Depuis dimanche 19 mai, un sujet est au centre de toutes les conversations. Il s’agit de l’attaque de la résidence de Vital Kamerhe ainsi que du Palais de la Nation par Christian Malanga et son « commando ». Chacun y va de ses hypothèses. Les certitudes se comptent par les doigts d’une main. Une semaine après, la thèse du « coup d’Etat raté » est discutée voire discutable. Au motif que les assaillants n’ont pas pu s’emparer des attributs du pouvoir d’Etat dont la radio-télévision nationale. Aucune autorité civile ou militaire en exercice n’a été capturée. En revanche, la thèse d’un complot visant l’assassinat du président Felix Tshisekedi semble admise. Quelqu’un avait-il « tuyauté » Malanga sur la présence du chef de l’Etat au Palais de la Nation à des heures tardives? Qui? Tous les yeux sont tournés tant vers l’entourage présidentiel que des éléments de la Garde républicaine. Après la mort de « Christian », plusieurs vidéos retraçant les « hauts faits » du défunt sont diffusées sur YouTube. On y voit plusieurs « combattants » lors de la fameuse cérémonie d’adoubement de Malanga à Rome. Diplômé de l’Ecole Royale militaire (ERM) et en criminologie, Jérôme Ziambi Kengawe faisait partie des invités. C’était au mois d’avril 2017. Vingt-quatre heures après avoir réalisé l’entretien avec lui, une nouvelle tombe: Jean-Jacques Wondo, conseiller stratégique de l’administrateur général de l’ANR (Agence Nationale de renseignements), a été arrêtée. INTERVIEW.
Peut-on affirmer que le Congo-Kinshasa a échappé à une tentative de coup d’Etat?
Sûrement pas! A preuve, les endroits stratégiques n’ont pas été occupés. C’est le cas notamment de la radio-télévision nationale et de l’aéroport; aucune autorité civile ou militaire n’a été capturée. Je crois pouvoir dire qu’il y a eu un coup de force. J’imagine que « certaines personnes » avaient promis des renforts aux assaillants. Sans tenir leur parole…
Qui sont ces personnes, selon vous?
Ces personnes ne peuvent se trouver que dans les milieux sécuritaires ou de l’armée. A mon avis, c’est l’hypothèse la plus probable. A moins d’être suicidaire, on ne peut mener l’action à laquelle nous avons assisté sans avoir reçu des garanties.
Que répondez-vous à ceux qui allèguent que Christian Malanga a été « instrumentalisé »?< C’est une hypothèse probable! Malanga a été victime d’une promesse non-tenue ou d’une trahison. L’occupation du Palais de la Nation par des quidams qui n’ont tiré aucun coup de feu est un fait extrêmement grave. Et ce dans la mesure où c’est l’endroit à partir duquel le Président de la République dirige le pays. Même si le chef de l’Etat n’y est pas domicilié, le fait reste grave. Il est temps que ce dernier réforme le secteur sécuritaire et de la défense en faisant appel à des gens qui connaissent le métier. Des professionnels.
Selon des sources, Felix Tshisekedi devait se trouver au Palais de la Nation tard dans la soirée du 19 mai. Si cette information était confirmée, devrait-on conclure qu’il y aurait des « taupes » au sein de la garde rapprochée du Président de la République?
Si cette information était vraie, cela signifie qu’il y a eu une fuite. Une fuite qui n’a pu être organisée que par le proche entourage du chef de l’Etat ou encore de ceux qu’on appelle les « initiés ». C’est à dire des gens qui connaissent l’emploi du temps du locataire du Palais de la Nation. Je ne dirai jamais assez que l’occupation du Palais de la nation est un acte grave. Le chef de l’Etat serait mal inspiré de passer à autre chose sans en tirer toutes les conséquences. Il doit absolument réformer tous les services de sécurité.
Vous étiez présent lors de la cérémonie d’adoubement de Malanga à Rome. L’avez-vous connu personnellement?
Oui, je le connaissais personnellement!
Quelle impression avez-vous gardée de lui?
Depuis 2017, je n’ai plus de ses nouvelles. En quelques mots, Christian Malanga était un homme ambitieux. Très, très ambitieux. Il était courageux à la limite de la témérité. Il lui a manqué une dose de sagesse.
Au Palais de la Nation, les compagnons de Malanga ont descendu l’emblème de la RDC pour hisser celui du Zaïre. Peut-on parler de « nostalgie mobutiste » alors que Malanga n’avait que 14 ans lorsque le maréchal Mobutu quittait le pouvoir?
A mon avis, ce n’est pas de la nostalgie. Il a entendu parler de ce qui s’est passé à l’époque de Mobutu. C’est une époque qui ne compte pas que des choses négatives. En fait, Malanga était partisan d’un pouvoir fort en vue de remettre de l’ordre. Mobutu Sese Seko fut un « homme à poigne ». Malanga a dû s’informer et s’instruire.
Que faisiez-vous à cette cérémonie?
J’étais invité comme tout le monde. Sauf erreur, c’était le 27 avril 2017. Je suis reparti aussitôt après la messe. C’était à une époque où nous combattions Joseph Kabila. Il faut bien reconnaitre que la diaspora congolaise d’Europe a joué un rôle indéniable pour faire « dégager » Kabila. En fait, j’y étais invité en ma qualité de militaire et d’opposant assumé au pouvoir kabiliste.
Jean-Jacques Wondo est invisible à cette « consécration » alors que vous êtes très proches…
Effectivement, nous avons toujours été ensemble. Sauf que dès le premier contact avec Malanga, nous n’étions pas emballés. Le discours n’était pas très motivant. Du point de vue militaire, Malanga nous a semblé plutôt naïf.
En tant qu’intellectuel militaire, comment jugez-vous la situation générale du pays?
A mon avis, on ne peut parler de développement avant de réformer le système sécuritaire et de défense. C’est le travail des professionnels. Celui qui est malade ira-t-il chez un maçon pour se faire soigner? Je ne cesserai de dire que le régime de Transition « Un plus quatre » a détruit notre système sécuritaire et de défense. L’armée congolaise a cessé d’exister en 2004. Joseph Kabila était venu détruire complètement l’armée nationale à travers les brassages et mixages. Fort heureusement, on peut mettre sur pied une bonne armée en trois ans.
Que pourriez-vous conseiller au président Felix Tshisekedi?
Je lui conseillerai de refaire une nouvelle armée en commençant par les officiers. Il faut deux à trois ans pour former un bon officier. Avec Jean-Jacques Wondo, nous avons écrit le livre « Les Forces Armées de la RD Congo: une armée irréformable? » Tout est là!
Que pensez-vous des « infiltrés » d’origine rwandaise – notamment des officiers supérieurs – qui pullulent dans les Forces armées de la RDC?
Le problème d’une armée c’est quoi? Je prends l’exemple de l’UNITA après la mort de son leader Jonas Savimbi. Les autorités angolaises ont arrêté des critères pour l’intégration des anciens combattants de ce mouvement dans l’armée angolaise. L’armée de l’UNITA comptait plus ou moins 50.000 hommes. Les autorités angolaises n’avaient retenu que 5.000.
Sauf que les ex-combattants de l’UNITA étaient des citoyens angolais…
C’est pour cela que j’insiste sur les critères. Le gouvernement congolais doit arrêter des critères rigoureux afin de savoir notamment qui est Congolais et qui ne l’est pas. Kabila avait pour mission de détruire notre pays. Et quand on veut détruire un pays, on s’attaque d’abord à son armée ainsi qu’à l’éducation.
C’est pour quand votre retour au pays?
Le Congo-Kinshasa est notre mère-patrie. Notre retour ne pose aucun problème. Il faut néanmoins réunir quelques conditions…
Lesquelles?
Ce n’est nullement une question d’argent. Est-ce que je serai le bienvenu? Serai-je apprécier à ma juste valeur selon mon niveau d’études? Des amis sont rentrés déçus après un voyage au pays. Ils ont trouvé « porte close ».
Est-ce le cas sous la Présidence de Felix Tshisekedi?
Des amis de l’Ecole royale militaire s’étaient rendus récemment à Kinshasa. Pour une raison inconnue, ils ont rebroussé chemin…
La nouvelle de l’arrestation de Jean-Jacques Wondo est tombée après notre entretien. Quelle est votre réaction à chaud?
C’est totalement insensé et triste! On parle d’une photo de lui avec Christian Malanga en 2016. C’était à l’époque où la diaspora était vent debout contre Joseph Kabila. Soupçonner Jean-Jacques de connivence avec Malanga est tout à fait absurde. Wondo n’est pas un idiot pour s’engager dans une telle aventure. Je demande simplement sa libération. Il a accepté d’épauler l’administrateur général de l’ANR afin d’apporter sa contribution dans « l’humanisation » des services de renseignement. Jean-Jacques Wondo est un professionnel. Il ne peut pas s’associer avec un tel personnage et à un tel degré d’amateurisme.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi