Treize années après la promulgation de la Constitution congolaise en vigueur, où en est-on avec la décentralisation? Le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a clôturé, samedi 14 décembre, à Kinshasa, les travaux du 2ème Forum national sur cette matière. Depuis décembre 2016, la « Décentralisation et les affaires coutumières » ont été détachées du ministère de l’Intérieur pour constituer un département à part entière. Trente-six mois après, le bilan parait terne. Lors de la publication de la composition du gouvernement Ilunga, des observateurs se sont interrogés sur le bien-fondé tant de la désignation que du maintien d’Azarias Ruberwa à la tête de ce double secteur névralgique.
« Dans le but d’une part, de consolider l’unité nationale mise à mal par des guerres successives et, d’autre part, de créer des centres d’impulsion et de développement à la base, le constituant a structuré administrativement l’Etat congolais en 25 provinces plus la ville de Kinshasa dotées de la personnalité juridique et exerçant des compétences de proximité énumérées dans la présente Constitution. En sus de ces compétences, les provinces en exercent d’autres concurremment avec le pouvoir central se partagent les recettes nationales avec ce dernier respectivement à raison de 40 et de 60% », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la Constitution promulguée le 18 février 2006.
Venu clôturer les travaux du 2ème Forum national sur la décentralisation, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a dû constater en présence tant du ministre de l’Intérieur et affaires coutumières que des gouverneurs de province que le transfert effectif des compétences et des moyens d’action aux structures décentralisées est loin d’être en application. Le processus est pourtant « vieux » de treize ans.
Dans son speech, le chef du gouvernement s’est « consolé » à l’idée que cette rencontre a permis au gouvernement central d’échanger avec les « acteurs clés » que sont les chefs des exécutifs provinciaux. Il a reconnu que la décentralisation est la voie obligée qui conduit au développement par la base.
PROMOUVOIR LES SERVICES SOCIAUX DE BASE
Au cours de ce colloque, les participants se sont efforcés d’identifier les « failles » ayant handicapé la mise en œuvre de ce mécanisme. Le « Premier » Ilunga a dit espérer que les « recommandations » qui ont été formulées seront traduites « en actes » promettant, au passage, d’y veiller « personnellement » afin de promouvoir les « services sociaux de base ». A savoir notamment, l’eau courante, l’électricité et les infrastructures routières. Sans omettre la santé et l’éducation.
Sylvestre Ilunga a terminé son adresse en exhortant les autorités provinciales à « privilégier » des rapports harmonieux qui passent par la « concertation » entre les institutions provinciales. Il a promis de mettre la décentralisation « au cœur de son action » en relevant le budget des structures décentralisées et autres entités de base.
Succédant au chef du gouvernement, le ministre Azarias Ruberwa a laissé l’assistance sur sa faim. Il n’a pas été capable de répondre à deux questions basiques. Primo: Que ce qui a déjà été accompli? Secundo: Que reste-t-il à faire?
MINISTRE OU PRÉDICATEUR?
L’ancien vice-président de la République en charge de la Défense et la sécurité, sous le régime « 1+4 », opta pour la langue de bois en invitant les gouverneurs de province à faire preuve d’intégrité « en tant que leaders dans la gestion des affaires publiques » de leurs entités. Le but, selon lui, est de faire de leurs provinces « des sources de prospérité et de richesse ».
Adoptant la posture d’un prédicateur, l’orateur de poursuivre: « Le Dieu qui donne le pouvoir, donne également la vision et aussi la provision »; « Ayez le mental de gagnant, un leader n’est pas là pour accuser les autres mais pour mettre ensemble les énergies pour enclencher un développement à la base (…)« ; « Agissez avec sagesse, avec maturité, avec dialogue et envie de transcender les épreuves ». On cherche en vain le rapport existant entre cette harangue philosophico-théologique et l’évaluation de la mise œuvre de la décentralisation depuis treize ans.
Ce n’est pas la première fois que Ruberwa étale son inaptitude à maîtriser son secteur d’activité. L’homme donne l’impression d’avoir d’autres centres d’intérêt que le domaine dont il a la charge.
« BANYARWANDA » OU « BANYAMULENGE »?
Le 28 octobre dernier, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) avait organisé un séminaire sur la décentralisation. C’était dans la ville de Goma, au Nord-Kivu.
Tout au long de son intervention, le ministre de la Décentralisation Ruberwa n’a pas dit un mot sur le thème du jour. Bien au contraire. Il s’est attardé sur les « avancées visibles et palpables » qu’il a constatées en termes de « reconstruction » à travers la ville.
Lors de la publication, fin août dernier, de la composition du « gouvernement Ilunga 1er », des segments de l’opinion congolaise n’avaient pas caché leur surprise en apprenant la reconduction de Ruberwa à la tête du ministère précité. Et ce au moment où les affrontements font rage dans la localité de Minembwe, au Sud-Kivu, entre des membres des tribus autochtones (Bafulero, Babembe…) et des anciens émigrés « Banyarwandais » affublés de l’appellation « Banyamulenge ».
Né en 1964, « Azarias » se dit « munyamulenge », originaire des hauts plateaux de Minembwe. Selon divers témoignages, l’homme a foulé le sol zaïro-congolais en tant que réfugié rwandais. Qui dit vrai?
Avocat de profession, Ruberwa est sorti de l’anonymat à l’issue de la guerre dite de « libération » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Fin mai 1997, il est nommé chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, un illustre inconnu nommé Bizima Karaha.
Après la rupture entre le président LD Kabila et ses ex-mentors ougandais et rwandais, Ruberwa rejoint Kigali où il participa à la création d’une nouvelle « rébellion congolaise » dénommée RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). Le 16 janvier 2001, le Mzee décède dans des circonstances non-élucidées à ce jour. Il est remplacé par un certain « Joseph Kabila », ancien bras droit de James Kabarebe, alors colonel, et commandant des troupes rwandais déployés dans l’ex-Zaïre.
Après le dialogue inter-congolais organisé, en décembre 2002, à Sun City, en Afrique du Sud, « Kabila » a sauvé son fauteuil. « Azarias », lui, est propulsé vice-président de la République en charge de la Défense et la sécurité à côté de Jean-Pierre Bemba, Arthur Z’Ahidi Ngoma et Abdoulaye Yerodia Ndombasi.
Dans son ouvrage « Crimes organisés en Afrique centrale – Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux », publié en 2004 aux éditions Duboiris, Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba, ancien chef des « services » zaïrois et conseiller spécial du président Mobutu, présente Azarias Ruberwa comme un des membres du « réseau sur lequel [Paul] Kagame s’appuie pour poursuivre sa stratégie de noyautage des actuelles institutions de transition de notre pays » (p.74). Et d’ajouter ce qui suit à la page 320: « Mes recherches m’ont permis de découvrir que le vice-président Azarias Ruberwa constitue une pièce maîtresse dans le dispositif actuel de Paul Kagame en RDC ».
A Goma tout comme à Kinshasa, l’actuel ministre en charge de la Décentralisation et affaires coutumières n’a pas convaincu. Il a parlé de tout et de rien sauf de son secteur d’activité.
Le « Premier » Ilunga Ilunkamba n’a pas manqué de constater lors du 2ème Forum sur la décentralisation que le ministre en charge de ce secteur n’avait pas grand-chose à dire.
Treize années après la promulgations de la Constitution en vigueur, les structures décentralisées au Congo-Kinshasa attendent toujours le transfert des compétences et des moyens leur permettant de gérer librement les affaires relevant de leur ressort.
B.A.W.