Fatshi-Kagame: « Liaisons préoccupantes »

Le Président Felix Tshisekedi se trouve à Kigali, au Rwanda, où il assiste à un festival organisé, du 8 au 9 décembre, par « Nation Media Group ». Les participants vont profiter de cette occasion pour un « échange d’idées », peut-on lire dans un twitt de la direction de communication de la Présidence de la République. D’aucuns s’interrogent de l’intérêt  pour le chef de l’Etat congolais à prendre part à cette rencontre.

« L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue », a pu dire Nietzsche. En diplomatie, l’étude de l’Histoire est considérée comme une des règles essentielles pour se projeter dans l’avenir. Cette étude évite aux dirigeants d’un Etat de commettre les erreurs du passé.

En dix mois de présence à la tête de l’Etat, le président Felix Tshisekedi a effectué deux voyages au Rwanda de Paul Kagame. Le premier déplacement remonte au mois de mars dernier.

En juin, à la surprise générale, Denise Nyakeru Tshisekedi, la première dame, a séjourné, durant 48 heures, au pays de Mille collines. Au grand dam d’une opinion congolaise échaudée par un Paul Kagame retors, violent et belliqueux. Un homme qui ne croit qu’au rapport de force. Et qui n’a jamais cessé de « lorgner » sur les provinces congolaises du Kivu.

A tort ou à raison, certains analystes n’excluent pas que le maître de Kigali tire les ficelles à travers des « fondés de pouvoir » à Minembwe (Sud-Kivu) et dans le Territoire de Beni (Nord-Kivu).

Une certaine opinion congolaise reste dubitative face à la « précipitation inconsidérée » du couple Tshisekedi à aller embrasser le satrape rwandais et son épouse sur les deux joues. Il n’est plus rare d’entendre des réflexions du genre: « Fatshi agit en matière sécuritaire en fonction des intérêts du Rwanda » ou encore « Paul Kagame tire Fatshi par le bout du nez ».

Des informations fragmentaires font état de la présence des « forces spéciales » de RDF (Rwandese Defence Forces) sur le sol congolais. Mission: traquer les opposants armés au régime de Kigali.

Claude Ibalanky Ekombela

Le 7 avril 2019, le président Tshisekedi a nommé Claude Ibalanky Ekolomba, un proche à l’ex-président « Joseph Kabila », au poste de Coordonnateur du Mécanisme national de Suivi de l’Accord-cadre signé le 24 févier 2013 à Addis-Abeba, en Ethiopie, au lendemain de la fin de « rébellion » menée par les combattants du M23. L’adjoint d’Ibalanky s’appelle Patrick Mutombo Kambila. Celui-ci est un ancien conseiller en communication et porte-parole d’Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre des Affaires étrangères.

Pour ceux qui ne le savent pas, « Kabila » et Thambwe sont comme deux larrons en foire. Les deux détiendraient pas mal de « secrets d’Etat ». C’est le cas notamment du « scénario » arrêté lors de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. C’est un secret de Polichinelle que les deux hommes sont très proches de l’actuel maître du Rwanda. « Joseph Kabila » a foulé le sol du pays qui s’appelait encore Zaïre dans les « bagages » d’un certain colonel James Kabarebe. Alexis Thambwe, lui, a fait partie des cadres dirigeants du RCD-Goma avant de rejoindre le MLC de Jean-Pierre Bemba.

DOSSIER RAPATRIEMENT DES EX-COMBATTANTS DU M23

Ibalanky et Mutombo ont désormais en charge le fameux dossier relatif au rapatriement des anciens combattants du M23. Ceux-ci sont estimés à plus d’un millier d’hommes. Ils avaient trouvé refuge au Rwanda et en Ouganda. Soixante-deux éléments ont déjà été ramenés à Goma en provenance de Kampala. C’était le 26 février dernier. Il y a lieu de craindre que ces anciens combattants constituent une sorte de « cinquième colonne ». Selon Human Right Watch (HRW), « Kabila » avait recruté ces « tueurs » pour canarder les manifestations pacifiques du 31 décembre 2017 et celles du 21 janvier et du 25 février 2018.

Des sources dignes de foi rapportent que « Fatshi » subirait une forte pression de la part de Kagame afin qu’il autorise le retour de tous ces ex-combattants à la loyauté douteuse. Et ce au moment où la population du Territoire de Beni suspecte des Rwandais expulsés de Tanzanie – à l’époque du président Jakaya Kikwete – de commettre des tueries sous l’étiquette « ADF ». Ce n’est pas tout. Le dirigeant rwandais – qui travaille manifestement en symbiose avec « Kabila » – aurait demandé à son homologue congolais d’accélérer le retrait des troupes de la Monusco.

Dans les milieux diplomatiques à Kinshasa, on ne cesse de ricaner de la « candeur » qui caractériserait le chef de l’Etat congolais. L’homme est unanimement qualifié de « gentil » dans le sens de « simplet » du fait notamment de son manque d’autorité.

Depuis la prise du pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) en juillet 1994 et l’avènement de Paul Kagame au sommet de l’Etat, l’ex-Zaïre, rebaptisé République démocratique du Congo, entretient des « relations complexes » avec le Rwanda.

METTRE LE CONGO-KIN À GENOUX

Au centre, Sultani Makenga, ex-chef militaire des M23

Les ex-Zaïrois ont encore frais en mémoire Pasteur Bizimungu, alors président de la République, brandir une carte dite du « grand Rwanda » à l’appui, en claironnant « qu’il faut une seconde Conférence de Berlin pour revoir les frontières entre les deux pays ».

Cette complexité relationnelle s’est corsée lors de la guerre dite des « Banyamulenge » (1996-1997), soutenue essentiellement par des troupes régulières du Rwanda et de l’Ouganda.

Depuis la « libération » du 17 mai 1997, des bandes armées tant nationales qu’étrangères sèment la mort et la terreur dans la partie orientale du Congo-Kinshasa. Les dirigeants de ces deux pays dissimulent à peine qu’un « Congo-Kinshasa debout » constitue une « menace » pour la sécurité nationale de leur pays respectif. Il vaut mieux que le grand voisin reste « à genoux ». Paul Kagame n’a jamais fait mystère de son « rêve » d’installer un « homme lige » au pouvoir à Kinshasa.

Porté au pouvoir à Kinshasa par les « troupes » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) avant d’être combattu par ses anciens parrains ougandais et rwandais, feu Laurent-Désiré Kabila en savait quelque chose.

Après la rupture de la « coopération militaire » décidée par Mzee Kabila fin juillet 1998, une nouvelle « rébellion congolaise » verra le jour… à Kigali sous la dénomination de « Rassemblement congolais pour la démocratie » (RCD). En novembre 1998, le Mouvement de libération du Congo (MLC), soutenu par l’Ouganda, a vu le jour.

CNDP ET M23, « CRÉATURES » DU MAÎTRE DE KIGALI

Après le dialogue intercongolais organisé à Sun City, le gouvernement de Transition « 1+4 » est installé fin juin 2003 à Kinshasa. Au Nord-Kivu, Laurent Nkunda, promu général dans les FARDC par « Kabila », refusa de rejoindre la capitale. Il  lança son mouvement « rebelle » dénommé le Cndp (Congrès national pour la défense du peuple). Objet: défendre les membres de la communauté tutsie. En avril 2012, on assiste à la naissance d’une autre « rébellion ». Il s’agit du « M23 ».

Patrick Karegeya, ancien patron des « services » rwandais

Dans une interview accordée en juin 2013 au quotidien bruxellois « Le Soir » , l’ex-patron des « services » rwandais Patrick Karegeya déclarait que le Cndp et le M23 ont été créés par le président Kagame. « Il était à la manette », soulignait-il. L’homme a été assassiné en janvier 2014 à Jo’bourg.

Nombreux sont les Congolais qui suivent avec une « réelle préoccupation » la « nouvelle amitié » entre Felix Tshisekedi Tshilombo et le très rusé Paul Kagame. Sans omettre, le rôle confié au duo Ibalanky-Mutombo sur le dossier M23.

Que l’on se comprenne bien. Le Rwanda est un pays voisin. Il existe de nombreux liens entre les deux peuples. Le problème? L’Etat rwandais est, dans sa configuration actuelle, dirigé par un homme qui n’a cure de la diplomatie comme moyen de résoudre les différends par le dialogue. Cet homme ne croit qu’à l’équilibre des forces. La force brutale.

Pour des observateurs autant que pour de nombreux Congolais, le Congo-Kinshasa et le Rwanda sont toujours en « état de belligérance ». La signature d’un « traité de paix » est un préalable à toute normalisation.

Baudouin Amba Wetshi

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