La Radio France Internationale a publié, lundi 8 février, les révélations de deux policiers qui soutiennent avoir participé (indirectement) dans l’exécution des défenseurs des droits humains Floribert Chebeya Bahizire et son assistant et chauffeur Fidèle Bazana Edadi. C’était le 1er juin 2010.
A Kinshasa, l’ambassadeur de l’Union européenne et ses collègues des Etats-Unis d’Amérique et de la Belgique ont demandé aux autorités congolaises de « relancer la procédure » sur cette affaire que d’aucuns qualifient de crimes d’Etat. Le BCNUDH (Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme) se dit disposé à assister les autorités judiciaires.
Ces réactions qui interviennent après « l’alternance démocratique » du 24 janvier 2019 ressemblent fort à des « larmes de crocodile ». Sans vouloir refaire l’histoire, Chebeya et Bazana seraient peut-être encore en vie aujourd’hui si la fameuse « communauté internationale » avait fait preuve de moins de duplicité de 2005 à 2010. Nous y reviendrons.
Il y a, dans cette intéressante investigation de RFI, des éléments connus mais aussi des « révélations ».
Quels sont les éléments connus?
Primo: Le film de ce drame humain s’est déroulé au Quartier général de la police nationale congolaise (PNC). « Floribert » avait, ce jour-là, rendez-vous avec John Numbi Banza, alors inspecteur général de la PNC. Défenseur des droits humains, le directeur exécutif de la VSV (La Voix des Sans Voix) avait sollicité une entrevue depuis le mois de… février. Il espérait plaider, à cette occasion, en faveur de l’amélioration des conditions carcérales dans les cachots de la police. Ce n’est que le 31 mai que Numbi décidera de lui fixer rendez-vous le lendemain mardi 1er juin 2010. Un traquenard.
Secundo: C’était un secret de Polichinelle: Chebeya entretenait des « rapports heurtés » avec le pouvoir de « Joseph Kabila ». La « VSV » avait dénoncé, en termes véhéments, le massacre des adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo en 2007 et 2008, dans l’actuelle province du Kongo Central. Bilan: 100 morts et plusieurs dizaines de blessés. Le dossier fut étouffé par l’ambassadeur William Lacy swing, alors chef de la Mission onusienne au Congo. L’association avait, par ailleurs, fustigé plusieurs meurtres prémédités camouflés en crimes crapuleux. A titre d’illustration, on peut citer: Steve Nyembo Mutamba (DRH- DG Impôts), Aimée Kabila (fille de LD Kabila), Louis Bapuwa Mwamba (journaliste), Franck Kangundu dit Ngycke (journaliste) et son épouse Hélène Mpaka.
Tertio: Selon des témoignages concordants, l’ordre d’éliminer physiquement Chebeya – ainsi que toute personne qui l’accompagnerait – aurait été donné à John Numbi par l’ancien président « Kabila ». En personne. L’homme voulait en finir avec ce défenseur des droits humains, devenu une sorte de poil à gratter. Motifs: « Floribert Chebeya avait confectionné des rapports hostiles qui ont eu un effet négatif sur l’image du régime ».
Quarto: Le lundi 31 mai 2010 à 10h00, John Numbi transmets ces instructions du « raïs » au colonel Daniel Mukalay wa Mateso. A l’issue de cette réunion, Mukalay réuni à son tour ses proches chargés habituellement des « missions spéciales ». Etaient présents: le major Christian Ngoy Kenga Kenga (commandant du bataillon paramilitaire « Simba ») et six sous-officiers de police.
Quinto: Le mardi 1er juin. Il est 17h00, lorsque Floribert Chebeya arrive à l’inspection générale de la police. Il y est conduit par son chauffeur et assistant Fidèle Bazana. Ils ne seront plus revus en vie. Dans la soirée, la nouvelle de la « disparition » de ces activistes des droits de l’homme se répand comme une trainée de poudre.
Sexto: Le corps sans vie de « Floribert » est retrouvé, mardi 2 juin, sur la banquette arrière de sa voiture de marque « Mazda ». Celle-ci est garée sur la route de Matadi au Quartier Mitendi. Des témoignages concordants indiquent que le directeur de la VSV a été étouffé avec un sachet. Selon le colonel Paul Mwilambwe qui vit en exil, c’est le major « Christian » – un praticien des arts martiaux – qui avait « asphyxié » Chebeya. Le corps de Fidèle Bazana reste introuvable.
Quelles sont les révélations?
D’abord, l’apparition de deux nouveaux acteurs en l’occurrence l’adjudant Hergile Ilunga et le brigadier Alain Kayeye Longwa. Et surtout leurs témoignages selon lesquels, John Numbi les avait « évacués » de Kinshasa pour les loger dans sa ferme à Lubumbashi. Sans tirer des conclusions hâtives, il s’agit là d’un cas flagrant de « recel de malfaiteurs ».
Ensuite, la désignation d’une ferme où la dépouille de Bazana serait ensevelie.
Enfin, l’implication du colonel ou général Djadjidja, un tortionnaire bien connu de l’ancien régime. Il dirige la police militaire. La ferme dont question appartiendrait à cet officier. Une source policière prétendait jadis que le corps de « Fidèle » aurait été immergé dans le Fleuve Congo au niveau de Kinsuka.
Le défenseur des droits humains Floribert Chebeya et son bras droit Fidèle Bazana ont été victimes de la cruauté d’un despote fou. En grattant un peu, les deux activistes auraient pu éviter ce sort tragique si la « communauté internationale » avait fait preuve de cohérence et de constance. Elle qui ne jurait – dans les années 90 – que sur la démocratie et les droits de l’Homme.
Après la mort du président Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001, les « maîtres du monde » ont passé leur temps à « chouchouter » son successeur qui n’était ni meilleur ni pire en matière du respect des droits de l’homme. Le 28 février 2010, Chebeya – qui n’avait plus que trois mois à vivre – était de passage à Bruxelles. « Toutes les portes nous sont fermées. La communauté internationale finance de moins en moins la société civile. Il semble que les droits de l’homme ne sont plus à l’ordre du jour. L’heure serait, dit-on, à la stabilisation ». Floribert confiait ces propos à l’auteur de ces lignes. Et d’ajouter sur un ton amer: « La communauté internationale veut légitimer le pouvoir de Kabila pour la présidentielle de 2011. Elle n’a pas besoin d’une société civile et d’une opposition forte ».
Ce 28 février 2010, le directeur exécutif de la « VSV » revenait de Genève où le Conseil de droits de l’Homme des Nations Unies devait désigner notamment un « Expert indépendant » chargé de « surveiller » l’évolution des droits et libertés au Congo-Kinshasa. Le Chilien Roberto Garreton jouait ce rôle sous le Zaïre de Mobutu. Opposé à cette éventualité sur injonction de Kabila, la délégation venue Kinshasa a fait du « lobbying » auprès du fameux « Groupe des 77 » qui réunit les pays issus de l’ex-Tiers monde. Le « Niet » défendu par le gouvernement congolais l’emporta.
Il faut espérer que la procédure judiciaire sera relancée. Il faut espérer également, comme le demande la veuve Chebeya née Annie Mangbenga-Nzinga, que le général John Numbi Banza passera bientôt du statut complaisant de « simple renseignant » à celui de prévenu. La famille de Chebeya et celle de Bazana attendent que la justice soit dite. Elles n’ont que faire des larmes de crocodile de la « communauté internationale ».
Baudouin Amba Wetshi