Ministre démissionnaire de la Santé (20.12.2016 – 22.7.2019), Oly Ilunga Kalenga, 59 ans, est « assigné à résidence » depuis bientôt six mois. Il lui est interdit de sortir du territoire national non pas par un magistrat du parquet mais par le Directeur général de Migration (DGM). Le principal intéressé a pris connaissance de cette mesure en parcourant les réseaux sociaux. L’Etat de droit ne suppose-t-il pas la conciliation entre la protection de l’ordre social et la sauvegarde des libertés individuelles? Pourquoi cet homme attend depuis 180 jours d’être déféré devant la juridiction compétente? Devrait-on parler de « règlement de compte politique »?
Suspecté d’avoir « distrait » des fonds affectés à la lutte contre la maladie à virus Ebola, l’ancien ministre Oly Ilunga Kalenga Tshimankinda est astreint à une interminable « garde à vue ». Et ce depuis fin août 2019 à ce jour. « La garde à vue ne peut excéder 48 heures », peut-on lire dans le quatrième alinéa de l’article 18 de la Constitution congolaise. S’il est vrai que ce délai peut être renouvelé, il n’en demeure pas moins vrai que le renouvellement ne peut avoir lieu ad vitam aeternam.
Les mauvaises habitudes ayant la peau dure, la mesure d’interdiction de sortie du territoire national infligée à Ilunga n’émane pas d’un magistrat du parquet. Mais de la Direction générale de migration DGM), autrement dit de l’Office des étrangers. En Belgique et en France, ce dernier organisme constitue une des branches de la Sûreté de l’Etat. Cet ancien ministre représenterait-il une menace pour la « sécurité nationale »?
Des observateurs impartiaux ne vont par quatre chemins en qualifiant l’infortune de ce médecin bruxellois d’ « affaire politique ». Et ce au vu de la lenteur de la procédure judiciaire. « Si nous étions dans une affaire judiciaire, Oly Ilunga aurait déjà été déféré devant la juridiction compétente », confie un juriste kinois qui a requis l’anonymat.
Les faits mis à la charge de cet ancien membre du gouvernement Badibanga et Tshibala sont graves. Les avocats de la défense, eux, paraissent sereins. Pour eux, leur client « n’a rien à se reprocher ». Il revient donc aux autorités judiciaires de démontrer la matérialité des faits allégués.
Dans un communiqué daté du 31 août 2019, les deux avocats, en l’occurrence Maitres Guy Kabeya Muana Kalala et Willy Ngashi Ngashi, vont plus loin en qualifiant l’oukase de la DGM d’ « anticonstitutionnel et illégal ».
LA DÉMISSION
Tout a commencé avec la lettre de démission datée du 22 juillet 2019 que le ministre Oly Ilunga Kalenga avait adressée au président Felix Tshisekedi pour manifester son opposition au rattachement, à la présidence de la République, deux jours auparavant, du secrétariat technique du comité multisectoriel de la Riposte à l’épidémie de la maladie à virus Ebola. Une décision « antidatée au 18 mai 2019 », note-t-il, prise par le Premier ministre Bruno Tshibala et contresignée « à mon insu » par le ministre qui assurait l’intérim à la Santé.
Dans cette correspondance destinée au chef de l’Etat, Ilunga n’a pas manqué d’indiquer, par ailleurs, sa « réticence » à l’introduction d’un « nouveau vaccin » relevant, au passage, « de fortes pressions » qui étaient exercées « depuis plusieurs mois pour la mise en œuvre d’une nouvelle expérimentation en RDC. Le vaccin actuellement utilisé dans le cadre de cette épidémie est le seul qui a démontré son efficacité et qui donne une protection immunitaire en dix jours ».
Le 30 août 2019, la DGM publie son « message » querellé. « (…), d’ordre de la hiérarchie, le nommé Oly Ilunga Kalenga, ministre honoraire de la Santé en RDC, être interdit de sortie du territoire national, (…)« . L’histoire ne dit pas de quelle « hiérarchie » il est question. Le Président de la République? Le procureur général près la Cour de cassation? Le DG de la DGM? Mystère!
QUI EST OLY ILUNGA KALENGA?
Né le 24 juin 1960 à Elisabethville (Lubumbashi), « Oly » est docteur en médecine. Spécialiste des soins intensifs, il est aussi titulaire d’un MBA (Master of business administration) en « économie de la santé ». C’est en janvier 1992 qu’il est embauché aux « Cliniques de l’Europe » (Clinique St Michel et Clinique Sainte Elisabeth) à Bruxelles. En 2012, il est promu administrateur-délégué.
C’est le 30 octobre 2014 que Dr Ilunga a fait timidement ses « premiers pas » en politique. Ce jour-là, il s’est présenté à deux représentants de la presse de la diaspora congolaise. L’homme assis à sa droite n’était autre qu’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, le leader charismatique de l’UDPS. Convalescent, ce dernier n’avait fait aucune déclaration. Il avait, par contre, publié un communiqué désignant « Oly » en qualité d’ « Assistant du Président de l’UDPS ». Mission: prendre des contacts notamment avec le monde diplomatique.
A l’occasion de la commémoration du 55ème anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Congo, l’UDPS organisa une rencontre le 27 juin 2015 dans la capitale belge. A la surprise générale, « Tatu Etienne » créa l’événement en chargeant son « Assistant » Ilunga de lire le message qu’il destinait au peuple congolais. Et dire que plusieurs « caciques » de cette formation étaient présents. C’est le cas notamment de Felix Tshisekedi Tshilombo.
BARRER LA ROUTE A L’ARBITRAIRE
Réputé humble, Oly Ilunga Kalenga confiait à l’auteur de ces lignes son « étonnement » d’avoir été choisi par le président Tshisekedi pour lire son discours en ses lieu et place. « J’étais le premier surpris par cet honneur. Je crois qu’il m’a choisi peut-être parce que je me trouvais à deux pas de lui », ricanait-il.
Docteur Ilunga n’a jamais voulu alimenter la rumeur selon laquelle il était le médecin personnel du « Sphinx de Limete ». Il l’a toujours démentie.
Dans un entretien avec Congo Indépendant en octobre 2015, il déclarait ce qui suit: « Je ne suis pas le médecin d’Etienne Tshisekedi. Dans la position que j’occupe depuis plusieurs années dans le système sanitaire en Belgique, je me suis toujours efforcé de servir mes compatriotes et mes amis en leur donnant accès aux meilleurs médecins lorsqu’ils font appel à moi ou me demandent un conseil ». Et d’ajouter: « Depuis ma nomination, en 2000, en qualité de directeur médical à Saint Michel, j’avais gardé les soins intensifs comme seule activité médicale. Je ne consulte plus en privée. Je suis le médecin traitant de personne. Je vais à l’hôpital pour gérer mon service. Je me limite à mettre les gens en contact avec des meilleures compétences ».
Médecin personnel de « Tshitshi » ou pas, Oly Ilunga faisait partie de ce qu’on pourrait appeler la « garde rapprochée » du très regretté leader de l’UDPS. On peut imaginer la stupeur que sa nomination dans le gouvernement de Samy Badibanga Ntita, sous « Joseph Kabila », dû provoquer au sein de la famille tant biologique que politique de Tshisekedi. Le médecin serait assimilé à « Judas ».
Face à une procédure judiciaire qui tire en longueur, nombreux sont des observateurs qui sont prêts à parier que le dossier Ilunga n’est judiciaire qu’en apparence. Pour eux, il s’agit d’un « règlement de compte politique ». Cette thèse sera difficile à renverser. Et ce aussi longtemps que l’ancien ministre de la Santé sera « gardé à vue » indéfiniment dans l’indifférence totale des autorités judiciaires.
La bonne gouvernance ne se limite pas seulement à l’obligation de rendre compte et la transparence. Elle suppose aussi une administration de la justice impartiale, efficiente et efficace. Objectif: barrer la route à l’arbitraire…
Baudouin Amba Wetshi