C’est sans doute le procès le plus long au Congo-Zaïre. Ouvert en juin 2017, le procès des présumés assassins des experts onusiens Zaida Catalan (Suédoise) et Michaël Sharp (Américain) s’est achevé le samedi 29 janvier 2022. Cinquante-quatre mois durant, la Cour supérieure militaire de la garnison de Kananga, Kasaï Central, n’a pas été outillé pour déterminer le mobile du crime devant conduire au commanditaire. Cette juridiction, a, par contre, rendu son verdict: quarante-neuf condamnés à mort sur les cinquante-quatre prévenus. Devrait-on conclure que les 49 condamnés ont collectivement posé l’acte matériel de mise à mort des deux agents onusiens? Une certitude: durant cinq ans, le juge-président et le représentant du ministère public ont affiché une « partialité assumée » en refusant de faire aux requêtes de la partie civile de faire comparaitre certaines « personnalités ». Après le prononcé de la sentence, le premier a feint de « regretter » la non-identification du commanditaire.
Président de la Haute cour militaire de la garnison de Kananga, Jean-Paulin Ntshaykolo, promu général au cours de ce long procès, a, franchement, raté l’occasion de se taire. Après le prononcé du verdict, il s’est cru en droit d’exprimer « ses regrets » du fait que ce procès de Kananga « n’a permis pas de connaitre les commanditaires du crime ». Comment expliquer les 49 condamnations à mort? Ce juge voudrait-il dire que l’acte matériel ayant ôté la vie à « Zaida » et « Michaël » a été commis par 49 miliciens? Duplicité ou mauvaise foi?
Non-satisfait de l’issue de ce procès – qui est loin de faire éclater la vérité sur les circonstances exactes de la mort de ces Occidentaux -, l’ambassadeur des Etats-Unis estime que « les autorités, en coopération avec le mécanisme de suivi des Nations Unies, doivent poursuivre leur enquête et suivre toutes les pistes possibles pour que justice soit rendue pleinement ».
Le diplomate américain a rappelé que le président Felix Tshisekedi avait dit sa détermination de voir « tous les responsables » comparaître. Selon lui, le chef de l’Etat tient que justice soit faite « pour faire avancer ses efforts et la volonté du peuple congolais de mettre fin à l’impunité » au Congo-Kinshasa.
Un coup d’œil rétrospectif sur cette tragique affaire met en lumière de nombreuses zones d’ombre.
Fin février 2017, les deux experts foulent le sol congolais. Ils sont envoyés par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Mission: documenter des informations faisant état de graves violations des droits humains commis au Kasaï Central. Les forces de sécurité ont été accusées d’avoir fait un usage excessif de la forme pour réprimer la révolte des partisans de Jean-Prince Mpadi, le Grand chef de Kamuina Nsapu, abattu en septembre 2016.
Arrivés à Kananga, les deux experts descendent à l’hôtel Woodland. Le 12 mars 2017, accompagnés d’un interprète et de trois conducteurs de motos, ils prennent la route . Il faut refuser de regarder pour ne voir que les conclusions de cette enquête devaient « embarrasser » le pouvoir de « Joseph Kabila ». Et non les « miliciens ». Quelques heures après le départ de l’hôtel, le « convoi » n’est plus joignable. Plus de contact. La « disparition » des deux experts est annoncée.
39 POLICIERS « DÉCAPITÉS »
A Kinshasa, Lambert Mende Omalanga, ministre de la Communication et médias, confirme la nouvelle. Sans attendre le résultat d’une enquête préliminaire, il ajoute: « Ils sont tombés dans une embuscade tendue par les Kamuina Nsapu ». Problème: « L’embuscade » dont question a eu lieu à Bunkonde, une localité située dans le périmètre contrôlé par les Forces armées de la RDC.
Dès le 22 mars 2017, des informations fragmentaires ont commencé de circuler. On apprenait que les deux experts ont été exécutés. « La dame a été décapitée », précisaient-elles. Le double homicide aurait eu lieu dès le 12 mars.
Le 24 mars, le président de l’Assemblée provinciale du Kasaï Central, François Kalamba, annonce à la presse tant nationale qu’internationale que « près de 40 policiers ont été décapités par des présumés miliciens Kamuina Nsapu ». Prudent, le vice-gouverneur de cette province, Hubert Ndingo Mvala, s’est refusé de confirmer cette « nouvelle ». Pour lui, il y a eu une « perte de contact » avec le convoi de ces policiers. Cinq années après, l’opinion congolaise attend toujours de connaitre les noms et les numéros de matricule des policiers prétendument « suppliciés ».
Question: l’annonce de la « décapitation » de ces agents de l’ordre avait-il pour but de « conditionner » l’opinion nationale en générale et internationale en particulier sur la « barbarie » des miliciens Kamuina Nsapu? Est-ce pour donner au régime « Kabila » une « cause de justification » pouvant « excuser » l’usage abusif de la force reproché aux pouvoirs publics?
Le 26 mars 2017, la nouvelle tombe: les deux corps sans vie ont été « retrouvés ». C’est l’horreur! La femme est effectivement étêtée. La justice est saisie. Une information judiciaire est ouverte. Tous les doigts accusateurs sont pointés sur des prétendus miliciens Kamuina Nsapu. « Ceux-ci » auraient même réalisé une vidéo afin que la terre entière puisse voir comment les deux Occidentaux ont été suppliciés. La suite est connue.
PARTIALITÉ ASSUMÉE
La première audience à la Haute cour supérieure de la garnison de Kananga est ouverte au mois de juin 2017. A l’époque, les fonctions d’auditeur général des FARDC étaient assumées par le général Timothée Mukuntu Kiyana (décédé en janvier 2021). L’homme trônait sur le ministère public au Congo-Kinshasa. Il faisait partie de ce que d’aucuns appelaient, à raison d’ailleurs, « les hommes du Raïs ». Le colonel Jean-Paulin Ntshaykolo occupe, lui, le fauteuil de premier président de cette juridiction. La boucle est bouclée.
Au cours d’une audience tenue le 20 octobre 2019, les avocats du prévenu Thomas Nkashama ont créé l’événement en exigeant la comparution d’Emmanuel Ramazani Shadary. Celui-ci était ministre de l’Intérieur au moment des faits. Selon ces juristes, Ramazani avait reçu leur client le 12 mars 2017, le jour de la disparition de deux experts. L’entrevue aurait eu lieu à Kananga. Coïncidence?
Lors de sa comparution, le prévenu Bosco Mukanda a abondé dans le même sens. Le juge-président Ntshaykolo faillit s’étranger en tonnant: « Aucune autorité politico-administrative ni un membre quelconque du gouvernement congolais n’a utilisé le prévenu Jean-Bosco Mukanda et sa milice pour exécuter les experts onusiens et leurs accompagnateurs congolais ». Pourquoi a-t-il rejeté la requête des avocats? Une confrontation des prétentions n’est-elle pas conforme au souci de faire éclater la vérité? Par son refus, Ntshaykolo a-t-il voulu assumer sa partialité en tant que juge?
Interrogé au cours de la même audience du 20 septembre 2019, un autre prévenu, en l’occurrence José Tshibuabua, est venu enfoncer le clou en affirmant qu’il a été « emmené secrètement » au siège de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Sans précision de date. Selon lui, il fut interrogé par Kalev Mutond en personne, alors administrateur général de cette Agence. Et ce, « en présence du président honoraire, le sénateur Joseph Kabila ». Vous avez bien entendu. C’est l’émoi chez l’auditeur général Mukuntu qui apprend la « terrible nouvelle » à Kinshasa. Il bondit dans le premier avion. Destination: Kananga. Sans trembler, José Tshibuabua – qui mourra quelques semaines après – s’est mis à répéter la même version.
En clamant ses « regrets » après avoir constaté que le procès n’a pas été capable de démasquer le « commanditaire » de ce double assassinat, le premier président Jean-Paulin Ntshaykolo a fait couler des larmes de crocodile pour soulager une conscience chargée. Ce genre de magistrats fait la honte du Congo-Kinshasa.
B.A.W.