Le 3 novembre 2018, soit cinquante-sept jours avant l’organisation de l’élection présidentielle et des législatives, une association dénommée « Dynamique Fatshi Président » (DFP) fait sa sortie officielle dans un grand hôtel bruxellois. Une organisation de plus. Contacté par les organisateurs pour couvrir « l’événement », l’auteur de ces lignes s’y est rendu en se hâtant très lentement. Parmi les membres, il y avait notamment: Marie-Louise Efekele, Betty Tshiamala, Dadou Ethambe, Quentin Lofombo, Landry Bisedi, Mamani Bokota. En guise de « Guest Star », il y a Denise Nyakeru Tshisekedi. Initiateur de cette structure, Didier Budimbu Ntubuanga, juriste de formation, « avait du nez ». Au moment où le concept « vision » est dévoyée, d’aucuns le qualifieraient de « visionnaire ». Le 26 août 2019, le voilà promu vice-ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique dans le gouvernement dirigé par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Le quadragénaire – qui est également président d’un parti à l’acronyme énigmatique « AVC » (Autre Vision du Congo) – a une passion: la gratuité de l’enseignement. En séjour à Bruxelles, le vice-ministre a répondu à quelques questions de Congo Indépendant.
La structure « Dynamique Fatshi Président » a fait du chemin depuis sa sortie officielle le 3 novembre 2018. Est-ce le fait du hasard ou devrait-on vous qualifier de « visionnaire »?
A part la vision, nous avions la conviction que les cœurs des électeurs battront au rythme de « Fatshi Président ». Sans lui, la suite aurait été compliquée. Nous avons cru en lui à cent pour cent.
Les auditeurs de Radio France Internationale ont suivi la semaine dernière le ministre titulaire de votre département en l’occurrence Willy Bakonga a évoqué l’épineuse question de la gratuité de l’enseignement. Au cours du jeu de questions-réponses, le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique a clamé au moins deux fois: « Je suis kabiliste ». Est-il nécessaire, en tant que gouvernant, de brandir son appartenance tel ou tel autre « clan »?
Je dis simplement que le ministre Bakonga appartient à une plateforme politique qui s’appelle le « Fcc », Front commun pour le Congo. C’est un « kabiliste ». C’est son droit. Nous sommes dans un gouvernement de coalition. Ici, il n’y a ni « kabiliste » ni « tshisekediste ». Nous sommes au service de la nation congolaise toute entière. Logiquement, il n’y a pas lieu de faire étalage des clivages.
L’actuel ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique serait également promoteur ou « propriétaire » de plusieurs établissements scolaires. N’y a t-il pas un risque de conflit d’intérêts?
Je n’ai jamais eu le moindre soupçon de « conflit d’intérêts » depuis que je collabore avec le ministre d’Etat Willy Bakonga. Nous examinons actuellement la possibilité d’instaurer des taxes de sorte que les écoles privées puissent « soutenir » la gratuité de l’enseignement. Pour le moment, je n’ai aucune plainte à formuler.
Comment se déroule la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement?
C’est une réussite même si ce n’est pas à cent pour cent. Nous ne sommes pas loin de 80 à 95% de succès. Les familles ne cachent pas leur satisfaction. Plus de deux millions d’enfants qui n’avaient pas accès à l’éducation ont pris le chemin de l’école. J’aime souvent citer un témoignage fait par le « Premier » Sylvestre Ilunga. Lors d’une réunion avec des partenaires de la Banque mondiale, il leur a dit que s’il n’y avait pas bénéficié de la gratuité de l’enseignement à son époque, il ne serait jamais devenu professeur d’université, PDG d’une entreprise publique ou chef de gouvernement. Grâce à cette mesure, devait-il souligner, il a pu étudier gratuitement jusqu’à l’université. Aujourd’hui, le Président de la République veut donner sa chance à tous les Congolais.
Que répondez-vous à ceux qui disent que tout en étant salutaire, la gratuité de l’enseignement n’a pas été précédée par des études préalables pour connaitre l’impact financier…
S’agissant d’une mesure-phare, il y aura toujours des adversaires politiques qui trouveront matière à polémique. C’est le cas notamment des gens qui profitaient des frais payés par les parents d’élèves pour soutenir ou payer les enseignants. Sur le terrain, des enseignants qui gagnaient 60 $ US perçoivent maintenant près de 210 $ US. Les parents qui ne savaient pas envoyer leurs enfants à l’école peuvent le faire aujourd’hui. Certes, il y a des effets induits: les salles de classe sont bondées. Nous sommes en train d’y travailler pour améliorer la qualité de l’enseignement et remettre à niveau les enseignants avec le concours de la Banque mondiale. Globalement, les gens sont contents.
Vendredi 24 janvier, les spectateurs de la télévision France 24 vous ont suivi. Parlant de la gratuité de l’enseignement, vous avez déclaré: « Les moyens nous allons les trouver ». Ne fallait-il pas trouver d’abord ces moyens avant de lancer la gratuité de l’éducation?
Le mandat du Président de la République est de cinq ans. Le programme que le chef de l’Etat avait exposé à l’hôtel Béatrice s’étalait sur dix ans. Nous avons commencé à travailler. L’économie est par terre. Fallait-il attendra la relance économie avant de lancer cette mesure? Assurément pas! Vous savez autant que moi que Dieu a créé l’univers en six jours. Il s’est reposé le septième jour. Nous menons concomitamment la gratuité de l’enseignement et la recherche des moyens à travers notamment les taxes existantes. Nous sommes occupés à mettre en place des mécanismes pour prendre des quotités dans les impôts payés par les brasseries et les usines de tabac. En attendant, l’Etat prend tout en charge.
Sur France 24 toujours, les téléspectateurs ont suivi une directrice dire que son école qui comptait 270 écoliers en compte aujourd’hui 1.800. « Il n’y a pas assez de bancs ni de salles de classe », se plaignait-elle. Que répondez-vous à cette dame?
Nous allons apporter des solutions. Bientôt, nous aurons des salles de classe préfabriquées qui seront dispatchées aux quatre coins du pays. Je reste d’avis que la gratuité est une mesure salvatrice qui permet aux enfants d’avoir accès à l’éducation. Dans le cas précité, la preuve est faite que près de deux mille enfants n’avaient pas accès à l’éducation. Nous avons besoin d’un peuple instruit pour faire avancer notre pays.
Quid des « frais de motivation » que certaines écoles continuent d’exiger aux parents?
Les frais de motivation ont été instaurés après les premiers pillages au début des années 90. Après ces événements, il fallait trouver une solution de rechange pour soutenir l’enseignement. C’est ainsi que ces « frais » ont été instaurés à charge des parents. Dans certaines écoles, ces frais ont fini par atteindre des proportions énormes. Certains parents déboursaient jusqu’à 800 $ US dans les écoles catholiques. Pour rappel, l’objectif était d’utiliser cet argent pour rémunérer les enseignants. Or maintenant les pouvoirs publics ont pris en charge tous les enseignants sans exception. Les « NP » (non-payés) n’existent plus. Au nom de quel principe va-t-on exiger ce paiement aux parents? Il y a un jeune congolais qui a dit: « Ecole eza mombongo te ». Traduction : l’école n’est pas un lieu de commerce. Ceux qui veulent s’enrichir n’ont qu’à se lancer dans les affaires.
Selon des observateurs, depuis son investiture à la tête de l’Etat, Felix Tshisekedi serait « reclus » voire « isolé ». On entend dire ici et là qu’il est de moins en moins « accessible ». Qu’en pensez-vous?
Le président Felix Tshisekedi a aujourd’hui plus de responsabilités qu’il n’en avait jadis. Cette situation donne de lui une fausse impression d’éloignement. Je peux vous dire qu’en dehors des réunions du conseil des ministres, je fais parfois deux mois sans rencontrer le chef de l’Etat. Il a énormément de travail. Ce n’est pas facile la RDC. Il doit s’occuper de la relance de l’économie, des relations extérieures, de la sécurité à Beni etc. En 2023, il aura des comptes à rendre à la nation congolaise. Il n’est plus le président de l’UDPS. Encore moins « l’ami Bruxellois » que nous avons connu.
Après son adresse devant des membres de la diaspora congolaise à Londres, « le président Felix Tshisekedi a donné l’impression d’être déconnecté des réalités », soutient une importante frange de l’opinion.
Quel est l’argument articulé à l’appui de cette thèse?
La position adoptée par « Felix » dans la question dite des « Banyamulenge » a laissé les observateurs sans voix…
Il est temps qu’on arrête de se voiler la face. Le cardinal Fridolin Ambongo n’avait-il pas dit la même chose très récemment? Personne n’a crié au scandale.
Pouvez-vous rappeler, à l’intention de nos lecteurs, ce que l’archevêque de Kinshasa avait dit?
Il avait dit que les Banyamulenge étaient des Congolais. Arrêtons de nous voiler la face. Ceux qui crient que les Banyamulenge ne sont pas Congolais, c’est eux qui avaient fait en sorte que Monsieur Azarias Ruberwa devienne vice-président de la RDC lors de la Transition « 1+4 ». Jean-Pierre Bemba n’était-il pas le collègue de Ruberwa dans ce qu’on appelait « l’espace présidentiel »? A cette époque, personne ne trouvait à redire. Les Banyamulenge sont des Congolais au même titre que les Bazombo, venus d’Angola. C’est ça la réalité!
Comment voyez-vous l’avenir de la coalition Fcc-Cach?
Selon moi, le 30 décembre 2018, les Congolais ont fait un choix en confiant le poste de Président de la République à Felix Tshisekedi Tshilombo. Il est vrai que ces consultations politiques étaient émaillées des irrégularités voire des tricheries. Sauf que les mêmes Congolais ont élu Léon Nembalemba qui est du Fcc à la Chambre basse. On pourrait dire autant de l’actuel vice-gouverneur de Kinshasa Néron Mbungu ou plusieurs autres personnes étiquetées Fcc. Les électeurs ont donné la majorité dans les chambres au Fcc. Il n’y avait qu’une seule alternative: cohabiter. Si cette situation devenait un handicap, le chef de l’Etat sait ce qu’il aura lieu à faire.
Il l’a répété, vendredi 24 janvier, lors de la réunion du conseil des ministres. A savoir qu’il n’hésiterait pas à dissoudre l’Assemblée nationale en cas d’obstruction à son action…
Effectivement! Cette position du chef de l’Etat n’appelle pas débat. On ne peut pas être chef d’une institution et engager le débat sur les propos du Président. Il a dit que si ce cas de figure devait se présenter, il va s’assumer. Mais pour le moment, il n’y a pas une autre option. Le plus important est et reste le service à rendre à la collectivité. Nous devons sortir notre peuple de la misère. Déployons nos énergies pour ancrer la gratuité de l’enseignement. Seule l’éducation permettra à notre pays de prendre son envol.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi