Plusieurs blessés, trente-deux morts dont un policier. et plusieurs arrestations. C’est le bilan d’une situation digne d’une « république bananière » qui a eu lieu le samedi 28 mars. Des miliciens Bakata Katanga de l’ex-seigneur de guerre Kyungu Mutanga, alias « Gédéon », ont mené des incursions simultanément dans les villes de Lubumbashi, de Likasi et la cité de Kasumbalesa. Prise au dépourvu, la force publique (l’armée, la police et les services) a fait preuve d’une impitoyable cruauté. Dans cette confusion, « Gédéon » a pu être exfiltré. Par qui? Au moment où ces lignes sont écrites, l’homme reste introuvable. Les « protecteurs » de ce repris de justice sont pourtant bien connus. Ceux-ci profitent de la frilosité qui règne au sommet de l’Etat pour tester la réactivité du locataire de la Cité de l’UA.
Le gouverneur de la province du Haut-Katanga, Jacques Kyabula Katwe – qui est également président provincial du parti kabiliste, le PPRD -, a présidé samedi 28 mars une « réunion spéciale » de ce machin pompeusement appelé « conseil provincial de sécurité ». Un seul objet était à l’ordre du jour: les incursions menées par des « éléments armés » dits « Bakata Katanga ». Vous avez bien entendu. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) en mai 1997, l’Etat congolais a perdu le monopole de la contrainte physique à l’intérieur de son territoire. Des bandes armées lui disputent impunément ce « privilège ».
A l’issue de cette réunion du conseil provincial de sécurité où la nonchalance le disputait à l’irresponsabilité, les participants ont constaté que « le calme règne sur toute l’étendue » de la province du Haut-Katanga. Et ce après plusieurs attaques menées de manière coordonnée au chef-lieu de la province, à Likasi et à Kasumbalesa, à la frontière zambienne. Peut-on parler de « calme » là où il y a mort d’homme?
Devrait-on parler de connivence entre certaines autorités provinciales et l’ex-chef milicien « Gédéon »? Comment peut-on afficher une telle ataraxie alors que les institutions provinciales ont failli à leurs missions? D’abord l’ANR (Agence nationale de renseignements). L’Agence n’a pas accompli sa mission laquelle se résume en un mot: « surveillance ». La Sûreté a pour mission d’anticiper en surveillant toute personne morale ou physique qui pourrait constituer une menace interne ou externe. Ensuite, l’armée et la police. Celles-ci ont également failli. Elles ont été prises au dépourvu. Des témoins soutiennent que la force publique a tiré sans sommation sur les « hommes armés » de Bakata Katanga. Un bain de sang: 32 morts.
Face à un tel bilan pour le moins tragique – dans un Etat dont la Constitution proclame le caractère « sacré » de la personne humaine -, on ne peut s’empêcher de s’étonner d’entendre les participants à la rencontre précitée saluer la « prompte intervention des forces de l’ordre ». Bilan officiel: une dizaine de morts, plusieurs blessés et des arrestations. Le maire de Lubumbashi, Ghislain Lubaba Buluma s’est, pour sa part, félicité de la « bravoure » de la force publique pour avoir réussi à mettre les « assaillants » « hors d’état de nuire ». A vaincre sans péril…
EXÉCUTIONS SOMMAIRES
Sur les réseaux sociaux, des voix commencent à s’élever pour fustiger des « exécutions sommaires » qui auraient pu être évitées. « Bakata Katanga ou pas, ce sont des Congolais qui ont été tués », entend-on dire. « La force qui a été utilisée contre les Bakata Katanga hier[samedi 28 mars] était disproportionnée. Il faut une enquête », écrit le défenseur des droits humains Jean-Claude Katende sur son compte Twitter.
Une question reste sans réponse. Comment peut-on expliquer que les « ploucs » inféodés à « Gédéon » aient pu mener trois attaques simultanées dans trois endroits éloignés les uns des autres de plusieurs dizaines de kilomètres?
Certains observateurs n’hésitent pas à pointer des doigts accusateurs en direction de « Joseph Kabila » et son « clan » sans disculper le gouverneur Kyabula. « Récemment, des militants de l’UDPS ont manifesté à Lubumbashi en dénonçant l’insécurité qui y règne », raconte un Lushois. Un autre d’enchaîner: « En guise de réponse, il y a eu une manifestation contre les originaires du Kasaï. Les autorités provinciales sont restées muettes. Jacques Kyabula, en tête ».
D’aucuns assurent que la sérénité affichée par le gouverneur Kyabula découlerait au fait que « Gédéon » serait « instrumentalisé » par des « kabilistes purs et durs ». L’objectif serait, semble-t-il, de « savonner la planche » au président Felix Tshisekedi. D’autres sources juraient dimanche soir que c’est le « général » John Numbi Banza qui aurait exfiltré « Gédéon » et son porte-parole Thierry Mokelekele.
TÂTONNEMENTS
A Kinshasa, c’est le silence plat au niveau du gouvernement. Un gouvernement qui s’illustre ce dernier temps par des « tâtonnements communicationnels » de nature à donner raison à ceux qui soutiennent que « le pays n’est ni gouverné ni administré ».
Qui est « Gédéon »? Voilà un individu que l’on ne présente plus. L’homme a fait partie des « jeunes » recrutés en août 1998, par le président Laurent-Désiré Kabila pour constituer une milice appelée la « Force d’Auto-défense populaire » (FAP). Mission: barrer la route aux troupes rwandaises du RCD-Goma qui menaçaient Lubumbashi.
En juillet 1999, l’accord de paix de Lusaka est signé entre le Mzee et ses opposants armés. Les recrues des FAP auxquels on venait de distribuer des armes, furent abandonnés à leur sort. C’est à partir de ce moment que « Gédéon » qui avait eu à côtoyer John Numbi, le « pasteur » Daniel Mulunda Ngoy et « Joseph Kabila » commença à travailler pour son « propre compte » sur l’axe Malemba Nkulu-Pweto-Mitwaba, au Nord Katanga.
En 2009, Gédéon s’est rendu aux forces onusiennes. Il sera condamné à mort pour crimes contre l’humanité et terrorisme. Embastillé à la prison de « haute sécurité » de la Kasapa à Lubumbashi où sa peine fut commuée en détention à perpétuité. L’homme va s’évader en plein jour avec une centaine de ses partisans. C’était le 7 novembre 2011 soit 21 jours avant l’élection présidentielle. Les complicités au plus niveau de la province et de l’Etat paraissent évidentes.
UN REPRIS DE JUSTICE CÉLÉBRÉ
Dans un rapport adressé à la présidence du Conseil de sécurité en décembre 2013, des experts onusiens ont accusé John Numbi, ex-chef de la police et Jean-Claude Masangu, alors gouverneur de la Banque Centrale du Congo, d’être les pourvoyeurs des miliciens Bakata Katanga respectivement en armes et argent. Et que ceux-ci étaient placés sous le commandement de Kyungu Mutanga en cavale.
Le 12 octobre 2016, « Gédéon » fait sa « reddition » aux autorités à Lubumbashi. Patron de l’ANR à l’époque, Kalev Mutond jouait, sans doute, le rôle de « maître de cérémonie ». Par procuration. L’ex-chef milicien portait un pull orné d’un portrait de « Joseph Kabila ». Le repris de justice fut célébré par les plus hauts dirigeants du pays. Une villa sera mise à sa disposition dans le très huppé Quartier Golf.
Samedi 28 mars, « Gédéon » était introuvable dans sa résidence. Quelqu’un l’a exfiltré. Qui? Osons le dire. Et si c’était John Numbi Banza sur ordre de « Joseph Kabila »?
Quinze mois après l’investiture de « Fatshi » à la tête du pays, tous les grands corps de l’Etat sont régentés par des « hommes du raïs ». A quelques rares exceptions près. Le nouveau chef de l’Etat est comme « emprisonné ».
Après les affrontements entre les Fardc et l’armée zambienne dans la province du Tanganyika et l’incursion de Bakata Katanga, il y a, plus que jamais, quelque « chose de pourrie » dans ce « Grand Katanga » que la fratrie « Kabila » considère, comme sa « chose ». Le président Felix Tshisekedi serait mal inspiré de « banaliser » ces signaux d’alarme…
Baudouin Amba Wetshi