Enfin, un intellectuel défenseur des ‘combattants’

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

En réfléchissant sur le combat des ‘combattants’, j’ai aligné des arguments pour mieux le condamner. J’ai été content de lire la réaction de Muana ya mokolo lopango qui a fait de même pour être « globalement en désaccord avec[moi]« , selon ses propres termes, allant jusqu’à déclarer que « nous partons sur des positions tellement diamétralement opposées que la moindre convergence [lui] semble hors de portée ». Quels sont ses arguments?

Le défenseur des ‘combattants’ note que je parle d’eux « comme si c’était un groupe de gens et un sujet qui ne nous concernent pas directement ». Il se pose alors une question à laquelle il répond lui-même. Qui sont les ‘combattants’? Ce sont nos compatriotes. Quel est l’intérêt d’une telle question? Faut-il en déduire que quand un compatriote pose un acte répréhensible, il ne faut pas le blâmer? Si tel est le fond de la pensée de Muana ya mokolo lopango, peut-il expliquer pourquoi il stigmatise le comportement de nos dirigeants qui sont aussi nos compatriotes?

Alors que les ‘combattants’ se comportent comme des donneurs de leçons face aux musiciens congolais se produisant en Occident, voilà que leur intellectuel de défenseur me traite de donneur de leçons. Soyons sérieux! Parmi les ‘combattants’ donneurs de leçons d’hier, plusieurs ont rejoint Félix Tshisekedi qui fut un des leurs. Ils sont désormais lancés dans la course à l’enrichissement rapide et sans cause. Comme les Kabilistes qu’ils pourfendaient pourtant. Mieux, ils trouvent normal de se retrouver dans une coalition avec ces derniers. Où est le sérieux? Qu’est-ce qui nous garantit que ceux qui continuent ce combat aujourd’hui ne ferait pas de même une fois invités au festin du pouvoir?

Muana ya mokolo lopango dresse un tableau sombre de la situation du pays qui est connue de tous: « Une catastrophe qui dure depuis plus de 20 ans. Viols, massacres et pillages se poursuivent dans l’indifférence générale. Le Congolais est devenu une qualité ô combien négligeable. La chosification du Congolais est telle qu’on peut le massacrer et le jeter dans une fosse commune sans qu’aucune voix ne se lève. Alors que faire? ». Il enchaîne alors pour répondre à sa propre question: « La diaspora congolaise envoie tous les ans l’équivalent du budget national pendant que les autres pillent. Elle a donc un mot à dire et les combattants font partie de la diaspora. Seuls ceux qui ne font rien et regardent tout ça de loin, font des boucans ».

Je fais partie de la diaspora congolaise. Depuis que j’ai quitté Kinshasa en 1991, je n’ai jamais remis les pieds dans cette ville-poubelle. Avec mes émoluments de « Bula Matadi sans frontières » et connaissant la réalité salariale en Occident, je peux affirmer, sans crainte d’être contredit, que je figure parmi les membres de la diaspora qui transfèrent le plus d’argent au pays. Une fois, la Poste de la ville dans laquelle j’habite en Europe a alerté la Police sur les transferts qu’effectuaient mon épouse ou ma fille en direction de Kinshasa après que je leur ai fait des virements par PC Banking. Puisque mon épouse travaillait alors au Bureau de Police et que son salaire avait été fixé en fonction du mien, la Police avait rassuré la Poste qui était alors liée par un contrat avec Western Union que nos transferts étaient bien de l’argent propre. Mais des transferts pour qui? Pour des membres de la grande famille africaine restée au pays. A l’intérieur même de celui-ci, les transferts d’argent s’inscrivant dans ce cadre se font au quotidien. Par ailleurs, pris individuellement, les transferts des migrants sont une goutte d’eau par rapport aux actes des musiciens de la trempe de Werrason ou Fally Ipupa. Car, au-delà de la solidarité familiale, ceux-ci posent des gestes louables en faveur des affligés qui sont légion au pays. Et puis, quelle vision de la gouvernance étatique véhicule-t-on quand on met en exergue les transferts des migrants pour souligner leur droit à la parole dans la gestion de la chose publique dans leur pays d’origine? Etre citoyen ne suffit-il pas?

Les transferts des migrants sont une réalité qu’il convient de souligner. Je les mets également en lumière dans mon deuxième ouvrage: ‘Migration Sud/Nord: Levier ou obstacle? Les Zaïrois en Belgique’ (Bruxelles, Institut Africain-CEDAF, Paris, L’Harmattan, 1995). Mais cela donne-t-il à qui que ce soit le droit de dicter leur conduite aux musiciens ou encore de brutaliser leurs fans voulant se rendre aux concerts? Muana ya mokolo lopango répond par l’affirmatif. Il note que « le blocus existe en Occident. Ce n’est pas une invention des Congolais. Le blocus des salles de spectacle (allez demander à Dieudonné et autres artistes), des autoroutes, des dépôts de carburant, des universités, des centres commerciaux… le blocus économique des certains pays par les occidentaux (embargo). Aucun blocus ne touche directement ceux qui sont visés. AUCUN! C’est un moyen de pression pour infléchir une position, attirer l’attention, faire entendre la voix… ».

Tout cela est bien beau. Mais si l’embargo décrété par les ‘combattants’ contre les productions des musiciens congolais restés au pays est un moyen pour se faire mieux entendre, pour porter la cause du long martyr du peuple congolais à l’agenda des grands de ce monde, un tel moyen ne serait-il pas plus retentissant si l’on empêchait le concert d’une grande vedette occidentale? Pourquoi ne s’opposer qu’aux seuls concerts des musiciens congolais restés au pays? Muana ya mokolo lopango semble avoir une réponse toute faite: « La musique est devenue un instrument d’abrutissement des Congolais pendant que la maison brûle. Quoi de plus normal qu’on s’attaque au centre d’intérêt de cette masse ». Finalement, que visent les ‘combattants’? La visibilité ou la mort de la musique congolaise qu’ils consomment quotidiennement dans leurs voitures et maisons ainsi qu’au cours de leurs fêtes? Si la musique congolaise doit mourir parce qu’elle abrutit les Congolais, pourquoi les ‘combattants’ tolèrent-ils la même musique faite par les Congolais de la diaspora qui non seulement jouent leurs propres répertoires aux concerts mais également les succès des musiciens restés au pays?

A y regarder de près, il y a lieu de s’interroger sur la motivation de la préfecture de Paris, par exemple, quand elle annule les concerts des musiciens congolais restés au pays pour éviter d’éventuels débordements des ‘combattants’. Ces concerts sont donnés par des Africains pour des publics africains dans leurs écrasantes majorités. Paris agirait-elle de la même manière s’il s’agissait par exemple d’un concert de Johnny Halliday de son vivant? Ne mettrait-elle pas tous les moyens en œuvre pour barrer la route au théâtre de mauvais goût des ‘combattants’? N’y a-t-il pas une certaine dose de racisme dans ces annulations?

L’intellectuel défenseur des ‘combattants’ poursuit: « Quand la maison brûle, on attend que tous les enfants participent à éteindre le feu ». Est-ce là une image correcte de la situation d’un pays en grande difficulté ou en danger? Le pays brûle et il faut que tout le monde mette la main à la pâte pour éteindre l’incendie? D’accord! Mais j’ai des questions à poser à Muana ya mokolo lopango. Avez-vous arrêté de manger depuis que notre pays brûle tellement que vous êtes occupé à éteindre l’incendie? Avez-vous arrêté de prendre du plaisir en voyageant comme touriste, en allant au restaurant, en pratiquant votre sport favori ou encore en faisant l’amour avec votre épouse ou vos concubines depuis que le pays brûle, tellement que vous êtes occupé à éteindre l’incendie? Avez-vous arrêté d’aller en boite, au cinéma ou d’organiser des fêtes ou d’y participer depuis que le pays brûle, tellement que vous êtes occupé à éteindre l’incendie? Avez-vous arrêté d’exercer votre profession et de gagner de l’argent depuis que le pays brûle, tellement que vous êtes occupé à éteindre l’incendie? Comme les ‘combattants’, vous devez montrer l’exemple en arrêtant toute autre activité humaine. Dans le cas contraire, vous n’avez pas le droit d’imposer aux musiciens congolais de saborder leur profession sous prétexte que le pays est en danger. Il n’existe pas un seul peuple au monde qui se lèverait comme un seul homme et cesserait toute activité pour ne se consacrer qu’à la défense de la patrie en danger.

L’intellectuel défenseur des ‘combattants’ déclare qu’il fait partie d’un « groupe de 7 personnes » qui, « depuis 2008, dépose des mémos (CPI, multinationales, UE, parlement français, UK et USA) sur différents sujets […]«  et « rencontre des parlementaires… et d’autres Congolais font de même voire plus. À chaque fois, on [leur] dit ‘mobiliser les vôtres, alerter l’opinion publique…' ». Il s’agit là des initiatives louables pour son pays. Mais quand on passe au crible les arguments qu’il avance dans son plaidoyer pour le combat des ‘combattants’, il y a lieu de se demander si dans son groupe, ils ne rencontrent pas leurs interlocuteurs occidentaux avec des arguments de même nature, c’est-à-dire faciles à battre en brèche. Par ailleurs, en quoi l’embargo contre les productions des musiciens congolais résidant au pays mobilise-t-il les Congolais? Lors du dernier concert de Fally Ipupa à Paris, la preuve n’avait-elle pas été faite que les mélomanes congolais étaient de loin plus nombreux que les ‘combattants’?

Enfin, fier de ses activités en faveur du pays qui tardent pourtant à donner des résultats sur le terrain, Muana ya mokolo lopango me tance en ces termes: « Vous-même, avez-vous créé ou participez-vous à un groupe d’intellos pour réfléchir sur les actions à mener pour le Congo? Si vous avez des bonnes idées, appelez vos frères combattants de Belgique et faites des propositions ». D’abord, il convient de noter que quel que soit le danger menaçant un Etat; quel que soit le drame que vit un peuple, jamais celui-ci ne se lèvera comme un seul homme pour combattre le danger. Cela est tout simplement impossible. Au début de la Deuxième guerre mondiale, la population française, par exemple, était évaluée à 38.640.000. Le nombre des résistants à la fin de la guerre en 1945 variait entre 300.000 à 500.000, soit tout au plus 1,29% de la population totale. Par ailleurs, si jamais à la sortie du drame actuel, le Congo-Kinshasa devrait mettre en place une commission, comme jadis la France, pour reconnaître ses résistants, les ‘combattants’ et leur intellectuel de défenseur sont-ils certains d’en faire partie?

Le combat pour l’émancipation d’une nation revêt plusieurs volets. Mais pour un Etat qui souffre d’une mauvaise gouvernance endémique, ce combat doit avant tout se jouer sur le plan intellectuel. Pour preuve, hier, le ‘Guide-éclairé’ Mobutu Sese Seko a été chassé du pouvoir. Le ‘Libérateur’ Laurent-Désiré Kabila a pris sa place pour aussitôt se révéler, lui aussi, comme un dictateur. Laurent-Désiré Kabila est mort dans des circonstances qui restent encore à élucider. Un homme se présentant comme son fils a pris le pouvoir. Avec lui aux commandes, la nation entière est allée à trois reprises aux élections dans le cadre d’un système politique dit démocratique. Mais le successeur de Laurent-Désiré Kabila s’est également illustré comme un dictateur. Tout changement au sommet de l’Etat congolais n’est donc qu’un éternel recommencement. Cela démontre, si besoin en était, qu’au niveau national, les intelligences doivent se mobiliser pour explorer les voies et moyens de sortir de l’impasse. Telle est la nature du combat que je mène au niveau individuel.

Depuis le 24 avril 1990, date du lancement officiel du deuxième processus de démocratisation de mon pays, je crie de ma voix isolée que la voie choisie par ma nation qui m’est chère, celle de la démocratie des singes, c’est-à-dire une démocratie mise en place par des êtres humains qui s’imaginent qu’ils sont sur terre pour imiter servilement le génie créateur occidental en matière de gouvernance démocratique, cette voie disais-je, mène à tout sauf à la démocratie. Certes, j’aurais préféré m’être trompé dans mes réflexions anticipatives qui ont fait l’objet d’une publication: ‘L’Ajustement politique africain. Pour une démocratie endogène au Congo-Kinshasa’ (Paris, L’Harmattan, Montréal, L’Harmattan Inc., 1999). Mais chaque jour qui passe me donne raison. Car, on a beau chercher la démocratie au Congo-Kinshasa depuis 2006, année des premières élections dites démocratiques, on ne trouve que la dictature et la misère du peuple. Et le combat des ‘combattants’ ne peut rien changer à cet état des choses. Pour preuve, l’actuel président du pays est un ancien ‘combattants’.

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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