les moins étroits avec la firme Johnson & Johnson, mais est aussi rémunéré par la firme pour réaliser l’essai clinique du second vaccin en RDC. Désapprouvé, le docteur Oly Ilunga décide de claquer la porte avec fracas, en publiant la missive susmentionnée. Ce que n’aurait pas apprécié la présidence de la République, plus particulièrement Félix Tshisekedi.
Selon une source digne de foi, la présidence congolaise a organisé une réunion au cours de laquelle il aurait été décidé de trouver un moyen pour « coincer » le docteur Ilunga. Ses proches collaborateurs ont été visités par les services de sécurité et la police à plusieurs reprises. Au menu de ces visites: la gestion des fonds destinés à la lutte contre Ébola. C’est en tout cas ce que prétextent les autorités. Mais en réalité, il y a des gens à la présidence qui souhaiteraient faire taire le docteur Ilunga.
Dès que nous avons commencé à suivre cette affaire de très près, on nous a fait comprendre qu’il s’agissait d’ « une affaire de gros sous ».
En effet, depuis que la Banque mondiale a annoncé, en juillet dernier, l’octroi d’une aide pouvant atteindre 300 millions de dollars dans le cadre de la lutte mondiale contre l’épidémie d’Ébola qui sévit au Congo, l’exécutif congolais est entré en transe. Tout le monde est agité. « Beaucoup des gens pensaient que cet argent allait être géré par le docteur Ilunga, confie une source. Il était devenu l’objet d’attention et d’envie, et il n’était pas rare d’entendre des gens lui dire qu’il est chanceux de gérer un tel montant… » La présidence de la République n’était pas en reste. « 300 millions dollars, c’est beaucoup. Tout le monde voulait voir clair dans cette affaire et ce n’est pas les nouveaux locataires du Palais de la Nation qui allaient rester en stand-by », s’est amusé une source.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le docteur Oly Ilunga était devenu l’objet de toutes les attentions, de toutes les convoitises, mais aussi et surtout de rancœur aussi bien de certains politiciens que des gens au plus haut sommet de l’État. Soupçonné, à tort ou à raison, d’avoir détourné des millions de dollars destinés à la lutte contre Ébola, son refus de cautionner le deuxième vaccin et sa démission avec fracas, qui a révélé au grand jour les dissensions profondes entre la présidence et le ministère de la Santé qu’il dirigeait, sont autant d’éléments qui ont poussé la présidence à lui mener la vie dure. Tous ses anciens collaborateurs, on l’a dit, ont été entendus par les agents de la police judiciaire. Voici ce que nous a confié une source proche de l’ancien ministre: « Ils (les agents de l’État) ont passé leur temps à fouiller les dossiers du ministère de la Santé et ils n’ont rien trouvé d’accablant contre Oly Ilunga. Ils ont toutes les pièces comptables entre les mains depuis le mois d’août et ils savent qu’ils n’ont aucune preuve concrète contre lui ».
Pourtant, Oly Ilunga a quand même été arrêté le 14 septembre dernier par la police nationale congolaise, qui a affirmé que l’ancien ministre aurait tenté de quitter le territoire national pour Brazzaville via le Kongo Central. Des allégations aussitôt rejetées par son avocat, Me Guy Kabeya. Contactée par nos soins, une source policière nous a confié que « le dossier est vide », qu’il s’agit d’une décision motivée par des considérations politiques. Lesquelles? « Je ne saurais vous le dire », nous a-t-elle dit. L’argument même selon lequel il aurait détourné près de 4,3 millions de dollars destinés à la lutte contre Ebola ne semble pas non plus tenir la route.
Par ailleurs, nous avons appris que le Trésor public congolais, dans le cadre de la lutte contre Ébola, a versé au total près de 2,4 millions de dollars, sur une période de 11 mois, au ministère de la Santé dirigé par le Oly Ilunga, contre 1,9 million de dollars versé à la riposte dirigée par le professeur Jean-Jacques Muyembe sur une période d’un mois. Aux lecteurs de se faire leur propre opinion…
S’agissant des raisons qui sous-tendent l’acharnement contre Oly Ilunga, une source très proche de l’ancien ministre nous a expliqué que Félix Tshisekedi n’a jamais apprécié celui qui a été pendant longtemps considéré comme le médecin personnel de son défunt père, Étienne Tshisekedi. « Félix n’appréciait pas la proximité entre son père et Oly Ilunga. D’autant moins que ce dernier, contrairement à la croyance répandue, n’était pas membre de l’UDPS, mais était l’assistant personnel d’Étienne. Ce dernier avait fait comprendre à M. Ilunga que Félix ne pouvait pas être son successeur. Cela était connu de Félix et de Maman Marthe qui ne portaient pas du tout Oly Ilunga dans leur cœur… »
La même source de nous expliquer que depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, les deux hommes ne se sont pratiquement jamais parlé. Sauf lorsque Oly Ilunga a été entendu par la présidence à la suite d’une accusation émanant du docteur Muyembe. « Malgré les nombreuses demandes d’audience par Oly Ilunga, il n’y a jamais eu de réunion de travail entre la présidence et le docteur Ilunga sur Ébola ou sur tout autre dossier lié à la santé publique, sauf lorsque le ministre devait se justifier suite aux accusations du docteur Muyembe. C’était au mois de mai ».
Pour la petite histoire, le docteur Oly Ilunga, dans sa lettre de démission, reproche à la présidence de court-circuiter son autorité pour travailler directement avec le professeur Jean-Jacques Muyembe, qui coordonne la riposte contre Ébola. Ce dernier a annoncé tout récemment la découverte de deux molécules curatives (mAb114 et le Regeneron) contre Ebola. Ce qui a fait bondir de joie les Congolais. À en croire une source au fait de ce dossier, « la communication du professeur Muyembe est mensongère et trompeuse. Ces deux molécules sont utilisées depuis août 2018. Les résultats préliminaires de l’essai clinique révèlent que le Regeneron est la meilleure molécule disponible à ce jour, le mAb114(co-produit par le professeur Muyembe et un centre de recherche américain)arrivant en seconde position. Son médicament agit efficacement seulement dans les 48h et permet de réduire le taux de létalité des patients à 11%. Administré après 48h, le taux de létalité remonte à 66% ». Ce qui n’est pas si différent du taux de létalité des patients lors de l’épidémie de l’Afrique de l’Ouest lorsque les molécules thérapeutiques n’existaient pas encore.
En outre, contrairement à ce que laissent entendre le gouvernement congolais et le professeur Muyembe, Ébola ne reculerait pas sur le terrain. Bien au contraire. Les données du gouvernement ne refléteraient pas non plus la vérité des faits. C’est en tout cas ce que nous dit une source qui semble être dans les secrets des dieux. D’ailleurs, ses observations sont corroborées par la journaliste canadienne Helen Branswell (spécialisée dans les questions médicales) qui émet, elle aussi, des doutes sur les données concernant l’épidémie d’Ébola.
En fait, tout le monde (OMS, ONG humanitaires impliquées en RDC et certains organismes de l’ONU) sait que quelque chose ne tourne pas rond dans cette affaire, que la présidence de la RDC raconte des sornettes, mais tout le monde se tait. Pourquoi?
Parce que derrière l’épidémie d’Ébola se profilent des intérêts colossaux aux ramifications internationales, dont les Congolais n’ont aucune espèce d’idée. Nous y reviendrons.
Affaire à suivre…
Par Patrick Mbeko
Journaliste d’enquête indépendant
Montréal, Canada