« Chez un homme politique, la pensée, la parole et l’action doivent être conçues comme un tout. S’il y a rupture entre pensée, parole et action, la personnalité de l’homme politique se trouve écartelée et le citoyen lui retire sa confiance ». L’homme qui a tenu ces propos s’appelle Olof Palme. Il s’agit du regretté Premier ministre suédois. Un social-démocrate.
Depuis quelques mois, le monde politique congolais semble marcher sur la tête. Il n’y a plus de « cloisonnement » entre les gouvernants et les opposants. On ne sait plus qui est qui? Des opposants au régime de « Monsieur Kabila » ne s’embarrassent plus à « prendre la main tendue » du pouvoir. Lassitude? Vénalité?
Intrigant, « Joseph Kabila » qui ne fait plus mystère de son ambition de rester à la tête du « califat » prend plaisir à débaucher ses adversaires les plus fragiles. Des hommes et des femmes qui ne résistent pas à l’attrait du rutilant 4×4 et autres privilèges attachés au pouvoir.
On a vu des acteurs politiques qui fustigeaient les excès du régime en place, devenir des thuriféraires de ce même régime le lendemain de leur entrée dans l’Exécutif.
Qui aurait pu conjecturer que Bruno Tshibala Nzenzhe allait un jour succomber au chant de sirène de la « Kabilie » en acceptant le poste de Premier ministre? L’annonce de sa nomination est intervenue le 7 avril dernier. Elle a provoqué un immense désenchantement dans les milieux des Congolais qui aspirent au changement. A l’alternance.
Tshibala n’est pas n’importe qui. Secrétaire général adjoint de l’UDPS, l’homme faisait partie de la « garde rapprochée » du président Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Il était, à ce titre, un des « dépositaires » des stratégies de cette formation politique.
Lors du conclave tenu du 8 au 10 juin 2016 à Genval, Brabant Wallon, « Bruno » fut désigné porte-parole de la nouvelle coalition politique dénommée « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement ». Et ce au grand dam du secrétaire général d’alors de l’UDPS, Bruno Mavungu Puati.
Lors des points de presse qu’il avait animés, à Bruxelles, notamment en octobre 2015 et en mai 2016, Tshibala ne ratait pas l’occasion de décocher des flèches sur le satrape congolais. Il ne trouvait pas des mots assez durs pour railler par exemple la Cour constitutionnelle « manipulée et manipulable à souhait » (sic!). Et ce pour avoir autorisé au Président sortant de rester en fonction jusqu’à l’élection du nouveau Président élu.
Tshibala qui avait qualifié d’« épitaphe » l’Arrêt pris par cette Cour, en date du 11 mai 2016, a fini par s’associer avec le « dictateur ». Celui-là même qu’il combattait dans les rangs de l’UDPS. « Si les élections ne sont pas organisées dans le délai, Kabila quitte le pouvoir et remet les clés du Palis de la nation, au plus tard le 19 décembre 2016 minuit », tonnait-il le 27 mai 2016 à Bruxelles sous les applaudissements des « Combattants ».
Le 9 octobre 2016, Tshibala est arrêté à l’aéroport de Ndjili à l’image d’un bandit de grand chemin. Humilié, il passera 50 jours dans une cellule miteuse de la prison centrale de Makala.
« Kabila » n’a pas changé. Il semble même prendre plaisir d’être qualifié de tyran pour ses méthodes brutales et cruelles. Des méthodes qui exaspèrent la grande majorité des Congolais. Les Kinois ont encore frais en mémoire ces militants de l’UDPS qui furent « canardés » sur le boulevard Lumumba par des éléments de la garde présidentielle lors de la présidentielle du 28 novembre 2011.
Kabila n’a pas changé. Tshibala, lui, a changé. Pire, il est devenu amnésique. Il a décidé de brader les principes qu’il défendait de manière farouche il y a à peine une année. Il a décidé également de brader le combat contre les antivaleurs (Etat de non-droit, corruption, gabegie, impunité, arrestations et détentions arbitraires, instrumentalisation de l’appareil judiciaire, mépris de la vie et de la dignité de la personne humaine etc.) qui constituait et constitue encore le socle de l’action de l’UDPS.
Nommé Premier ministre par l’adversaire d’hier, « Bruno » saura-t-il faire preuve de cohérence en traduisant en actes les pensées qui semblaient l’animer et les paroles réformatrices qu’il ressassait lors des réunions politiques? Saura-t-il se comporter en « réformiste » qu’il prétendait être « pour opérer un grand changement dans la conduite des affaires de l’Etat » (re-sic!) et faire triompher le bien commun? Saura-t-il enfin tenir tête au fameux « gouvernement parallèle » ainsi qu’à la « fratrie régnante »?
Pendant qu’il préparait son discours-programme, Tshibala n’a pas manqué d’apprendre que le siège de l’UDPS avait été encerclé par des « policiers » et que plusieurs cadres étaient retenus à l’intérieur. C’est le cas notamment du secrétaire général Jean-Marc Kabund a Kabund et de Félix Tshisekedi Tshilombo. L’opinion congolaise a attendu en vain, une prise de position de la part du nouveau « Premier ».
Tshibala n’a pas manqué non plus d’apprendre qu’une manifestation pacifique organisée par la Ligue des femmes de l’UDPS a été réprimée à coup de gaz lacrymogène et autres passages à tabac. Ce manque de courage n’honore guère ceux qui se réclament de l’opposition en général et le successeur du Premier ministre Samy Badibanga en particulier. Pire, c’est un très mauvais signal…
Baudouin Amba Wetshi