Agé de 65 ans, criminologue de formation et de profession, Boniface Kabisa a gravi tous les échelons de la police judiciaire des Parquets jusqu’à la fonction d’Inspecteur général adjoint de la police judiciaire des Parquets (2012). « J’ai eu à côtoyer le monde politique. J’ai été conseiller à la Présidence de la République sous Mzee LD Kabila avant de servir en qualité de conseiller au cabinet du Premier ministre Antoine Gizenga et au ministère de l’Intérieur », dit-il. « Je suis maintenant en disponibilité ». En séjour en Belgique, « Bony », comme l’appellent ses amis et proches, y a été surpris par les mesures de « confinement ». Dimanche 12 avril, l’homme a créé l’événement à travers un enregistrement vidéo dans lequel il accuse des parlementaires congolais d’ourdir un « complot » contre Fatshi. Il explique le sens de sa démarche.
Quelle est la signification de ce « coup de gueule »?
C’est effectivement un « coup de gueule ». Vous vous souviendrez que pendant la Deuxième Guerre mondiale, tout le monde était citoyen et devait se sentir concerné par la défense de son pays. Chacun devait mettre de côté son statut. C’est ainsi que vous trouverez le nom des gens tel qu’Abbé Pierre parmi les Résistants. L’homme avait oublié son statut de prêtre séculier. Dans le cas qui nous occupe, nous faisons face à deux guerres extrêmement meurtrières. D’abord, la pandémie du Covid-19 qui a cloué des millions et des millions des gens dans les maisons en entraînant la mort de plusieurs milliers d’autres. Ensuite, la lutte contre l’impunité dans notre pays contre le vol, le pillage de nos ressources par des étrangers et des Congolais. Etant au courant de tous ces méfaits, je ne peux en aucun cas me taire au nom de je ne sais quelle idéologie. Je risque de me faire complice non seulement maintenant mais aussi dans le futur. Voilà la signification de ma démarche.
Vous avez fait partie de l’équipe des enquêteurs de l’ancien conseiller spécial de « Joseph Kabila » en matière de bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, le blanchiment et le financement du terrorisme Luzolo Bambi Lessa. A vous entendre parler, vous semblez exprimer une certaine « frustration ». Regrettez-vous de n’avoir pas pu accomplir votre mission?
Exactement! D’ailleurs dans la vidéo que j’ai diffusée, je dis bien que c’est une « guerre » que je connais, que j’ai livré et perdu. Je suis parmi ceux qui n’ont jamais renié leurs échecs. On a échoué par manque de deux soutiens: un soutien politique et un soutien populaire.
De qui devait venir le « soutien politique »?
Le soutien politique devait venir des « institutions politiques ».
Plus concrètement, voulez-vous dire le chef de l’Etat?
Bien entendu! On n’a jamais été soutenu par qui que ce soit. Pire, on a été découragé par des instructions contraires transmises au Parquet. Le même Parquet – qui « brille » aujourd’hui avec les mêmes dossiers que nous avons transmis -, démontre à suffisance que les magistrats n’ont pas pu donner le meilleur d’eux-mêmes non pas par incompétence ou corruptibilité mais simplement parce qu’ils étaient « bloqués » par leur hiérarchie. Que voit-on? Une fois cette chape de plomb ôtée, les mêmes magistrats « retrouvent » une compétence totale. Il m’est arrivé d’entrer en conflit ouvert avec ces magistrats dont certains sont originaires de la même contrée que moi. On ne se disait plus bonjour. Et ce parce que j’étais en désaccord avec les décisions qu’ils prenaient sur la base des dossiers judiciaires dont les preuves étaient accablantes. Aujourd’hui les magistrats sont en train d’accomplir un travail impeccable. Rien d’étonnant. L’histoire de l’humanité foisonne des exemples qui démontrent que l’homme change selon les temps, les circonstances et l’environnement. C’est ainsi que les criminologues se gardent de classifier les gens en « bons » et « mauvais ». Tout dépend des circonstances.
Selon vous, il y aurait un « complot » ourdi par des parlementaires contre le président Felix Tshisekedi…
Je l’ai dit à Kinshasa: quatre-vingt pour cent des personnes sur lesquelles les autorités judiciaires détiendraient des « dossiers » sont devenues soit député soit sénateur. D’autres ont fait leur entrée dans le gouvernement. Une parade pour se couvrir d’immunité. Dans l’interview qu’il avait accordée à TV5 Monde, l’actuel chef de l’Etat disait qu’il ne va pas « fouiner dans le passé ».
Avait-il raison de tenir ces propos?
Il importe de préciser que le Président de la République ne parlait pas du « passé politique » et non du « passé judiciaire ». Le chef de l’Etat sait parfaitement que le « passé judiciaire » qu’on ne peut pas fouiner s’appelle: prescription. L’infraction s’efface d’elle-même. Il sait également que toutes les enquêtes ne se mènent que sur le passé et non sur le futur. En clair, le Président voulait dire qu’il n’entend pas fouiner le « passé politique » dans un souci de réconciliation nationale.
Quel est l’élément déclencheur de votre « coup de gueule »? Serait-ce l’interview du président du sénat sur la radio Top Congo?
Il n’y a pas que ça. Depuis trois jours, je suis des « tractations » qui ont lieu dans tous les sens. Je connais le modus operandi de « délinquants d’Etat » de notre pays. Leur modus opérandi consiste à s’attaquer à ceux qui gênent leurs combines. Comment peut-on lancer une polémique sur une décision du chef de l’Etat pendant que la pandémie de Coronavirus continue à menacer des vies à travers le monde? A-t-on mesuré le risque de contamination encouru en rassemblant plus de 600 personnes dans l’hémicycle du Palais du peuple? Les initiateurs de cette réunion préparent-ils un « suicide collectif » ou un « coup »? Or je sais qu’ils ne sont pas suicidaires. Je suis un policier de formation et de profession. Je connais le jeu et les enjeux. J’ai côtoyé le monde politique congolais depuis 1997 lors de l’arrivée au pouvoir de Mzee LD Kabila jusqu’à ce jour. Je sais comment raisonnent nos politiciens. Je détiens des « renseignements » sur le scénario arrêté. Comme à l’accoutumée, les congressistes vont commencer leurs travaux suivant l’ordre du jour connu. Au cours des débats, une « dynamique » sera créée sous la forme d’une « motion incidentielle ». Je sais comment fonctionne notre personnel politique.
Selon vous, l’objectif non-avoué de ce Congrès serait de lancer le processus de « destitution » de l’actuel Président de la République…
Absolument! Où se trouve l’urgence de la tenue d’un tel Congrès pendant que le Covid-19 continue ses ravages? J’ai appris que le virus Ebola vient de réapparaître au Nord-Kivu. Pendant que la justice cherche à récupérer les millions de dollars volés, M. Alexis Thambwe dit que les parlementaires vont se réunir tous les 15 jours. Qui va les rémunérer? Avec quel argent? Est-il normal que les autorités demandent aux Congolais de rester confinés et de respecter la distanciation sociale pendant que d’autres se réunissent?
Quel objectif comptez-vous atteindre par cette « alerte »?
Je voudrai que le chef de l’Etat soit protégé. J’estime que l’action qu’il mène est salutaire pour notre pays. Le propriétaire du pouvoir qu’est le peuple congolais doit mettre un terme à l' »aventure » que préparent les parlementaires.
En faisant quoi…
Le peuple congolais doit empêcher ce genre de démarche par toutes voies de droit. Je dis bien: toutes voies de droit. Il ne s’agit pas de déclencher une guerre. Il s’agit de faire en sorte que ce Congrès n’ait pas lieu. Un point. Un trait.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous suspecter de faire des « appels du pied » au président Felix Tshisekedi?
Je ne suis pas un demandeur d’emploi. Je n’ai pas entonné le « Djalelo » sous Joseph Kabila. Je ne vois pas l’intérêt de le faire maintenant…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi