C’est une parodie de procès qui se déroule, depuis bientôt 30 mois, à Kananga, au Kasaï Central. La Haute cour militaire « tente » avec une nonchalance indescriptible de « faire toute la lumière » sur les circonstances exactes de l’assassinat, le 12 mars 2017, des experts onusiens Zaida Catalan et Michaël Sharp. Ils étaient chargés d’enquêter sur des allégations de graves violations des droits humains dans cette partie du Congo-Kinshasa. Président de cette juridiction, le colonel Jean-Paulin Ntshayikolo a manifestement reçu mission d’assurer l’impunité à quelques autorités politico-administratives. Des sources dignes de foi à Kananga assurent que « Joseph Kabila » était présent lors d’un interrogatoire du prévenu José Tshibuabua au siège de l’ANR à Kinshasa. La séance était dirigée par Kalev Mutondo, alors administrateur général. Tshibuabua a fait cette révélation lors de l’audience du 20 septembre 2019 soit un mois avant son décès survenu dans la nuit du 21 au 22 octobre. Selon les mêmes sources, les responsables de l’Onu savent toute la vérité.
Le 16 janvier 2001, la terre entière apprenait la mort du président Laurent-Désiré Kabila. Plusieurs collaborateurs de celui-ci furent arrêtés en cascade. Un « méga-procès », démarré en mars 2002, a tenu l’opinion tant nationale qu’internationale en haleine jusqu’au 7 janvier 2003. Ce jour-là, le président de la Cour d’ordre militaire, le général Nawele Bakongo créa la surprise en annonçant la fin des débats tout en reconnaissant que « le dossier n’est pas clos ». Ce procès inachevé n’a pas empêché Nawele à rendre son « verdict ». Des lampistes croupissent, depuis dix-neuf ans, à la prison centrale de Makala. D’autres sont morts en détention.
Le procès qui se déroule, depuis une trentaine de mois, à Kananga présente tous les reliefs d’un « remake » de ce qui précède. Un procès bidon. Le risque est grand que le commanditaire et les exécutants continuent à humer l’air frais pendant que des « larbins » iront moisir en prison.
Que voit-on? Président de la Cour militaire à Kananga, le colonel Jean-Paulin Ntshayikolo s’est cru en droit d’apostropher l’avocat du prévenu Jean-Bosco Mukanda en lui faisant remarquer que les autorités politico-administratives n’ont jamais eu de contacts avec son client. Une affirmation pour autant péremptoire que tendancieux.
Selon des sources à Kinshasa et à Kananga, quasiment tous les prévenus qui défilent au prétoire ont voyagé secrètement. Direction, Kinshasa où ils ont été « conditionnés » au siège de l’Agence nationale de renseignement. Les « entretiens » auraient été menés par Kalev Mutondo… en personne. Vincent Manga, Jean-Bosco Mukanda, Jean de Dieu Mabweni et José Tshibuabua ont eu à effectuer cette « pérégrination ».
« EXÉCUTION EXTRAJUDICIAIRE »
Lors de l’audience du 20 septembre 2019, José Tshibuabua a crevé l’abcès en affirmant à haute et intelligible voix que « Joseph Kabila » était présent lors de son interrogatoire au siège de l’ANR. « Cette révélation fut suivie d’un silence de mort », confie une source. Invité à confirmer ses dires, Tshibuabua n’est pas allé par quatre chemins en précisant que « le président honoraire Joseph Kabila se tenait à côté de Kalev Mutondo ».
Informé de cet « élément nouveau », l’auditeur général Timothée Mukuntu Kiyana qui se trouvait dans la capitale, a déboulé, trois jours après, au chef-lieu du Kasaï Central. Il voulait entendre de ses propres oreilles. Affaibli par un état de santé précaire, Tshibuabua était absent à l’audience. Il le fit venir malgré tout à la barre. « Confirmez-vous la présence du président honoraire lors de votre audition à l’ANR? », tonna le représentant du ministère public. « Je suis malade, le médecin de la prison cherche à me tuer. Je ne me rappelle plus », répondit-il d’une voix à peine audible. Coïncidence ou pas, sieur Tshibuabua décédera dans la nuit du 21 au 22 octobre. A tort ou à raison, d’aucuns parlent « d’exécution extrajudiciaire ».
Des observateurs s’interrogent sur la nature du jeu que joue tant la Mission onusienne au Congo que les plus hauts responsables des Nations Unies à New York. Le secrétaire général Antonio Guterres, en tête.
Chargés d’enquêter sur des allégations de graves violations des droits humains dans le « Grand Kasaï » en général et au Kasaï Central en particulier, les experts du Conseil de sécurité Zaida Catalan et Michaël Sharp ont « disparu » le 12 mars 2017 à une quinzaine de kilomètres de Kananga. « Ils sont tombés entre les mains des forces négatives », déclarait Lambert Mende Omalanga, alors ministre de la Communication et des médias. C’était le 13 mars 2017. « Les deux experts ont eu accès à des informations sensibles. Ils ont été exécutés dans une zone contrôlée par les Forces armées de la RDC ». L’homme qui parle est un agent de l’ANR qui a requis naturellement l’anonymat.
KAMUINA NSAPU
Désigné chef coutumier (Kamuina Nsapu) des Bajila Kasanga, un clan de l’ethnie Lulua Dibatayi, Jean-Pierre Pandi a fait face à des tracasseries administratives pour obtenir la reconnaissance des autorités administratives. Celles-ci ont-elles tenté, sans succès, d’obtenir son allégeance au parti kabiliste, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie?
Suspecté de détenir des armes, le Chef Pandi voit des policiers envahir sa résidence. But: opérer une perquisition. Il semble que certains agents avaient « touché » à ses attributs de chef et violé son épouse. C’est le début des échauffourées.
Convoqué à Kananga par le gouverneur du Kasaï Central, le Chef Pandi demanda une escorte de la Monusco. L’homme n’avait aucune confiance aux autorités congolaises. C’est une escouade de l’armée qui surgit chez lui le 12 août 2016. Il est abattu. C’est le début du phénomène Kamuina Nsapu. Au plan diplomatique, les autorités congolaises sont accusées de faire un « usage disproportionné de la force » face à des populations munies de bâtons et de machettes.
Vingt-quatre heures avant leur voyage fatal, « Zaida » et « Michaël » ont eu un entretien avec le Redoc (directeur provincial de l’ANR) à Kananga. Ils se sont entretenus également avec leurs futurs accompagnateurs (Betu Tshintela, Issac Kabuayi et Pascal Nzala notamment) à l’hôtel Woodlan où ils logeaient. Le déplacement de deux experts étaient connus de tous les responsables sécuritaires de la région.
« 40 POLICIERS DÉCAPITÉS… »
Dès le 22 mars 2017, soit dix jours après la disparition des agents onusiens, des informations fragmentaires laissaient entendre que Catalan aurait été étêtée. Ce qui incline à penser que « quelqu’un » savait tout au moins où se trouvaient les corps.
Coup de théâtre! Le 24 mars, Reuters annonce dans une dépêche que près de « 40 policiers ont été décapités » par des présumés miliciens Kamuina Nsapu. Les « victimes » seraient tombés dans une « embuscade » sur le tronçon Tshikapa-Kananga. En guise de source, l’agence britannique cite François Kalamba, le président de l’Assemblée provinciale, d’alors. Les noms des policiers tués restent un mystère. Il n’y aura jamais de « cérémonie d’inhumation ». Voulait-on « conditionner » l’opinion?
Vingt-quatre heures après cette annonce, les corps sans vie de Catalan et de Sharp sont « découverts ». La jeune dame est effectivement décapitée.
Les plus hauts responsables de l’Onu savent les circonstances exactes de l’assassinat de leurs deux experts. Pourquoi ne diffusent-ils pas les informations en leur possession qui mettent en cause trois « suspects ». C’est le cas non seulement de « Joseph Kabila » mais aussi de ses « hommes de mains » Kalev Mutondo et Delphin Kahimbi.
« KABILA » FAIT « CHANTER » L’ONU
Lors de la 72ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2017, « Kabila » avait littéralement fait « chanter » l’Onu. Un extrait de son speech en témoigne. « Il est clair que près de vingt ans après son déploiement, la force onusienne ne peut nourrir l’ambition de rester indéfiniment dans mon pays, déclarait-il. Depuis plusieurs années nous exigeons le redimensionnement de la Monusco (…)« . La Monusco était devenue un « témoin gênant » pour un « Kabila » décidé à briguer un troisième mandat interdit par la Constitution.
Pour préserver des intérêts douteux, les autorités onusiennes ont-elles décidé de passer par pertes et profits ce double homicide constitutif de crime contre l’humanité? Pourquoi, les représentants de la Monusco qui assistent à chacune des audiences du procès à Kananga n’osent guère exiger la comparution de Kalev Mutondo et de Delphin Kahimbi? Pourquoi, la Haute cour militaire n’a jamais consulter les relevés téléphoniques du colonel Jean de Dieu Mabweni qui étaient en contact avec des responsables de l’ANR? Pourquoi personne ne s’offusque de la connivence existant entre certains avocats de la défense et le ministère public? Pourquoi, enfin, l’ANR se croit-elle en droit de déporter à Kinshasa des prévenus à un procès sans rédiger le moindre procès-verbal?
La Haute cour militaire à Kananga ne fait nullement illusion. Elle a reçu pour mission de garantir l’impunité à « Joseph Kabila » ainsi qu’à ses « bads guys ».
Lors de l’attentat qui coûta la vie au colonel Mamadou Mustapha Ndala, l’auditeur général Mukuntu Kiyana fut le premier magistrat à descendre sur la scène du crime. Les conclusions de l’enquête n’ont jamais été publiées. L’homme est passé maître en matière de dissimulation. Il n’est pas exclu que le procès en cours à Kananga s’achève dans un brouillard total. Vive l’impunité!
Baudouin Amba Wetshi