Affaire Minembwe (suite): Qui dit vrai? Qui affabule?

Deux semaines après l’installation controversée de la « commune rurale » de Minembe, en Territoire de Fizi, province du Sud-Kivu, la polémique fait rage. Un conseiller à la Présidence assure que le chef de l’Etat n’aurait jamais permis une telle « forfaiture ». Dans une interview, le ministre Azarias Ruberwa prétend avoir agi avec l’accord de ce dernier. Le député national Muhindo Nzangi qualifie de « tricherie » l’élévation de cette entité en « commune rurale ». C’était lors l’émission « Bosolo na politik » du 8 octobre. Son collègue, le très fantasque Daniel Safu, abondera dans le même sens, lundi 10, dans la même émission. La surprise vient du ministre sud-kivutien de l’Intérieur, Lwabanji Lwansi Ngabo. Vous avez bien entendu. Pour lui, toutes les conditions légales étaient réunies. Une certitude: l’annonce faite par le chef de l’Etat, jeudi 8 octobre, à Goma, annulant l’ensemble du « processus d’installation » est une mesure politique. Au plan juridique, les décrets et autre arrêté interministériel créant cette agglomération chahutée n’ont pas encore été annulés.

Théo Ngwabije Kasi, gouverneur du Sud-Kivu


Le « bourgmestre » de la très litigieuse « commune rurale » de Minembwe est sorti de son silence. Dans une déclaration faite au média  en ligne kinois « 7sur7.CD » en date du 12 octobre, Gady Mukiza a rappelé que lui et ses « adjoints » ont été « installés » par le ministre provincial de l’Intérieur, Lwanbanji Lwansi Ngabo, en présence du gouverneur Théo Ngwabidje Kasi « et des autorités nationales ». Et d’ajouter, sur un ton modéré, un détail important: « Jusque-là, nous n’avons pas été notifiés de l’acte annulant le procès–verbal de notre installation ».

Il importe d’ouvrir la parenthèse ici pour parler du gouvernement provincial du Sud-Kivu. Lors de la formation de cet exécutif en mai 2019, le gouverneur Ngwabidje avait surpris l’opinion. Dans une lettre datée du 26 mai 2019, il rappelle au ministre de la Décentralisation, Azarias Ruberwa, de lui communiquer les noms des personnes devant occuper les deux postes ministériels réservés… à la communauté banyamulenge. A savoir: le ministère de la Justice et droits humains et celui du Travail, prévoyance et réconciliation et fonction publique. Preuve, s’il en était besoin, que Ruberwa n’est pas au service de la nation congolaise. Il veille aux intérêts de sa « communauté ethnique ».

LWANBANJI, LE REPENTI

Pour la petite histoire, l’actuel ministre provincial de l’Intérieur du Sud-Kivu n’est autre que le vice-gouverneur qui avait lancé un ultimatum de six jours aux fameux « Banyamulenge » de quitter le pays qui s’appelait encore le Zaïre. C’était le 7 octobre 1996. Lwabanji fut suspendu de ses fonctions sur ordre du Premier ministre d’alors, Léon Kengo wa Dondo pour « incitation à la haine raciale ». Après plusieurs années passées en exil notamment en Belgique, l’homme se présente désormais sous les traits d’un « repenti ». Fermons la parenthèse.

Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, le ministre provincial Lwabanji soutient sur un ton qui n’admet aucune réplique que c’est lui qui a procédé, le 28 septembre, à l’installation du « bourgmestre » de Minembwe et de ses « adjoints ». « C’était en présence du gouverneur et des autorités nationales », a-t-il précisé. Après avoir rappelé le décret n° 13/029 signé en juin 2013 par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, le ministre Lwabanji a reconnu que l’exécution dudit décret fut suspendu. Au motif que certaines agglomérations ne réunissaient par les conditions. Ce qui n’était pas, selon lui, le cas de Minembwe.

RUBERWA ACCUSE FATSHI DE « MANQUE DE RESPONSABILITE »

Le ministre provincial de l’Intérieur Lwabanji Lwasi Ngabo

A en croire Lwabanji, la mesure de surséance de la décision de Matata fut levée en 2015. Il cite, de manière furtive, le décret signé, le 30 mai 2018, par le Premier ministre Bruno Tshibala et l’arrêté signé le 28 novembre 2018 – moins d’un mois avant l’élection générale – par Henri Mova Sakanyi, alors ministre de l’Intérieur, désignant le bourgmestre de la « commune rurale » de Minembwe et son adjoint. Le gouverneur Ngwabidje avait notifié les « heureux promus »  par lettre datée du 20 février 2019. Selon Lwabanji, c’est de la pure affabulation de soutenir que la « commune rurale » de Minembwe aurait « grappillé » une partie des Territoires de Fizi, Uvira et Mwenga.

Au cours d’un point de presse qu’il a animé, jeudi 8 octobre, à Goma, au Nord-Kivu, le président Felix Tshisekedi a annoncé l’annulation de l’ensemble du processus d’installation de la commune rurale de Minembwe.

Le même jour, Azarias Ruberwa a réagi dans une interview accordée à « ReliefWeb », un média « humanitaire » affilié aux Nations Unies, Le ministre de la Décentralisation assure que le Président de la République lui avait donné son feu vert. « Avant son voyage pour la Belgique, le président Felix Tshisekedi m’avait personnellement demandé d’aller superviser l’installation de la commune rurale de Minembwe. (…). Je me souviens encore qu’il m’avait assuré que le dossier Minembwe était une priorité pour lui ».  Ajoutant: « Dire aujourd’hui qu’il n’était au courant de rien et que j’ai tout seul sans me référer à lui, c’est un manque de responsabilité. Je n’ai pas le pouvoir d’agir seul, le Président de la République est au courant de tout ». Ruberwa dit prendre à témoin l’ambassadeur américain Mike Hammer.

Lors de la réunion du Conseil des ministres, vendredi 9 octobre, « Fatshi » a confirmé la décision annoncée à Goma. Il a,  par ailleurs, annoncé la mise en place d’une « commission d’experts scientifiques » composée de non-originaires. Mission: clarifier la question, retracer toutes les limites des communes concernées de hauts plateaux en vue de dégager des propositions de solution.

COMMUNE RURALE DE MINEMBWE, UNE « FORFAITURE »

Pour en avoir le cœur net, l’auteur de ces lignes a tenté, sans succès, de joindre Felix Tshisekedi afin qu’il donne sa part de vérité. Un conseiller du chef de l’Etat a recontacté la rédaction de Congo Indépendant. L’homme a requis l’anonymat. Que dit-il? « Le président Felix Tshisekedi ne peut, au grand jamais, autoriser au ministre Azarias Ruberwa de se livrer à une telle forfaiture », assène-t-il d’entrée de jeu. « Le chef de l’Etat l’a d’ailleurs déclaré dans son point de presse à Goma. L’information diffusée dans le média ReliefWeb doit être l’œuvre de nos adversaires de Lamuka, Fcc ou ailleurs. Ils ont du mal à apprécier à sa juste valeur le bien-fondé de la décision présidentielle. On peut les comprendre. Ils ne s’attendaient pas à une telle réaction de la part du premier magistrat qu’ils accusent, à tort, d’être de connivence avec l’ancien président Joseph Kabila sur ce dossier. Ils sont pris dans leur propre piège après avoir diabolisé  le Président ».

Le député national Muhindo Nzangi à l’émission « Bosolo na politik » 8.10.2020

Intervenant, jeudi 8 octobre, à l’émission « Bosolo na politik », animé par Israël Mutombo, le député national Muhindo Nzangi a fait sensation. Selon celui-ci, Minembwe ne réunissait pas les conditions requises pour accéder au statut de « commune rurale ». A savoir le nombre d’habitants (plus de 20.000) et « l’avis conforme » de l’Assemblée provinciale. D’après lui, « malgré que les autorités provinciales n’avaient pas donné cet avis favorable », un groupe de gens s’est rendu à Kinshasa pour négocier la question avec le Premier ministre Augustin Matata.

LA TRICHERIE DE RUBERWA

Pour cet élu du Nord-Kivu, Ruberwa a entamé ses « manoeuvres » à partir de 1998. La localité de Minembwe était élevée au rang de Territoire. C’était à l’époque où le mouvement rebelle pro-rwandais « RCD » occupait les deux provinces du Kivu. Une nouvelle tentative eut lieu en 2008. A l’époque, le ministère de l’Intérieur était dirigé par Denis Kalume Numbi. En 2013, l’agglomération de Minembwe a été « glissée » de manière frauduleuse dans le décret instituant des villes et communes rurales dans le Territoire de Fizi. Nommé ministre de la Décentralisation et réformes institutionnelles dans le gouvernement de Samy Badibanga en décembre 2016, Ruberwa relança aussitôt cet épineux dossier. « Le 30 mai 2018, le Premier ministre Tshibala signa le décret n°18/020 portant levée de la surséance de l’installation des villes et communes rurales. Le même 30 mai 2018, les ministres Ruberwa et Mova signent un arrêté interministériel portant mise en œuvre de l’installation de la commune rurale de Minembwe », relate ce parlementaire. Documents à l’appui.

Invité, lundi 12, à la même émission « Bosolo ne politik », le député national Daniel Safu, fidèle à son style quelque peu « folklorique », ne dira pas autre chose: « Je dénonce la tricherie de Ruberwa ». Retrouvant son calme, Safu fera remarquer que l’instabilité qui prévaut à l’Est découle de l’absence de l’autorité de l’Etat.  Plus de soixante-douze heures avant lui, le député Muhindo Nzangi déclarait, la main sur le cœur, que la localité de Minembwe n’est pas sous le contrôle des Forces armées congolaises.

En attendant l’audition de Ruberwa à l’Assemblée nationale à l’initiative du député Muhindo, des voix s’élèvent pour exiger sa démission du gouvernement. Pour la petite histoire, « Azarias » fait partie de la « garde rapprochée » de l’ex-président « Joseph Kabila ». Question finale: Qui dit vrai sur le dossier Minembwe?

 

Baudouin Amba Wetshi

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