Cinq jours déjà, depuis que le président Felix Tshisekedi Tshilombo a prononcé son « oracle » du 18 mars annonçant des mesures restrictives des droits et libertés en vue, disait-il, de « limiter la propagation de Coronavirus et protéger la santé de tous ». Le bilan provisoire au dimanche 22 mars est passé de 14 à une trentaine de sujets « testés positifs » et deux décès à Kinshasa. L’annonce a été faite par le ministre de la Santé, Eteni Longondo (photo).
Selon une dépêche de l’ACP, les Kinois suivent tant bien que mal le « mot d’ordre » du premier magistrat du pays. Dans certains quartiers de la commune de Bandalungwa, des habitants continueraient à vivre dans la promiscuité comme si de rien n’était.
D’aucuns n’ont pas manqué de s’esclaffer en entendant le chef de l’Etat déclarer, mercredi dernier, qu’il venait d’instruire le gouvernement du « Premier » Sylvestre Ilunga Ilunkamba d’examiner « sans délai, les voies et moyens » d’augmenter « la capacité d’accueil dans nos hôpitaux(…)« . D’après lui, l’exécutif national « a engagé le personnel de nos hôpitaux, médecins et infirmier ainsi que l’ensemble des agents du service public de la santé à répondre présents et à se consacrer avec dévouement et efficacité face à l’ampleur de cette pandémie ».
Fatshi risque d’être désagréablement surpris de constater que le personnel soignant et les agents du service public de la santé dont il parle avec tant de certitudes ne viendront pas d’une autre planète. Ils font partie de la société zaïro-congolaise. Il s’agit des hommes et des femmes précarisés, écrasés par la pauvreté. Des hommes et des femmes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’électricité. Des hommes et des femmes incapables d’assurer la scolarité de leurs enfants. Encore moins de procurer à ceux-ci une nourriture suffisante et des soins de santé de qualité.
A force de se trémousser sur le rythme endiablé de la chanson « Indépendance Tcha-Tcha » de Joseph Kabasele et l’orchestre African Jazz, les Congolais ont oublié l’essentiel. A savoir, l’édification d’un Etat respecté et respectable capable de nourrir, de soigner et d’éduquer ses enfants.
L’essentiel, c’est aussi la promotion des secteurs vitaux qui servent de socle au développement humain: la santé, l’éducation, l’agriculture, l’élevage, la recherche scientifique, les infrastructures (ponts, routes, rails, ports, aéroports, fleuves), la protection sociale.
Depuis le 30 juin 1960, date de la proclamation de l’indépendance du Congo à ce jour, les dirigeants zaïro-congolais n’ont jamais éprouvé le moindre gêne de voir des organisations non gouvernementales (ONG), financées par des gouvernements étrangers, se préoccuper du « développement humain » non seulement à Kinshasa mais aussi dans les campagnes.
De 1960 à 1988, l’ancienne puissance coloniale, en l’occurrence la Belgique, finançait des projets socio-économiques pendant que les dirigeants autoproclamés nationalistes étaient occupés à s’en mettre plein les poches au nom de prétendus « dépenses de souveraineté ». Chaque année, le gouvernement belge affectait un montant de plus ou moins 125 millions € (5 milliards de Francs belges) pour combler les lacunes du « jeune Etat » défaillant.
Le maréchal Mobutu était offusqué chaque fois que les dirigeants belges s’arrogeaient un droit de regard sur la gestion des affaires publiques de son pays. « Qui leur a donné mandat? », s’interrogeait-il feignant d’oublier que l’ingérence est la fille de la dépendance.
Qu’avons-nous fait de tous les hôpitaux d’Etat, des hôpitaux subventionnés et autres dispensaires qui existaient dans nos villes et campagnes jusqu’au début des années 80? Pourquoi avons-nous abandonné les travaux des champs et l’élevage pour nous contenter du « statut » de consommateurs des produits provenant du labeur des autres peuples? Pourquoi souffrons-nous d’une pénurie innommable en eau et électricité? Pourquoi l’hygiène est déficiente dans nos villes et campagnes? Pourquoi la décentralisation des compétences et des moyens peine à se matérialiser pour permettre aux pouvoirs locaux d’être efficaces?
Dans son message à la nation, le Président de la République a annoncé, à juste titre d’ailleurs, la fermeture, « jusqu’à nouvel ordre » des petites entreprises que sont les discothèques, les bars, les cafés et autres terrasses et restaurants. Question: quelles sont les mesures d’accompagnement prises pour « indemniser » les pères et mères de famille mis au chômage?
Le Coronavirus ou Covid-19 est une pandémie qui nous interpelle. L’heure est venue d’en tirer quelques leçons. Première leçon: réduire les dépenses publiques et le train de vie de l’Etat. Deuxième leçon: concevoir une véritable politique de santé publique et d’hygiène. Troisième leçon: réhabiliter les secteurs vitaux. La santé, l’éducation, l’eau et l’électricité, l’agriculture et la recherche scientifique viennent en tête. Quatrième leçon: promouvoir la solidarité nationale par une « protection sociale » effective en cas de maladie, invalidité ou chômage.
Mieux gouverné, le Congo-Kinshasa est en mesure de relever tous ces défis.
Baudouin Amba Wetshi