Depuis quelques jours, deux mots sont au centre des conversations à travers le monde: « Luanda Leaks ». Traduction littérale: les « fuites de Luanda ». C’est le résultat d’une vaste enquête menée par un consortium de journalistes occidentaux grâce aux documents « hackés » par un lanceur d’alerte portugais. La « victime » de cette opération n’est pas n’importe qui. Il s’agit d’Isabel dos Santos.
L’opprobre qui frappe « Isabel » – que la terre entière célébrait encore récemment comme « la femme la plus riche d’Afrique » – devrait inciter les « grands » du continent et leurs progénitures à une catharsis. Une catharsis devant les inciter à plus de discrétion et de simplicité. La preuve est faite, une fois de plus, que tout passe . Et ce y compris la gloire.
Adulée hier, celle que les caudataires d’ici et d’ailleurs gratifiaient du sobriquet de « princesse » est aujourd’hui abominée. Intouchable hier, elle est devenue infréquentable. Hélas, son mari Sindika Dokolo n’est guère épargné. S’il est prématuré de tirer des conclusions, il est, en revanche, temps d’y puiser quelques enseignements.
Durant trente-huit ans, José Edouardo dos Santos, le père d’Isabel, a régné, au propre comme au figuré, sur l’Etat angolais. Chef de l’Etat, il a fait et défait des carrières. Comme tout dirigeant africain, il ne refusait rien à ses enfants. José Filomeno était à la tête d’un « fonds souverain » évalué cinq milliards de $US. Du « népotisme d’Etat ». Isabel, elle, a été propulsée à la présidence du conseil d’administration de la puissante société d’exploitation pétrolière « Sonangol ». La famille dos Santos a fini par considérer l’Etat comme un « bien personnel ». Qui pourrait lui jeter la première pierre?
Trois années seulement après la « passation de pouvoir pacifique » avec son ancien ministre de la Défense, Joao Lourenço, l’ex-président angolais est contraint de vivre loin de son pays. En Espagne. Sa fille Isabel « rase » littéralement les murs à Dubaï. Elle n’ose pas remettre les pieds à Luanda où les autorités judiciaires l’attendent, sans doute, avec des menottes.
Il semble bien que ce n’est pas la première fois que des « révélations » soient faites sur l’enrichissement de la famille dos Santos. A l’époque où « Papa José Edouardo » était au pouvoir, ces « confidences » glissaient comme la goutte d’eau sur la plume de canard. Depuis le changement intervenu à la tête de l’Etat, rien ne sera plus comme avant. Mieux, le nouveau « Chef » paraît convaincu qu’il ne peut y avoir d’alternance sans rupture avec l’ordre ancien.
Ce qui se passe en Angola pourrait s’étendre demain à d’autres nations africaines où les satrapes du moment considèrent l’Etat comme un « butin familial ». Demain, on pourrait assister à des dénonciations similaires sur le Gabon et le Congo-Brazzaville. Et pourquoi sur le Cameroun, le Congo-Kinshasa et la Guinée équatoriale? Dans ces pays, les « familles régnantes » ont mis le pays en coupe réglée.
Qu’en est-il du Congo-Kinshasa? Le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » succédait à Mzee Kabila décédé dans des circonstances non élucidées à ce jour.
Selon les révélations de « Panama papers » en avril 2016, « Jaynet », la sœur du nouveau Président, s’est rendue, six mois après, dans un paradis fiscal américain pour planquer l’argent et sans doute des pierres précieuses que le défunt Président gardait dans un coffre. Elle était accompagnée d’un certain Feruzi Kalume, fils de Kazadi Nyembwe.
Après dix-huit années passées à la tête du pays, « Kabila » a littéralement « liquidé » les entreprises publiques qui étaient encore viables. Par des joint-ventures qui profitaient plus aux « partenaires », la Gécamines a été complètement désarticulée. La Miba, mêmement. Depuis quinze ans, la direction générale des douanes est dirigée par l’inamovible Déo Rugwiza Magera, un proche parmi les proches de l’ex-président.
Dans un entretien avec « Jeune Afrique » en août 2016, soit quatre mois avant la fin du second mandat de « Kabila », son frère « Zoé » déclarait sur le ton de défi que sa fratrie n’est pas prête « à céder le pouvoir à n’importe qui ». Les évêques catholiques avaient vu juste en écrivant dans un de leurs messages qu’ « une minorité de concitoyens a pris le pays en otage ».
Une année après la passation de pouvoir entre « Joseph Kabila » et son successeur Felix Tshisekedi Tshilombo, la rupture tarde à se matérialiser. L’ex-président parade avec des soldats armés jusqu’aux dents. L’ancienne majorité parlementaire s’est succédé à elle-même tant au niveau national que provincial. Les « hommes de l’autorité morale » du Fcc sont toujours aux commandes.
Et pourtant, en dix-huit ans de pouvoir, le successeur de Mzee n’a laissé aucun souvenir impérissable en termes de réalisations socio-économiques. Comment pourra-t-il réaliser aujourd’hui ce qu’il a n’a pu faire? Il faut, néanmoins, reconnaître à cet homme un « mérite ». Celui d’avoir mis le « Grand Congo » à genou. Une « mission » réussie. Sa fratrie, elle, s’est énormément enrichie.
On ne compte plus le nombre de « ranchs » que possède l’ex-président « Kabila » (Kingakati, Kundelungu, Kashamata, Kabasha, Ile de Mateba etc.). Le journaliste américain Richard Miniter l’avait crédité d’une fortune estimée à 15 milliards $ US. Cet argent mal acquis se trouverait dans des paradis fiscaux. « Zoé » a été propulsé gouverneur de la province de Tanganyika. La soeur, Jaynet, est à la tête de la commission de Défense de l’Assemblée nationale.
Les révélations des Panama papers et celles de Richard Miniter produisirent un effet assimilable à celui de la goutte d’eau sur la plume d’un canard. Il en est de même des « fuites » organisées par le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba. On pourrait dire autant de la publication d’une galaxie de sociétés dans laquelle cette « famille » détiendrait une part majoritaire.
On peut parier qu’après « Luanda leaks », les Congolais de Kinshasa rêvent d’un « Kinshasa leaks ». Depuis quelques semaines, il y a comme un frémissement. On assiste lentement mais sûrement à une « libération de la parole » au sein de l’opinion congolaise. Les « tabous » d’hier sont brisés. Les uns après les autres…
Baudouin Amba Wetshi