L’occupation du Congo-Kinshasa par le Rwanda est une perception ou réalité aujourd’hui intériorisée par des millions de Congolais et assumée sans le moindre état d’âme par de hauts commis d’Etat rwandais. Dans cet article, je ne vais pas revenir sur la définition de l’occupation en droit international. Cependant, il convient de souligner, comme l’écrit Sylvain Vite dans son article « L’applicabilité du droit international de l’occupation militaire aux activités des organisations internationales », que « l’essentiel du régime juridique de l’occupation militaire figure dans le Règlement annexé à la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, la IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le Protocole additionnel I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux ». Par ailleurs, même en droit international, on peut lire dans l’encyclopédie libre Wikipédia que « l’occupation militaire recouvre en même temps différentes éventualités, et il n’est pas toujours aisé de savoir si telle ou telle situation tombe sous le coup de cette définition juridique ». Dans cet article, je vais reproduire l’échange que j’ai eu récemment avec un lieutenant congolais sur le sujet concerné.
La période du 12 au 20 février 2020 m’a trouvé en congé dans une bourgade du Nord du pays, en ma qualité de bourlingueur. Les infrastructures hôtelières faisant défaut, j’étais descendu dans un centre d’hébergement d’une congrégation religieuse. Je pouvais y prendre le petit déjeuner seul à la table de la communauté libérée par les ayants droit. Mais pour les autres repas, je devais me débrouiller. En prenant connaissance de mon nom de famille, la sœur intendante avait cherché à connaitre mes origines en déclarant que « Mayoyo » était un nom soit de Bandundu, soit du Kasaï. Après avoir su que j’étais un Mumbala du territoire de Bulungu dans la province du Kwilu, elle s’était présentée à son tour comme une Mumbunda du territoire d’Idiofa et m’avait recommandé aussitôt pour mes autres repas, cette fois-ci en Kikongo, une enseignante Muyansi du territoire de Bulungu, ancienne aspirante au sein de la même congrégation.
L’enseignante était honorée à l’idée de pouvoir préparer mes repas. Sa cuisine était excellente. J’avais même droit aux plats de mon Kwilu natal dont le « mukiongi », les « ndjindji » et les « mikungu » que « les gens d’ici ne consomment pas », m’avait-elle confié. En plus de ses qualités culinaires, l’enseignante avait invité quelques personnalités de son groupe de « Bana Membres », composé des ressortissants de l’ex-province de Bandundu, de la province du Kongo Central et de la république du Congo-Brazzaville. C’est ainsi que j’avais eu la chance de rencontrer un lieutenant originaire du Kongo Central. Au cours de notre conversation, j’avais introduit le thème de l’occupation du pays par le Rwanda. J’avais ainsi appris que l’existence des « Rwandais » était bien connue de tous au sein des FARDC; que ceux-ci avaient pris des noms typiques des ethnies congolaises; qu’ils s’étaient mariés à des Congolaises de souche quand ils ne vivaient pas en concubinage avec elles, tout en faisant des gosses; et que certains de leurs enfants avaient déjà atteint le niveau des études universitaires.
Le lieutenant m’avait cité deux exemples dans son propre régiment, en commençant par leur commandant qui aurait pris un nom caractéristique de l’ethnie luba. Au cours d’une dispute au mois de janvier 2020, un autre gradé du régiment aurait traité publiquement ce dernier de « Rwandais », avant d’ajouter que tôt ou tard, leur compte serait réglé. Par la suite, l’officier « impoli » aurait été convoqué à Kinshasa. Mais la hiérarchie militaire provinciale traînerait les pieds à exécuter l’oukase de Kinshasa, craignant que l’outrecuidance de l’officier congolais authentique ne débouche sur un malheur. Le deuxième cas était celui d’un officier « rwandais » qui aurait pris un nom puisé dans le patrimoine culturel des Bakongo. Un jour, sa concubine congolaise de souche lui aurait posé la question suivante en chambre: « Qui es-tu au juste? Tu me dis que tu es Mukongo. Mais dehors, les gens me disent que tu es un ‘Rwandais' ». Le « Rwandais » aurait alors menacé sa dulcinée d’un revolver, lui interdisant de ne jamais l’embêter avec « une question aussi idiote ». Le lendemain, la femme aurait pris ses cliques et ses claques sur les conseils pressants de sa famille pour s’exiler volontairement dans le pays voisin. Quelques mois plus tard, le « Rwandais » aurait été muté dans la province du Kongo Central.
En suivant le lieutenant, je ne pouvais m’empêcher de penser aux écrits de l’ancien Conseiller spécial et Monsieur sécurité du président Mobutu Sese Seko, Honoré Ngbanda Nzambo Ko Atumba, qui décrivent minutieusement comment le tandem Kagame-Kabila a réussi à rouler toute une nation dans la farine, en plein XXIème siècle, au point qu’aujourd’hui, le général Jean Bosco Kazura, petit frère de Paul Kagame et actuel chef d’Etat major de l’armée rwandaise, considère les FARDC comme une « seconde armée de l’armée rwandaise ». Dans la médiocrité ambiante de la crasse politique congolaise, il convient donc de rendre un vibrant hommage à ce fils du pays, jadis bourreau parmi les bourreaux et aujourd’hui lanceur d’alerte ou éveilleur des consciences.
L’infiltration des Rwandais dans les institutions congolaises, surtout celles de sécurité et de défense, est une réalité palpable. Comment en sortir? Telle était ma question au lieutenant avant qu’il ne soit rejoint par un de ses compagnons d’armes que l’enseignante ne connaissait pas. Aussi celle-ci m’avait-elle prévenu dans un réflexe maternel ou fraternel: « Kutuba makambu yayi ve na meso n’andi. Mono zaba yandi ve ». Traduisez: « Ne poursuis pas cette conversation en sa présence. Je ne le connais pas ». Mais le lieutenant était déjà lancé dans sa réponse: « Tosala nini? Tomesana na bango. Et puis, président alobi te bazali ba ndeko na biso ». Traduisez: « Que faire? Nous sommes déjà habitués à eux. Et puis, le président de la république a déjà tranché: ce sont nos compatriotes ».
Réagissant aux propos du jeune lieutenant, je soulignais d’abord son erreur de jugement. S’il était vrai que les Congolais s’étaient habitués à ces « Rwandais », en était-il de même de ces derniers? Avaient-ils oublié pourquoi ils étaient dans l’armée congolaise plutôt que dans celle de leur pays? Avaient-ils oublié pourquoi ils avaient renié leurs identités pour prendre celles des Congolais authentiques afin de mieux de fondre dans la masse? Le lieutenant s’était incliné face à la pertinence de ce questionnement. Mais il avait mis en lumière la difficulté de combattre les « Rwandais » de l’intérieur de l’armée. Occupant des postes stratégiques, avait-il expliqué, ils avaient la facilité de faire et de défaire les carrières. Confrontés à cette triste réalité, les officiers congolais dont les formations et les avancements en grade reposeraient entre les mains des « Rwandais » ne pouvaient que courber l’échine.
Ensuite, j’expliquais au lieutenant et à son ami l’amalgame fait par le président Félix Tshisekedi lors de sa rencontre avec la diaspora congolaise de Londres le 19 janvier 2020, en parlant des Banyamulenge. Certes, ceux-ci sont des Congolais authentiques. Publié en 1959 par Duculot à Bruxelles, c’est-à-dire in tempore non suspecto, le livre de G. Weis, « Le pays d’Uvira. Etude de géographie régionale sur la bordure occidentale du lac Tanganika », situe leur entrée dans l’actuel espace Congo-Kinshasa peu avant 1885 quand « quelques familles de pasteurs Tutsi, fuyant le Ruanda traversèrent la Ruzizi, pénétrèrent au Congo Belge et se fixèrent en premier lieu à Lemera dans la chefferie des Fulero au Sud-Kivu. Les descendants de ces émigrés gagnèrent la chefferie des Vira et y fondèrent les villages de Galye, Munanira, Kishombwe et Kalonge-Kataka, au-dessus des derniers villages Vira. L’immigration ne donna pas lieu à des réactions hostiles de la part des Vira parce qu’elle se localisa en dehors des terres occupées par ceux-ci ». Ils se baptiseront Banyamulenge quand sous le régime Mobutu, ils s’allieront aux FAZ pour combattre la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, soutenu par des Tutsi rwandais. Mobutu ira même jusqu’à déplacer certains Banyamulenge au Nord de la province du Shaba où ils seront appelés Banyavira.
L’amalgame du président Tshisekedi vient du fait que depuis la guerre de l’AFDL, le terme « Banyamulenge » est devenu un fourre-tout dans lequel on retrouve tous les Tutsi vivant au Congo-Kinshasa. Telle est la dynamique propre au phénomène identitaire. Quand j’exerçais mes fonctions de « Bula Matadi sans frontières » en République Centrafricaine, par exemple, j’avais été surpris d’apprendre que dans ce pays-là, le terme « Banyamulenge » désignait les rebelles de Jean-Pierre Bemba qui avaient volé au secours du président Ange-Félix Patassé confronté à la rébellion de François Bozize, construisant ainsi le chemin de leur leader vers la Cour pénale internationale à La Haye. Mais dans le contexte congolais, une telle dynamique est dangereuse. D’où la nécessité de séparer le bon grain de l’ivraie. La question à laquelle le Congo-Kinshasa est confronté est donc là: comment faire la différence, de manière responsable et respectable, entre d’une part les Hutu et surtout Tutsi rwandais déversés dans les institutions congolaises par la perfidie de Joseph Kabila, surtout dans l’armée, la police et les services de renseignement, et d’autre part, les Hutu et Tutsi congolais?
Tout peut arriver dans un Etat déstructuré, en déliquescence, en échec, défaillant, faible ou failli. La déstructuration du Congo-Kinshasa avait commencé déjà sous le régime Mobutu. Prédateur et archétype de roi fainéant qui n’a construit aucune route reliant le Nord au Sud et l’Est à l’Ouest, Mobutu avait placé la stabilité de son pays sur ses mortelles épaules humaines en lieu et place d’institutions fortes. Depuis sa chute, l’amateurisme et la médiocrité de Kabila père et surtout de Kabila fils, doublées d’une prédation et d’une trahison sans précédent de la part de ce dernier ont fini par donner le coup de grâce à l’Etat congolais. Si l’on veut remonter la pente, on doit absolument mettre en place une commission de vérification dans laquelle les églises conventionnelles et non les « binzambi-nzambi » devraient prendre le lead.
L’objectif de cette commission consisterait à passer au crible le profil ou curriculum vitae de tout animateur de l’Etat à un niveau donné ou choisi de responsabilité. Dans les forces de sécurité et de défense, on pourrait prendre comme seuil le grade de capitaine. Une fois qu’une telle commission serait mise en place et dotée des moyens conséquents à la hauteur de l’enjeu de l’infiltration ou occupation, les infiltrés seraient démasqués et subiraient la dureté de la loi. Et dans leur sillage, tous les faussaires et autres usurpateurs qui arpentent allègrement les allées du pouvoir.
Depuis son indépendance, le Congo-Kinshasa est confronté à de multiples problèmes de gouvernance. Ceux-ci requièrent certes de la volonté politique qui elle-même dépend de la conception et de la mise en place d’un système politique propice à l’émergence d’un tel desideratum. Mais ils appellent aussi et surtout des solutions concrètes, loin des lamentations, gesticulations et incantations si courantes à l’intérieur et à l’extérieur des structures de l’Etat congolais.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo