Saura-t-on la vérité, toute la vérité et rien que la vérité sur les circonstances exactes du décès du général Delphin Kahimbi Kasagwe, survenu le vendredi 28 février? On peut en douter. En lieu et place des enquêteurs chevronnés de la police judiciaire des parquets et d’un médecin légiste, le haut commandement militaire s’est cru en droit de désigner quelques « épaules galonnées » pour mener les investigations dans une affaire de mort d’homme qui relève, jusqu’à preuve du contraire, de la justice. Et non de l’armée. Pire, c’est un officier controversé qui s’est vu confier la présidence de la commission d’enquête. Il s’agit le général Marcel Mbangu Mashita, un proche du général John Numbi Banza. Bref, un des « hommes de Joseph Kabila ».
En attendant de connaitre les critères ayant prévalu au choix des membres de la commission instituée par le chef d’état-major général des Fardc, on peut, dores et déjà, gager que c’est une enquête-bidon qui vient d’être mise en place. Procès d’intention? Assurément pas!
Six jours après l’annonce du décès du général Delphin Kahimbi Kasagwe et le transfert de son corps à l’hôpital du Cinquantenaire, c’est le black-out. Aucune information n’a été communiquée sur l’autopsie que les experts en médecine légale n’ont pas manqué de pratiquer sur le cadavre du défunt patron du Service de renseignements militaires (ex-Demiap).
Selon un médecin belgo-congolais, l’opinion aurait pu avoir déjà les conclusions de l’autopsie macroscopique. « L’autopsie macroscopique – ce que l’on voit à l’œil nu par simple inspection du corps – peut être accomplie en 3 ou 4 heures ». En revanche, précise-t-il, « l’autopsie microscopique – c’est-à-dire l’examen minutieux avec des coupes à observer par microscope – nécessite plusieurs jours ». Ce second cas de figure nécessite, selon lui, des analyses de laboratoire. En français, « plusieurs » signifie plus de deux. Cela fait déjà six jours que cet événement tragique s’est produit.
La nature ayant en horreur le vide, des informations parcellaires indiquent que lors de la réunion du Conseil des ministres du vendredi 28 février, le président Felix Tshisekedi aurait laissé entendre que des « traces de strangulation » auraient été constatées sur le corps du disparu. Info ou intox?
LES VERSIONS SE SUIVENT ET SES CONTREDISENT
Au moment où ces lignes sont écrites, ces allégations n’ont été ni confirmées ni infirmées par la cellule de communication de la Présidence de la République. Encore moins par le service du porte-parole. Un mutisme pour le moins étrange pendant que, sur les réseaux sociaux, les versions se suivent et se contredisent sur la cause de la disparition de cet officier. L’épouse du général parle de « malaise cardiaque ». Une prétendue fille du défunt non autrement identifiée assure, elle, que « son père s’était pendu ». Une troisième version assure que l’homme s’était logé une balle dans la tête. Ce n’est tout. Dans un premier temps, on apprenait Kahimbi serait mort dans sa « résidence au camp Kokolo ». Le haut commandement militaire, lui, situe le domicile du défunt « dans la commune de Ngaliema ». Qui a intérêt à manipuler l’opinion?
Autre question: le chef de l’Etat congolais était-il déjà en possession des conclusions du rapport d’autopsie « macroscopique »? Dans l’affirmative, pourquoi ne le fait-on pas savoir pour calmer tous ces esprits surchauffés? Dans la négation, pourquoi tarde-t-on à tordre le cou aux assertions aussi préjudiciables? D’aucuns n’hésitent pas à voir une relation de cause à effet entre les auditions de Delphin Kahimbi au Conseil national de sécurité – suivies de suspension – et son décès.
Contre toute attente, mercredi 4 mars, le chef d’état-major général de l’armée congolaise, le général Célestin Mbala wa Musense (FARDC) a procédé à la mise en place d’une « commission d’enquête ». Présidée par le général Marcel Mbangu Mashita, cette commission compte, au total, six membres. A savoir, les généraux Jean Baseleba Bin Mateto et Dieudonné Kapinga Mwanza Mashika et les colonels Faustin Kapanga Kapangala (rapporteur), Denis Kikobya Sambili et Tony Nkulu Kiluba, tous les deux membres.
Cette commission est chargée « d’élucider les circonstances de la mort inopinée » de l’ancien chef d’état-major général adjoint en charge du Renseignements militaires. Une mission impossible. Et pour cause?
En attendant de connaitre les critères ayant prévalu dans le choix des membres de ladite commission, il n’est pas sans intérêt d’évoquer quelques éléments du parcours personnel de son président, le général Marcel Mbangu Mashita.
« BATAILLON SIMBA »
Natif du Katanga, le général Mbangu n’a pas de CV disponible sur le « Net ». N’empêche. Le patronyme de cet officier issu du « Bataillon Simba » – cette unité paramilitaire de la police nationale très chère au général John Numbi Banza – a commencé à intéresser les observateurs autant que les diplomates accrédités à Kinshasa au lendemain de l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya et son chauffeur Fidèle Bazana. C’était le 1er juin 2010 dans l’enceinte du « QG » de la police nationale.
En juin 2010, Marcel Mbangu, alors colonel, était conseiller à l’ambassade du Congo-Kinshasa à Kampala, en Ouganda. C’était à l’époque de l’ambassadeur Jean-Charles Okoto.
Ouvrons la parenthèse ici pour relever qu’après la « diplomatie », Mbangu a été nommé, en juin 2015, au poste de commandant du secteur opérationnel au Nord-Kivu de l’opération « Sukola 1 » en remplacement du général Muhindo Akili, alias Mundos. Il y est resté jusqu’en août 2019. Il a été remplacé par le général Jacques Nduru. La troisième Zone de défense est chapeautée par le général Fal Sikabwe. Bref, des hommes réputés « fidèles » à « Kabila ». Fermons la parenthèse.
Après l’exécution de Chebeya et son compagnon d’infortune dont le corps n’a jamais été retrouvé, deux policiers ayant participé à cette « association de malfaiteurs » dirigée par le colonel Daniel Mukalay wa Mateso prirent le chemin de l’exil. C’est le cas du major Christian Ngoy Kenga Kenga (commandant du bataillon Simba) et du sous-commissaire ou commissaire adjoint Jacques Mugabo qui était, au moment des faits, le chauffeur attitré du colonel Mukalay.
UNE ENQUÊTE-BIDON
Muni d’un vrai-faux passeport de service sous le nom d’ « Amisi Mugangu », Mugabo atterrit à Kampala. Dans ses premières « confidences » faites à quelques diplomates en poste à Kinshasa dont ceux de la Mission onusienne, le policier a avoué avoir fait partie des « assassins » de Chebeya et de son chauffeur. Selon lui, c’est le général Numbi qui l’aurait aidé à obtenir un passeport de service pour quitter le pays avec un millier de dollars en poche. Il devait s’adresser au colonel Mbangu afin d’obtenir un « complément ». Il trouva la porte close. C’est ainsi qu’il s’est répandu dans des déclarations.
« Tuyauté » par un diplomate en poste à Kin, l’auteur de ces lignes finit par établir un contact téléphonique avec le fugitif qui avait emprunté le sobriquet « maïke kilo » pour son adresse mail.
Au cours d’une conversation, l’ex-commissaire adjoint laissa entendre que sa présence en Ouganda était connue des sbires du régime. « S’ils m’attrapent, je suis un homme mort », murmurait-il au téléphone avant d’égrener les noms de ses « poursuivants »: Elie Lungumbu, ancien Redoc à Bukavu, colonel Marcel Mbangu, conseiller à l’ambassade congolaise à Kampala. « Le colonel Marcel Mbangu a pour spécialité les enlèvements », confiait-il.
Jacques Mugabo a disparu dans la capitale ougandaise en septembre 2010 sans laisser des traces. Ce jour-là, il avait rendez-vous avec son « chef » Christian Ngoy Kenga Kenga. C’est ce qu’il disait. Selon un témoin, le commissaire adjoint en cavale a été vu la dernière fois à Kampala au moment où prenait place dans une limousine portant la plaque diplomatique.
Si rien ne prouve l’implication de Marcel Mbangu dans la « disparition » de ce policier, il reste que cet homme a un parcours qui met à nu son extrême proximité avec l’ex-président « Joseph Kabila ». Quid de l’impartialité? Le haut commandement militaire a promis de rendre public les « résultats finaux ». Les résultats finaux d’une enquête-bidon.
Baudouin Amba Wetshi